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Intervention de Jean-Stéphane Devisse

Réunion du 19 janvier 2011 à 17h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Jean-Stéphane Devisse, directeur des programmes de conservation de WWF France :

WWF France doit se demander dans quel secteur son intervention est la plus pertinente, quelle plus-value il peut apporter dans le concert des organisations qui travaillent à la préservation de l'environnement, en France, mais aussi en Europe et dans le monde, puisque nous sommes partie d'un réseau international.

Je vais évoquer devant vous ce qui nous a permis de tracer un certain nombre de grandes priorités, que partage l'ensemble de notre réseau mais que le WWF France décline de façon autonome.

Dans le monde, nos 120 bureaux nationaux développent en permanence environ 12 000 programmes d'intervention liés à la conservation de l'environnement, notion qui va au-delà de celle de biodiversité.

Si nous représentons une force certaine au sein de l'ensemble du réseau, nous demeurons modestes par rapport à un certain nombre de pays, en particulier aux États-Unis, qui sont les premiers contributeurs au réseau international.

S'agissant des programmes de préservation, nous disposons de deux grands indicateurs que nous suivons en permanence et qui sont réévalués tous les deux ans. Le premier, « planète vivante », est un indicateur d'évolution des grandes tendances de la biodiversité. Il est calculé sur la base du contrôle de niveau d'abondance d'environ 7 800 populations d'animaux et de plantes qui sont suivies tous les deux ans par des organismes de recherche que nous finançons pour l'occasion. Le second grand indicateur est « l'empreinte écologique », qui mesure l'impact de l'ensemble des activités humaines reconstituées et qui est également actualisé tous les deux ans. Il ne surprendra personne que la biodiversité se réduise tandis que l'empreinte écologique humaine augmente : nous sommes de plus en plus nombreux sur terre et les besoins de l'humanité s'accroissent, il est donc logique que la pression sur l'environnement s'accroisse également. Notre première conclusion est donc pessimiste a priori, mais nous verrons comment la traduire en éléments constructifs.

Ces indices montrent qu'en une quarantaine d'années, un quart des populations des espèces terrestres suivies ont connu une forte érosion de leurs effectifs, la proportion étant sensiblement la même pour les espèces marines, tandis que la population d'un tiers des espèces d'eau douce suivie s'affaiblit fortement. La situation est donc particulièrement préoccupante et c'est ce qui a principalement motivé la conférence de Nagoya.

Si on l'analyse de façon agrégée et par grandes régions du monde, on constate que cette situation est pire dans les zones tropicales. C'est ce constat qui fonde une de nos grandes priorités, qui est de se concentrer sur des régions du monde très riches en biodiversité et particulièrement menacées. Sur la base du référencement de 35 grandes régions qui apparaissent comme des réservoirs importants de biodiversité, le réseau WWF a choisi de faire porter son effort sur 15 régions prioritaires. Nous-mêmes, WWF France, avons décidé d'engager un effort particulier dans une partie de ces régions, celles avec lesquelles nous avons un attachement historique et linguistique, mais aussi celles à l'égard desquelles nous ne pourrions rester indifférents au regard de la richesse de leur biodiversité. Au-delà, nous avons manifesté notre attachement à travailler dans la région méditerranéenne, dont nous sommes riverains et qui nous paraît particulièrement importante, ainsi qu'à Madagascar, pays auquel nous ne saurions être indifférents. Nous nous consacrons aussi à deux zones spécifiques : l'Amazonie, à travers la Guyane française, et le triangle corallien, cette grande zone qui va de la mer de Chine jusqu'à l'Australie, où la Nouvelle-Calédonie est un réservoir de biodiversité extrêmement important. Cela me donne d'ailleurs l'occasion d'insister sur l'action que nous menons en direction de l'outre-mer : nous sommes convaincus que, si nous voulons préserver la biodiversité, comme cela a été annoncé à Nagoya, il faut « mettre le paquet » sur ces régions, qui concentrent près de 80 % de la biodiversité nationale.

Nous voyons cinq causes principales à la dégradation de la biodiversité : la destruction directe des milieux, par exemple lorsqu'on abat une forêt, en particulier en zone tropicale, pour l'importation d'un bois non certifié ; les prélèvements et la surexploitation des espèces, ce qui peut se produire partout, y compris en mer, comme le montre la polémique autour du thon rouge ; la concurrence des espèces invasives, liée aux mouvements de l'espèce humaine dans le monde et qui peut conduire à la destruction des milieux naturels d'origine, en particulier dans les régions d'outre-mer ; les contaminants toxiques, dont chaque jour révèle l'impact sur la biodiversité mais aussi sur la santé humaine ; enfin, le changement climatique et les perturbations qui y sont liées, que j'illustrerai ultérieurement.

