Je vous présente une proposition de loi qui a peu à voir avec la politique, peu à voir avec la lutte contre le tabagisme – moi-même ne suis pas fumeur –, mais beaucoup à voir avec la protection des oeuvres de l'esprit et des oeuvres culturelles.
Elle est née de l'observation, dans le métro, des affiches de l'exposition consacrée à Jacques Tati par la Cinémathèque en 2008, sur lesquelles on avait remplacé sa pipe légendaire par un moulin à vent. Intrigué, j'ai mené mon enquête et découvert que la régie publicitaire de la RATP – Métrobus – avait procédé à cette substitution pour se protéger contre d'éventuelles poursuites menées par les associations anti-tabac qui, certes, mènent un combat louable, mais dont les conséquences sont, en l'espèce, surprenantes.
Mais on peut citer d'autres exemples de censure, qui ont fait beaucoup parler d'eux : ainsi, le catalogue de l'exposition sur Jean-Paul Sartre à la Bibliothèque nationale de France, dans lequel une photo a été trafiquée en vue de faire disparaître la cigarette du philosophe, ou le timbre consacré à André Malraux qui reproduit la célèbre photo de Gisèle Freund mais sans cigarette. Il y en a bien d'autres, que je cite dans le rapport.
Ce qui me paraît grave, dans cette affaire, c'est d'avoir cédé sur le respect que l'on doit aux oeuvres de l'esprit. Gisèle Freund est une grande artiste. Et pourtant, au nom d'un consensus hygiéniste, pavé de bonnes intentions, on finit par transformer des oeuvres d'art et, plus grave, la réalité historique. Cela rappelle – et c'est l'aspect le plus dérangeant – des pratiques qui ont eu cours dans les régimes totalitaires, visant à retoucher des photographies pour faire disparaître des responsables tombés en disgrâce.
Or, à partir du moment où l'on met le doigt dans cet engrenage, qui sait où ce processus peut nous conduire ?
En outre, le combat mené par les associations anti-tabac se réfère à un système de valeurs, parfaitement respectable, mais qui peut évoluer. Or où en sera le consensus social concernant la santé d'ici quinze ans ? Personne ne peut le dire.
Par ailleurs, le fait que Sartre fumait, comme Malraux ou Camus, reflète un certain état de notre société, lequel a bien existé. Cela fait partie de la personnalité publique de ces grandes figures culturelles. Leurs portraits sont le reflet d'un moment précis de notre histoire culturelle.
Pour toutes ces raisons, il est absurde, au nom de la lutte contre le tabagisme, de censurer l'histoire.
En menant mes investigations, je pensais que cette situation aurait pu se régler par des ajustements. Or, avec l'aide de juristes, je suis arrivé à la conclusion que seule une initiative législative permettrait d'apporter une solution au problème rencontré, sans dénaturer, pour autant, les principes de la loi du 10 janvier 1991, relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, dite loi Évin, lesquels doivent être préservés. Ce texte prévoit en effet plusieurs exceptions à l'interdiction de propagande directe ou indirecte pour le tabac. Je propose donc d'ajouter une autre exception, limitée et qui ne s'appliquera qu'aux oeuvres culturelles et artistiques, à certaines conditions.
Plus précisément, cette exception concerne, selon l'article unique de la proposition de loi, les « oeuvres artistiques et culturelles mises à disposition du public au sein desquelles figurent une image ou une référence liées au tabac, non financées directement ou indirectement par l'industrie du tabac et qui n'ont pas pour objet d'en faire de la publicité ou de la propagande ».
Vous l'avez compris : mon souci est de ne pas porter atteinte aux dispositions de la loi Évin. Je me suis d'ailleurs entretenu avec l'auteur de ce texte, qui s'est dit étonné de l'application excessive qui en est faite.
Il faut s'interdire de retoucher les oeuvres d'art. Car si, aujourd'hui, l'on retouche des affiches ou des reproductions d'oeuvres, on peut imaginer que demain – la foi qui anime les associations de lutte contre le tabagisme étant grande et pouvant les emmener assez loin –, on veuille retoucher les oeuvres d'art elles-mêmes, des films, des oeuvres audiovisuelles, etc.
Si l'on admet un tel principe, il ne faudra pas s'étonner que demain, d'autres groupes de pression, au nom d'autres causes, veuillent porter atteinte à notre héritage culturel. Je vous propose donc, avec ce texte, de renouer avec l'héritage des Lumières, qui est celui de la défense de la liberté d'expression. L'objet de cette proposition de loi est simple et je me réjouis qu'elle puisse cheminer jusqu'à la séance, ce dont je ne m'étais absolument pas douté en la déposant. Je suis heureux, par cette initiative, de me mettre au service du respect de l'intégrité de l'histoire et de la liberté d'expression. Mes collègues du groupe socialiste m'ont approuvé dans ma démarche.