Je ne suis pas favorable à la suppression des impôts, mais sans doute me suis-je mal exprimé tant oralement que par écrit puisqu'en tant que chroniqueur au Monde, aux Échos et ailleurs, je répète depuis dix-huit mois que la hausse des impôts est inéluctable et que ce n'est pas la réforme sur la fiscalité du patrimoine qui remplira les caisses de l'État – encore faut-il, d'ailleurs, qu'elle n'en fasse pas perdre.
Je répète également que les valeurs essentielles auxquelles nous devons nous référer en la matière sont la valorisation du travail, le mérite et l'égalité des chances. Je propose donc soit d'élargir l'assiette et d'abaisser les taux de l'IR, soit de nous diriger vers une fusion de la CSG et de ce dernier, le problème étant de savoir qui absorbera l'autre, une voie médiane me semblant par ailleurs acceptable.
De plus, le rééquilibrage de la fiscalité du travail et de la fiscalité du patrimoine me paraît de bonne politique à travers la suppression du prélèvement libératoire forfaitaire existant au titre de la seconde. Je milite également pour la suppression de toutes les niches fiscales dont l'intérêt social n'est pas avéré, ce qui implique d'ailleurs d'avoir une définition précise de ce que sont ces dernières – l'abattement de 40 % sur les dividendes d'action qui a remplacé l'avoir fiscal évitant une « double cascade » de l'IR, par exemple, n'en étant pas une.
Si je suis favorable à la suppression de l'ISF et du bouclier fiscal, je suis en revanche très étonné que la question des droits de mutation à titre gratuit ne soit pas abordée. Je considère quant à moi que l'allégement, voire la quasi-suppression de ces droits ne se justifient pas, tant je suis attaché à leur vertu « redistributive ». L'imposition des stocks me paraît donc nécessaire, non pas chaque année lors de l'ISF, mais à l'occasion de la succession.
Dans un ouvrage paru voilà trois ou quatre ans, j'avais défendu une idée, d'ailleurs reprise ici ou là, selon laquelle il était possible a minima de défalquer l'ISF acquitté des droits de succession qui seraient dus in fine afin de ne pas imposer doublement le capital. Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui, un euro hérité est à peu près 2,5 fois moins imposé qu'un euro gagné par le travail, quels que soient la taille du patrimoine et le montant des revenus. C'est pourquoi je milite pour une réforme d'un droit des successions qui, pour être égalitaire, n'est hélas pas libéral, puisque les révolutionnaires qui l'ont instauré voulaient simplement s'attaquer au droit de la primogéniture.
En outre, le barème fiscal des droits de mutation devrait être assoupli car, si le taux marginal s'élève à 40 % entre parents à enfants, il est de 55 % d'oncle à neveu : l'atteinte à la liberté de tester me semble donc constituer un réel problème. J'ajoute que, si ce barème peut sembler sévère, les taux réels demeurent toutefois raisonnables à condition d'anticiper. Dans ce cas, le taux effectif se situe entre 10 % et 15 % et, pour une entreprise, autour de 5 %,voire moins lorsqu'il est procédé à des démembrements de propriété.
Par ailleurs, je ne vois pas comment la représentation nationale – qui souhaite donc trouver des recettes – pourra se désintéresser encore longtemps des 1 500 milliards d'euros de stock de l'assurance vie, lequel représente 38 % de l'épargne financière des Français. S'il est certes toujours possible d'augmenter les taux ou de rallonger les durées de détention, il importe surtout de réfléchir à l'investissement des actifs. Si 10 % le sont en unités de compte, 90 % sont investis sur le fonds général de la compagnie – dont 80 % sur des obligations d'État. L'Agence France Trésor confirmera ces chiffres concernant les émissions d'emprunt puisque, hormis les 67 % de non-résidents, le reste des financeurs est constitué par les institutionnels, dont les compagnies d'assurance. Ne peut-on pas songer à organiser des ponctions fiscales pour inciter les détenteurs de ces fonds en euros à s'orienter vers des mécanismes favorisant la croissance, et donc l'emploi ?
Monsieur Hollande, je suis du même avis que M. Piketty s'agissant de l'imposition des stocks, mais je répète qu'un euro gagné par le travail n'a pas tout à fait la même valeur que celui qui a été hérité. L'ISF, quant à lui, est en définitive un impôt foncier puisque 86 % des redevables se situent dans les deux premières tranches en raison de la hausse de l'immobilier et du foncier qui les y a placés – c'est le syndrome de la veuve de Carpentras et du paysan de l'Île de Ré. Imposer des biens non productifs de revenus soulève donc des problèmes d'équité.
De la même manière, s'agissant de l'optimisation fiscale – je précise que je n'ai rien contre les économistes, avec lesquels je travaille beaucoup ! –, l'un des piliers d'une réforme fiscale réussie est l'équité. Or, l'accès à l'information est problématique en raison notamment de la complexité démentielle de notre système qui relève du patchwork et du millefeuille et auquel personne ne comprend plus rien. Le complexifier encore favorisera ceux qui ont accès au conseil et pénalisera les autres.
Enfin, le bouclier fiscal, qui sera sans doute supprimé, visait à protéger la propriété privée et à freiner les délocalisations fiscales. Mais il aurait dû avant tout servir aux personnes dont les revenus sont bas, qui sont propriétaires de leur résidence principale et dont les taxes foncières et d'habitation sont élevées.