Je ferai quant à moi une proposition alternative à celle de M. Bruneau : que des économistes travaillent donc avec des fiscalistes sur les différentes réformes de la fiscalité !
Plus sérieusement, je considère que la fiscalité du patrimoine est beaucoup trop complexe et qu'elle induit donc, comme le disait M. Piketty, nombre de distorsions. Par ailleurs, il convient de séparer les questions qui y sont liées de celles concernant, par exemple, le financement des PME ou du logement. Si l'État veut soutenir ces deux secteurs, il dispose d'autres moyens : en effet, il n'est pas possible de poursuivre l'objectif d'une bonne allocation du patrimoine des ménages français, de minimiser les distorsions entre les allocations d'actifs, d'encourager les Français à épargner, et tenter de financer les PME : des objectifs différents impliquent des instruments différents.
J'aborderai la question de la fiscalité du patrimoine à travers trois points.
Le premier concerne la fiscalité à proprement parler : faut-il plus taxer le capital que le travail, et quelle forme de capital, celui qui vit ou celui qui ne vit pas, celui qui « travaille » ou celui qui ne travaille pas ? En tant que « macro-économiste amateur », j'estime que le taux de prélèvements obligatoires est très important et que nous devons réfléchir à une réforme de la fiscalité à budget constant.
Le deuxième est relatif au financement de l'économie auquel la fiscalité tente de procéder par des incitations diverses – épargne réglementée, présence de fonds communs de placement dans l'innovation, dispositifs en faveur de l'outre-mer, du logement locatif , du logement social, des industries culturelles, etc. –, alors que l'État devrait disposer de lignes budgétaires spécifiques. J'ajoute, au risque de vous faire bondir, qu'aucun indice ne permet vraiment de conclure que les PME rencontreraient des difficultés particulières de financement : dans tous les pays du monde, les entrepreneurs disent qu'ils ont plein de bonnes idées et ne parviennent pas à trouver de l'argent, quand les investisseurs assurent quant à eux qu'ils ont de l'argent mais qu'ils ne savent pas où l'investir. Cela s'appelle le rationnement du crédit, lequel dysfonctionne structurellement en raison de ce problème d'information. Si l'État dispose d'une technologie supérieure à celle des investisseurs pour le résoudre, il est parfaitement fondé à intervenir, même si ce n'est pas évident. Quoi qu'il en soit, la fiscalité n'est probablement pas le bon instrument pour ce faire. Je le répète : il est préférable de prévoir par exemple une ligne budgétaire idoine en faveur d'OSÉO, des réformes tendant à réduire les barrières à l'entrée, simplifier la création d'entreprises, voire une réflexion autour du coût du travail, entre autres.
De surcroît, la complexité dont j'ai fait état entraîne une certaine opacité : outre que les évaluations des dispositifs existants sont très peu nombreuses, ces derniers fonctionnent en quelque sorte sur un mode de redistribution inversé. Il serait donc souhaitable que la fiscalité du patrimoine soit progressive et que les riches soient davantage taxés alors qu'ils se voient conférer de nouveaux moyens institutionnels d'évasions fiscales dont le résultat final est un moindre paiement de l'IR par rapport à celui qu'acquittent les classes moyennes.
J'en viens, enfin, à mon troisième point, que j'ai évoqué dans le rapport que j'ai co-écrit avec Olivier Garnier pour le Conseil d'analyse économique : tous les objectifs de l'épargne réglementée masquent mal une absence totale de priorités. Ainsi, la moitié de l'épargne du patrimoine financier des ménages français est-elle peu liquide et subventionnée. On connaît un certain nombre de dispositifs qui encouragent l'épargne dans des produits risqués, d'autres l'épargne « illiquide » de l'assurance vie ou du plan d'épargne pour la retraite collectif, le PERCO, ou liquide – c'est le livret A. Si les subventions visent à inciter les ménages à avoir des comportements économiques contradictoires, qui finissent par se compenser, une étude du Trésor public n'en montre pas moins que, au final, la détention d'actions en est pénalisée.
Qui peut dire combien d'actions il convient de détenir dans son patrimoine ? En tout cas, pas la puissance publique. C'est donc aux ménages de prendre leur décision grâce à une fiscalité relativement neutre face aux choix d'actifs. La seule erreur que commettent ces derniers lorsqu'ils composent leur patrimoine concerne l'épargne à très long terme, telle que l'épargne retraite bloquée : ils ne font pas preuve de cohérence car, comme l'a montré notamment une étude américaine, ils acquiescent indifféremment à la perspective de cotiser ou non tant ils éprouvent des difficultés à se projeter dans l'avenir. En l'occurrence, la puissance publique pourrait intervenir afin de les encourager à épargner à long terme.
Telle est la seule spécificité qu'il conviendrait d'introduire dans la fiscalité du patrimoine, celle-ci devant demeurer « plate » et simple avec un abattement initial correspondant à la non-fiscalité de la petite épargne – il pourrait s'élever à 500 euros par an –, la taxation s'élevant de 15 % à 20 % des revenus, y compris les plus-values réalisées, certes, mais aussi latentes, dans le cas de l'immobilier, par exemple : si la valeur de marché du bien a augmenté, la taxation s'effectuera à hauteur d'un loyer fictif plus élevé sur la résidence principale, mais également sur l'ensemble des biens possédés. Les décisions des ménages quant à l'exercice ou non des plus-values ne seront ainsi pas biaisées et l'on évitera les distorsions de comportement.