Je partage pleinement le souci d'assurer au logement social, et à la politique de la ville en général, la pérennité de son financement. Je ne plaide pas pour une atténuation du fléchage vers les petites et moyennes entreprises. Les parlementaires ont marqué leur attachement à ce financement de l'économie.
La situation n'a rien d'alarmant, si les pouvoirs publics savent agir sur les bons paramètres et se gardent de se fixer des objectifs contre-productifs. Comme en matière fiscale, il faut éviter l'effet pervers qui amène une baisse des recettes après une hausse du taux d'imposition, du fait d'une réduction corrélative de l'assiette. Les prêts octroyés sont aujourd'hui couverts à près de 155 %, soit beaucoup plus que les 125 % légalement requis. Cela est dû au dynamisme de la collecte sur les livrets A, qui a augmenté de 5 % en 2010. Avec un taux de rémunération devant passer à 2 % au 1er février 2011, le succès ne devrait pas se démentir. D'une manière générale, et par construction, le livret A, réserve d'épargne garantie par l'État, rémunérée au moins au taux d'inflation plus 0,25 % et défiscalisée, et libre à tout moment, reste attractif. Aussi le seuil plancher des 125 % ne risque-t-il pas, dans une hypothèse conservatrice, d'être franchi.
Pour parer à tout imprévu, des précautions paraissent néanmoins nécessaires. Je m'interroge pourtant sur le système du corridor envisagé par le décret. Il me paraîtrait préférable de définir un seuil d'alerte, à 135 % par exemple, auquel le Gouvernement serait tenu, après une analyse des causes de la moindre collecte, de revoir les paramètres de la centralisation. En l'état, le système est de facto équilibré, pour peu que la collecte ne soit pas découragée. En revanche, si les conditions faites aux réseaux sont dissuasives, ils seront induits à faire baisser les en-cours au profit d'autres supports d'épargne.
Le paysage de l'épargne française présente des particularités : depuis les réformes du milieu des années 1980, la part d'OPCVM détenue par les ménages est supérieure à la moyenne européenne ; les livrets centralisés et réglementés occupent une place à part ; l'assurance-vie est enfin très développée. Les dépôts dans les banques françaises sont inférieurs à la moyenne européenne, même si cela est en partie compensé par les certificats de dépôt souscrits en particulier par les SICAV monétaires. Les nouvelles règles de liquidité imposées par Bâle III, encore en phase d'observation, privilégient cependant très fortement, dans le calcul des ratios, les dépôts de clientèle.
Exiger des banques un niveau plus élevé de centralisation des encours des livrets réglementés reviendrait ainsi à accuser encore les particularités de l'épargne française. C'est pourquoi il faut soigneusement peser le bon équilibre en ce domaine. Le problème se pose dans des termes analogues à ceux qui président à la définition d'un taux d'imposition : la recherche d'une maximisation des recettes fiscales ne saurait, sans se contredire, engendrer une réduction de l'assiette d'imposition.
Or, quels que soient les paramètres retenus, les nouveaux distributeurs de livrets réglementés devront, d'après le projet de décret, centraliser des montants supérieurs à la croissance de la collecte. L'effort supplémentaire représente 25 milliards d'euros, au moment même où les dépôts inscrits à leur bilan doivent augmenter… Les marges de rentabilité sont certes faibles dans le secteur du prêt aux petites et moyennes entreprises. Mais les quelque 0,75 % ou 0,80 % atteints restent supérieurs au 0,5 %, voire au 0,3 %, envisagés sur le livret A. En l'état actuel, les banques ont donc plutôt intérêt à octroyer des prêts aux entreprises et à renforcer leurs fonds propres.
De ce fait, il paraît risqué d'imposer à la fois un fort taux de centralisation et un faible commissionnement, dans la mesure où les établissements bancaires seraient alors incités à développer des produits concurrents aux livrets réglementés. Trop sévères, les règles de collecte seraient finalement contre-productives.
Quelle est alors la meilleure équation possible ? L'économie actuelle du dispositif ne doit pas être bouleversée. Certaines aspérités méritent d'être gommées, d'autres risques peuvent diminuer grâce à une modification à la marge des paramètres. À collecte constante, le financement du logement social est assuré. Le risque de moindre collecte serait cependant moins important si la période de convergence était allongée, passant par exemple de sept ans à dix ans. De même, il serait sage de renoncer à la disparité des taux de commissionnement, en évitant un taux à 0,3 % qui dissuaderait les établissements bancaires de distribuer les livrets réglementés, alors même qu'ils doivent déjà centraliser plus qu'ils ne collectent. En alignant d'emblée les taux sur 0,5 %, les pouvoirs publics les protégeraient contre cette « double peine ». Quant à réviser le taux de commissionnement chaque mois… je pense qu'il est bien préférable de le maintenir à un niveau constant. Enfin, la couverture des en-cours à 125 % serait suffisamment garantie par la définition d'un taux d'alerte.
Vous m'avez également interrogé, M. le Président, sur le fléchage de l'épargne réglementée collectée vers le financement des PME. Pour l'heure, nous sommes dans une phase de transition car nous ne disposons pas encore de statistiques par établissement de crédit. Les systèmes informatiques sont en effet très longs à adapter afin de permettre aux banques d'identifier les crédits consentis aux PME, d'autant qu'il s'agit d'incorporer un paramètre – la définition européenne de la PME – jusqu'alors absent.