Nous nous efforçons donc de préserver la biodiversité dans les endroits du monde où elle nous paraît la plus riche, mais aussi d'intervenir sur les causes de sa dégradation. Ces causes tiennent essentiellement à une démographie en augmentation et à une surconsommation dans certaines parties du monde, qui débouchent sur une croissance de la demande de biens, ainsi que de l'offre et de l'activité industrielle dans le monde entier. Cela entraîne certes un progrès de la prospérité et du niveau de vie qu'il faut saluer, mais aussi une pression accrue sur les écosystèmes.

I = P x A x T (en anglais Human Impact (I) = Population (P) x Affluence (A) x Technology (T) : cette formule signifie que la somme des impacts environnementaux est égale à la population, que multiplient la richesse par habitant et la technologie, entendue comme le niveau d'équipement que le confort de vie permet. Eh bien, c'est cette équation qui s'applique aujourd'hui et qu'il nous faut récrire collectivement.

Un autre indice de la dégradation est l'empreinte écologique – donc l'impact des activités humaines – qui ne cesse d'augmenter. Un graphique nous montre que cet impact s'est accru substantiellement depuis les années 1960. On le constate à travers les terrains bâtis – c'est pourquoi nous comptons une urbaniste dans note équipe –, les terres cultivées, les surfaces de pêche, les forêts, les pâturages et l'empreinte carbone, qui est le résultat des émissions de gaz à effet de serre. L'excès d'empreinte écologique se traduit par le changement climatique. Ce changement est impressionnant si on le rapporte à l'évolution du PIB mondial : l'énergie carbonée étant le moteur même de l'économie, il est logique que la combustion du carbone conduise à un relèvement des températures.

En la matière nous avons pour priorités sur deux grandes régions du monde : les pays de l'OCDE, notamment la France et l'Union européenne, qui sont parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, et les pays émergents – Brésil, Russie, Inde et Chine – dont les émissions « explosent » depuis quelques années.

Les scientifiques nous alertent sur la nécessité de limiter au maximum l'élévation des températures d'ici 2100. Un laboratoire du CNRS, le CIRED, travaille à la simulation des impacts du changement climatique et à leur modélisation économique. Si l'on prend pour référence la ville de Fréjus, en 1970, son climat correspondait à sa position sur une carte. Depuis lors, sa température moyenne a augmenté d'environ un degré et, en 2020, son climat la situera à la position qu'occupait Naples en 1970. En 2040, avec une augmentation de 2°, elle serait à la hauteur de l'Afrique du Nord, sa position se déportant sans cesse plus au Sud au fur et à mesure que la température s'élève. Or, trois degrés de plus, c'est l'anomalie climatique que nous avons connue à l'été 2003, avec pour corollaire une forte augmentation de la probabilité d'incendies de forêt. On peut dès lors s'inquiéter d'un dérèglement climatique que l'on ne parviendrait pas à maîtriser.

Pour préoccupant qu'il soit, un tel scénario est considéré comme intermédiaire par le GIEC… En fait, le problème tient à la vitesse à laquelle ce phénomène s'instaure : nous sommes aujourd'hui au-delà du scénario pessimiste des scientifiques, qui nous disent qu'il faut agir très vite pour infléchir les émissions mondiales, si possible avant 2020, c'est-à-dire dans les neuf ans que représente la durée de vie moyenne d'une voiture… On mesure le niveau de réformes auquel il faut parvenir rapidement !

C'est à partir de ces grands indicateurs que nous lançons un certain nombre de programmes, qui doivent inciter à aller plus loin encore. Toute notre action se bâtit autour de trois pôles convergents : la sensibilisation à la fragilité de l'environnement, la dénonciation en cas de problème, et les programmes que nous menons sur le terrain avec les acteurs territoriaux afin de sensibiliser les décideurs – publics et privés – aux solutions que l'on peut apporter.

Le WWF sait entretenir la polémique en cas de nécessité, mais telle n'est pas sa raison d'être. Nous adoptons systématiquement une approche de proposition et de construction. Nous préférons agir au plus près des besoins de nos concitoyens, en particulier dans ce qui touche aux besoins communs, à cet espace collectif qui fait converger les intérêts de toutes les parties prenantes. Comment s'alimenter durablement ? Comment avoir une santé durable ? Comment se loger durablement ? Ces questions sont au coeur de notre réflexion.

L'organigramme du département des programmes de conservation montre dans quels grands domaines nous développons nos activités : éducation à l'environnement et sensibilisation générale ; changement climatique et énergie, urbanisme et autres politiques publiques, au gré des échéances comme la révision de la PAC en 2013, ou la politique commune de la pêche ; arc alpin et région méditerranéenne, en lien notamment avec le tourisme ; océans et littoral ; eau douce (écosystèmes et liens avec l'agriculture) ; forêts tropicales et tempérées, commerce du bois, certification forestière ; outre-mer, en particulier Guyane et Nouvelle-Calédonie.

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