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Intervention de Martin Bethenod

Réunion du 19 janvier 2011 à 10h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Martin Bethenod, directeur du Palazzo Grassi :

Après avoir dirigé la foire internationale d'art contemporain (FIAC) pendant cinq ans, j'ai pris quelque distance avec ce marché. Mais, à la lumière de cette première expérience et aussi de la mission d'étude qui a débouché sur le rapport que vous venez de mentionner, j'ai pu adopter le point de vue d'un acteur économique du marché de l'art qui se demande comment regagner des parts de marché, comment se positionner, comment se développer, comment, d'une manière plus générale, redonner du lustre à la place de Paris, valoriser la scène artistique française marchande et non marchande, et affirmer la capacité de tous les acteurs à se fédérer.

Nous parlons d'un domaine auquel il est très difficile d'appliquer le volontarisme qui peut s'exercer ailleurs. Le dynamisme du marché de l'art dépend d'éléments fragiles : la capacité de ce marché à se fédérer en mettant en avant ce qui rassemble ses acteurs plutôt que ce qui les oppose ; l'instauration d'un climat global de confiance ; la compétitivité, qui peut souffrir de certaines distorsions de concurrence sur le plan international car le marché de l'art est l'un des plus mobiles qui soit, tout vendeur et tout acheteur passant très facilement d'une place à l'autre.

Lorsque j'ai commencé l'étude que m'avait confiée Mme Christine Albanel, tous les acteurs et les observateurs du marché de l'art que je rencontrais me décrivaient celui-ci comme un maquis d'intérêts antagonistes souvent inconciliables : le premier marché contre le second marché, les maisons de ventes contre les galeries, les grandes maisons de ventes contre les petites, le contemporain contre l'ancien, les courtiers contre les galeristes… En ressortait l'impression que, quelque initiative que l'on prenne, elle susciterait plus de mécontentements que de satisfactions, ce qui est un facteur d'immobilisme assez puissant. De plus, m'expliquait-on, ces oppositions prospéraient dans un climat général menaçant, celui du clivage majeur entre secteur privé et secteur public consubstantiel au système français, nourri de méfiance et d'incompréhension mutuelles.

Mais, dans l'exercice de mes fonctions à la FIAC, j'ai pu me rendre compte qu'à l'occasion de cette foire, la scène parisienne bénéficie d'un dynamisme suffisant pour que les commissaires-priseurs organisent à ce moment-là des ventes importantes, et de grandes institutions culturelles publiques leurs vernissages. Il m'est donc apparu qu'une synergie, non seulement de l'ensemble des galeries mais de tous les acteurs du marché de l'art, était possible ; la fatalité des antagonismes paraissait surmontable, des éléments de consensus pouvaient naître. De même, pour conduire notre étude, nous avons rencontré plus d'une centaine d'acteurs du marché de l'art et nous avons ainsi pris conscience que certaines convergences étaient envisageables. C'est pourquoi nous avons privilégié deux orientations.

La première porte sur le nécessaire développement, en France, du nombre des collectionneurs, car on ne peut imaginer un marché de l'art durablement fort sans une forte demande intérieure. L'affirmation de cette priorité doit conduire d'une part à créer des incitations en leur faveur – principalement symboliques par la voie de la reconnaissance et de la valorisation –, d'autre part à instaurer un climat de confiance en rendant plus largement et plus facilement applicables les dispositifs existants que sont la dation, le mécénat et les textes relatifs aux trésors nationaux.

Le deuxième axe doit être de renforcer la compétitivité de la place de Paris face à ses concurrentes. Il est évident que, dans un marché mondial et mobile, tout dispositif réglementaire et technique visant à protéger tel ou tel acteur en isolant le marché français de l'art, en l'érigeant en exception, manque son but et fragilise l'ensemble du marché en détournant ses flux vers d'autres scènes. Au-delà des antagonismes, c'est bien d'un dynamisme global que nous avons besoin.

La question des coûts de transaction, tout aussi importante, amène à celle du droit de suite. On s'est beaucoup demandé en quoi celui-ci nous dessert. C'est qu'il introduit une distorsion dans le marché international de l'art au détriment des pays qui l'appliquent. Cette distorsion serait justifiée si le droit de suite produisait par ailleurs des effets positifs. Il faut donc se demander s'il sert et à quoi il sert. Or toutes les études ont montré que le droit de suite n'a pas vraiment d'impact redistributif et qu'il tient plutôt de l'effet d'aubaine pour certaines successions importantes. La priorité doit-elle être de faire d'une rente aux ayants droit d'artistes disparus le coeur de l'organisation du marché français de l'art ? Je ne le crois pas, et je pense qu'en se focalisant sur cette question on évite de s'interroger sur les thèmes autrement plus importants que sont la rémunération et les moyens de subsistance des artistes, autrement dit leur statut économique et social.

Enfin, pour avoir assisté récemment, à Florence, à une table ronde sur un sujet connexe à laquelle participaient plusieurs hauts responsables internationaux de foires et de maisons de ventes ainsi que de grands antiquaires milanais et new-yorkais, je puis vous dire que nombre d'entre eux, notamment les Italiens, considèrent la réglementation française du marché de l'art comme un modèle. Il faut nous en souvenir quand nous exprimons des points de vue critiques.

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