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Intervention de Bernard Ennuyer

Réunion du 26 janvier 2011 à 10h00
Commission des affaires sociales

Bernard Ennuyer, sociologue et directeur d'une association d'aide à domicile :

Il me paraît nécessaire, monsieur Gremetz, de préciser ce que l'on entend par cinquième risque et je viens de publier un article à ce propos.

Ce qui m'intéresse en tant que sociologue, c'est la coexistence du libre choix et de la solidarité. La valeur que Kant accorde à l'autonomie est très discutable, car l'autonomia des Grecs consistait à décider communément des règles auxquelles chacun devait se soumettre : l'autonomie, ce n'est pas « je fais ce que je veux quand je veux et je m'affranchis des règles collectives ».

Je souhaite que l'on se demande jusqu'où doit aller le libre choix. Directeur depuis 32 ans d'une association de maintien à domicile, je sais combien il est difficile de convaincre les personnes que le domicile n'est la bonne solution, ni pour eux, ni pour leur famille, ni pour les professionnels. Mais peut-on leur proposer de choisir dans un échantillon de microstructures offrant toutes les garanties nécessaires ?

Je suis depuis longtemps favorable à la suppression des EHPAD – c'est ce qu'ont fait les Scandinaves. En 1975, j'ai été de ceux qui proposaient les domiciles collectifs, et Grenoble en a inauguré un en 1981. Je préfère d'ailleurs la notion de « domicile collectif » à celle de « petite unité de vie ». On peut se féliciter de l'existence des maisons d'accueil rurales pour personnes âgées (MARPA), des domiciles protégés, du centre de Saint-Appolinaire, mais nous devons approfondir notre réflexion sur cette question.

L'individu qui ne va pas bien a-t-il des droits illimités sur la collectivité ? C'est une question fondamentale pour le contrat social et la réponse ne va pas de soi.

Certes, on ne pourra pas verser 8 000 euros à tous les bénéficiaires de l'APA, mais je revendique l'équité des droits, accompagnée d'une diversité de réponses, et non l'égalité dans les montants versés. Les questions d'équité et de justice sont ici très importantes, j'y travaille actuellement, en relation avec les idées d'Amartya Sen, le prix Nobel d'économie.

J'ai été sensible à ce qu'a dit Mme Joël du poids de la dépendance pour les familles. Il nous faudra rediscuter de la place des familles, ce qui est d'autant moins simple qu'elles sont aujourd'hui décomposées et recomposées, voire surcomposées : lorsque cinq générations se côtoient, les petits-enfants sont la « génération sandwich », prise entre les besoins de leurs ascendants et ceux de leurs descendants.

J'ai travaillé récemment avec la MACIF à une enquête sur les aidants et les aidés. Il en ressort que les familles aiment ce qu'elles font, mais qu'elles sont très mal informées. Il faudrait remettre à plat l'ensemble du système, dont la complexité est source de gaspillages. Moi-même, je ne connais pas toutes les prestations auxquelles les familles ont droit. Les CLIC, les maisons d'accueil, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) doivent être regroupés au sein d'une « maison de l'autonomie », afin que toutes les compétences soient accessibles à un seul guichet. C'est ce qu'a fait le conseil général du Gard.

Il faut, par ailleurs, améliorer la formation des professionnels. Certains rencontrent de graves difficultés, et le plan Borloo a été à l'origine de nombreuses complications... On constate sur le terrain une concurrence exacerbée entre services ! Il faut conforter les services d'utilité publique.

Il faut également améliorer la lisibilité. Toute structure – entreprise, association, centre communal d'action sociale – qui offre un service aux personnes en situation de handicap, quel que soit leur âge, doit faire l'objet d'un contrôle de l'État. Ce n'est pas le cas actuellement.

Nous devons encore réfléchir à la place des professionnels et à celle des familles, sur qui pèse une charge financière et matérielle : une femme passe près de dix heures par jour auprès de son conjoint atteint de maladie d'Alzheimer. Une étude réalisée par la DREES en 2006 montre que, contrairement à une idée reçue, l'aide publique n'incite pas les enfants à se désengager. La priorité est naturellement le maintien à domicile. Je vous renvoie aux publications de la Cour des comptes en 2005 sur les personnes âgées dépendantes. Depuis le rapport Laroque en 1962, nous n'avons jamais engagé les moyens suffisants pour développer le maintien à domicile.

S'agissant du financement, les débats sont ouverts. J'insiste encore une fois sur le contrat social. J'ai entendu dire qu'il fallait d'abord mettre les choses en place. Non, il est préférable de négocier entre nous, puis de dire les moyens que cela suppose.

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