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Intervention de Bernard Ennuyer

Réunion du 26 janvier 2011 à 10h00
Commission des affaires sociales

Bernard Ennuyer, sociologue et directeur d'une association d'aide à domicile :

Vous venez d'entendre un sociologue gentil et poli, ce ne sera pas mon cas…

La dépendance, sur laquelle je travaille depuis 1974 et mon mémoire de maîtrise de sociologie, est un mot épouvantable, apparu sous la plume des médecins et auquel il faut tordre le cou. En 2002, mon habilitation de recherche à la Sorbonne portait sur ce malentendu : vous êtes tous, nous sommes tous, des gens âgés et dépendants, car nous avons besoin les uns des autres ! C'est le propre de la société et de la cohésion sociale. Pourquoi les vieux seraient-ils davantage « dépendants » ? Et l'expression « perte d'autonomie » ne vaut pas mieux, car elle est synonyme d'une perte de libre arbitre qui ne survient qu'en cas de démence sévère.

Les étrangers parlent de long term care, de soins de longue durée dont les besoins sont liés à des incapacités ou à des déficiences diverses. Dans ce contexte, il nous faut aussi en finir avec une autre notion, la barrière d'âge. Pourquoi la législation française fait-elle une différence entre les moins et les plus de 60 ans ? Le collectif « Une société pour tous les âges », auquel j'appartiens, refuse cette discrimination !

Voilà donc réglées trois questions sémantiques essentielles : on ne parle plus de « personnes âgées dépendantes » mais de « personnes en situation de handicap », quel que soit leur âge, et de « personnes qui ont besoin de soins et d'aide de longue durée », ce qui est beaucoup plus clair. La définition médicale de la dépendance est d'ailleurs le besoin d'être plus ou moins aidé, voire de façon totale, dans sa vie quotidienne à la suite d'une incapacité physique ou psychique.

Pour être encore plus clair, adoptons donc la référence aux « personnes ayant besoin d'aide et de soins à cause de déficiences » que l'on trouve dans la classification du fonctionnement humain que l'Organisation mondiale de la santé a adoptée en mai 2001 et qui est largement ignorée des Français : aucun des médecins d'hospitalisation à domicile auxquels j'enseigne ne la connaît !

La question abordée aujourd'hui pose par ailleurs celle du contrat social. Certes, nos sociétés se sont individualisées, ce que l'on ne peut déplorer puisque la démocratie est aussi l'avènement de l'individu. Comment être un individu de plus en plus individuel tout en restant un individu collectif, se demande justement Norbert Elias. La tension en nous est forte entre nos parts d'individu singulier et d'individu collectif.

Certains ont moins de chance, sont plus fragiles, sont handicapés depuis leur naissance ou à la suite d'un accident, ou souffrent de pathologies – je précise que la vieillesse n'est pas une pathologie et que si des vieux vont mal, c'est parce qu'ils ont des pathologies. La priorité est de définir un projet de société et de voir si nous sommes capables de fournir aux personnes plus fragiles une aide dans le respect de leur dignité et du choix de leur lieu de vie, la question des financements étant secondaire – entre 5 et 10 milliards d'euros étant nécessaires pour faire quelque chose de convenable.

Troisième point : le contrat social suppose a priori un financement par la solidarité nationale. L'assurance privée individuelle n'a pas sa place en première ligne, mais comme allocation supplémentaire pour les personnes ayant fait ce choix.

Les questions de financement seront amenées par le débat citoyen. Aujourd'hui, une dame de 80 ans percevant l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) touche en moyenne 409 euros par mois – 882 euros si elle est classée en GIR 1 –, alors qu'une personne de moins de 60 ans touchant la prestation de compensation du handicap (PCH) peut recevoir jusqu'à 8 000 euros par mois ! Pourquoi une personne âgée représenterait-elle le dixième d'une personne handicapée ? Une fois de plus, cela pose la question de la discrimination par l'âge !

Le besoin de financement se situe entre 5 et 8 milliards d'euros pour amener en deux ou trois ans le niveau moyen de l'APA, actuellement de 500 euros, aux 1 000 euros de la PCH.

Enfin, on ne pourra pas se dispenser d'une réorganisation complète du service d'aide et de soins. Dans son rapport d'avril 2010, le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie souligne que la présence d'un grand nombre de personnes de 75 ans et plus à l'hôpital, où elles n'ont rien à faire, coûte plusieurs milliards d'euros. Bref, l'aide et le soin aux personnes en situation de handicap ou souffrant d'affections de longue durée ne peuvent être dissociés du problème global de l'assurance maladie.

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