Je ne reviens pas sur l'anonymat du don de gamètes. Si j'avais encore quelques questions, vous y avez répondu.
Je vous interrogerai sur le régime actuel d'interdiction des recherches sur l'embryon, assortie de dérogations. Les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit que le moratoire de cinq ans sur l'interdiction, qui expire très prochainement, les empêchait de lancer certains programmes de recherches importants. Une autre solution serait donc d'autoriser ces recherches sous conditions, ce qui reviendrait à peu près au même dans les faits, avec un affichage toutefois différent.
Après avoir entendu Axel Kahn expliquer qu'il y avait bien une différence de nature entre un embryon et une cellule embryonnaire et qu'il ne fallait pas confondre le tout et la partie, je me suis un temps demandé, à titre personnel, s'il ne serait pas possible d'autoriser la recherche sur les cellules embryonnaires tout en continuant d'interdire avec dérogation celles sur l'embryon. On m'a objecté tout d'abord qu'il n'y avait pas de différence entre une cellule souche embryonnaire et un embryon encore unicellulaire. Ensuite, qu'une différence de traitement ne se justifie que si les cellules embryonnaires ne sont plus susceptibles de donner un embryon. Mais alors pourquoi ne pas autoriser sans restriction les recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires existantes puisque celles-ci ne sont que multipotentes, et non plus totipotentes – c'est-à-dire capables de donner un embryon ? Enfin, les cellules embryonnaires ne devraient-elles pas être classées dans la même catégorie que les embryons de toute façon voués à la destruction tandis que seuls les embryons destinés à naître devraient être protégés ?
Par ailleurs, la plupart des chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit que la loi actuelle n'entravait pas leurs recherches et que la recherche sur les cellules embryonnaires était « en perte de vitesse » par rapport à d'autres types de cellules souches et n'apparaissait plus comme la voie la plus prometteuse, bien qu'il faille la laisser ouverte. Dès lors, est-ce vraiment la peine d'opérer une distinction entre embryon et cellules embryonnaires pour leur appliquer un régime de recherche différent ? Est-ce possible à la fois sur le plan biologique et sur le plan éthique ? Et surtout serait-ce utile ? Si les chercheurs ne travaillent plus beaucoup sur les cellules souches embryonnaires et si le dispositif actuel ne handicape pas la recherche française, c'est-à-dire s'il n'y a pas de problèmes pratiques, pourquoi se poser tant de questions éthiques ? Après avoir exploré le champ des possibles, j'en suis venu à me dire qu'un régime unique d'interdiction avec dérogation avait le mérite de la clarté par rapport à un régime qui distinguerait entre les recherches sur l'embryon, interdites avec dérogation, et celles sur les cellules souches embryonnaires, autorisées – avec encadrement car il ne saurait être question néanmoins d'autoriser sur elles des recherches pour mettre au point par exemple des produits cosmétiques. Après ce long cheminement, j'en suis revenu au premier stade de ma réflexion, mais n'est-ce pas souvent le cas en matière d'éthique ?
Le régime actuel d'interdiction assortie de dérogations vous paraît-il, professeur Jouannet, pénaliser la recherche française ? Les chercheurs qui souhaiteraient que la recherche sur les cellules souches embryonnaires soit autorisée nous ont dit que le régime actuel ne les gênait pas dans leurs recherches mais pouvait constituer un frein à des investissements industriels, ce qui ne me paraît pas un argument éthique.