Les articles 14 à 18 touchent en effet à la notion extrêmement complexe de l'origine, dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation. Deux théories s'affrontent.
La première privilégie la transparence ; elle conduit à défendre le droit de chacun à connaître ses origines, et donc à permettre aux personnes nées de dons de gamètes de rechercher leurs origines – à cette réserve près que, la loi n'étant pas rétroactive, le donneur qui avait agi à l'époque de manière anonyme et gratuite lève lui-même son anonymat.
Je suis pour ma part profondément attaché à la seconde théorie. D'un point de vue philosophique d'abord, on ne peut considérer l'humain comme un matériau biologique. Il n'y a pas, dans la transmission des gamètes, de prédestination de talents ou de capacités. J'ai vu un catalogue danois qui permettait de choisir un donneur en fonction de ses études, de sa religion et de son niveau de rémunération : cela me paraît une erreur médicale et scientifique profonde, assortie d'un risque humain considérable. Et si l'on donne la priorité à l'éducatif et à l'affectif, il n'y a pas d'intérêt particulier à rechercher l'origine de ses gamètes.
Le don de gamètes doit être distingué de la naissance sous X. Lorsqu'on est né sous X, on a une histoire : il y a eu un homme et une femme, un enfant est né et il a été abandonné. Les psychiatres nous ont appris que cette histoire était culpabilisante pour l'enfant et qu'il était légitime qu'il essaie de comprendre les raisons de son abandon, qui peuvent être diverses. La quête de vérité est alors une démarche d'identification à une histoire. Au contraire, les donneurs de gamètes donnent de manière altruiste, anonyme et gratuite leurs spermatozoïdes ou leurs ovocytes, dans le seul but de permettre à des couples inféconds d'avoir un enfant.
Les CECOS eux-mêmes sont opposés à la levée de l'anonymat. Ils craignent d'abord, comme cela s'est produit dans certains pays, une chute au moins momentanée des dons. Et ils craignent aussi un changement dans le profil des donneurs : celui qui sait qu'un jour, il pourra être reconnu, a un profil plus narcissique qu'altruiste ; celui qui donne en sachant qu'il ne sera jamais reconnu est totalement détaché de la destinée de la personne qu'il permet d'engendrer.
En Suède, où l'anonymat du don de gamètes a été levé en 1985, il n'y a aujourd'hui aucune demande de recherche des origines ; mais ce n'est pas parce que personne n'en ressent le besoin : l'explication est que la levée de l'anonymat pousse bien davantage encore les parents à cacher à leur enfant la manière dont il a été conçu. Ils craignent qu'une personne qui se présenterait comme le père génétique puisse s'immiscer dans leur vie et être perçu par leur enfant, surtout à la période fragile de l'adolescence, comme une alternative à ses parents.
Si nous décidions de lever l'anonymat des dons de gamètes, nous provoquerions un véritable bouleversement : les 50 à 100 personnes qui souhaitent savoir ne doivent pas faire oublier les 50 000 qui ne demandent rien – parce qu'ils considèrent les gamètes comme un matériau biologique certes spécifique, mais savent qu'ils doivent ce qu'ils sont à ceux qui les ont entourés, aimés et éduqués.
Si on conférait demain aux spermatozoïdes une valeur particulière, il en résulterait sans doute qu'ils ne seraient pas tous d'égale valeur : on ne tarderait pas à en rechercher certains plutôt que d'autres, voire à mettre aux enchères les spermatozoïdes de telle personne ! L'achat de sperme existe déjà aux États-Unis.
Il ne faudrait donc pas que le désir légitime de répondre à la demande de certaines personnes qui éprouvent une souffrance – qui ne serait peut-être pas apaisée par la découverte d'un père ou d'une mère génétique – aboutisse à en fragiliser un bien plus grand nombre. La levée de l'anonymat du don de gamètes serait une brèche dans notre pacte républicain car elle toucherait à l'idée que nous nous faisons de l'homme. C'est pourquoi je vous proposerai la suppression des articles 14 à 18.