Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Philippe Lefort

Réunion du 12 janvier 2011 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Philippe Lefort :

La France a reconnu l'indépendance du Kosovo dès le lendemain de sa proclamation. Cet acte fondateur de notre politique à l'égard de ce pays est l'aboutissement de longues années de réflexion et de débat. La France a fait le pari qu'un Kosovo indépendant – davantage qu'un Kosovo sous tutelle internationale – est un gage de stabilité régionale, étant entendu que l'option d'un retour du territoire sous souveraineté effective serbe était, compte tenu de la situation créée par le conflit, exclue. L'évolution récente de la situation nous donne raison, et nous partageons cette conviction avec la grande majorité de nos partenaires de l'Union européenne. Trois indicateurs nous permettent de le mesurer.

- Les élections. Nous souscrivons entièrement aux observations de M. Ménard. Ajoutons que les Serbes ont participé au scrutin dans une proportion plus importante encore que lors des élections municipales. Ainsi, le pari d'un Kosovo indépendant plus respectueux de ses minorités est en passe d'être remporté.

- Le transfert progressif des responsabilités des internationaux aux pouvoirs publics kosovars. La MINUK ne dispose plus aujourd'hui que d'une présence résiduelle, et 90 % des objectifs du plan Ahtisaari ont été atteints. Les autorités internationales n'ont pas vocation à rester éternellement au Kosovo, et leurs pouvoirs doivent être progressivement transférés aux autorités nationales élues. Le Kosovo est un Etat en construction ; si des problèmes demeurent, comme l'ont montré les élections, la tendance actuelle est néanmoins encourageante. L'OTAN a pris acte de l'amélioration de la situation en matière de sécurité, et a désormais adopté une posture de dissuasion.

C'est au Kosovo que l'Union européenne conduit la mission la plus importante de son histoire. Eulex concerne les domaines de la justice, de la police et des douanes. La France figure parmi les principaux contributeurs, avec notamment 190 membres du personnel sur le terrain. Elle dispose donc d'une réelle visibilité de la situation au Kosovo. A cet égard, il est tout à fait inexact de prétendre que le Kosovo est un Etat criminel. Les statistiques criminelles montrent le contraire. En dépit des difficultés qu'elle connaît, la société kosovare se rapproche peu à peu des normes européennes. Le Kosovo a une vocation européenne, comme l'a confirmé le Conseil Affaires générales du 14 décembre dernier. A terme, le Kosovo bénéficiera de l'exemption de l'obligation de visa dès lors que les conditions – que la France a souhaité strictes – seront remplies.

- Le dialogue naissant entre Belgrade et Priština est un autre élément d'espoir. Suite à l'avis de la Cour internationale de Justice, à l'adoption de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies – acceptée par les Serbes et les Kosovars – et à la désignation de négociateurs par les deux parties, le dialogue est en train de s'ouvrir. Il portera dans un premier temps sur un certain nombre de problèmes concrets et sensibles, tel que celui des personnes disparues. La France souhaite la réconciliation des deux pays, l'un et l'autre ayant vocation, à terme, à intégrer l'Union européenne.

Je conclurai en évoquant le rapport Marty. Le 14 décembre dernier, M. Dick Marty, parlementaire suisse et membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, a diffusé un rapport qui, se fondant sur des déclarations de l'ancienne procureur auprès du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, comporte des allégations concernant des crimes de guerre, notamment des trafics d'organes qu'auraient perpétrés l'Armée de libération du Kosovo pendant et après le conflit serbo-kosovar. Ces accusations sont graves et appellent à la prudence. Elles doivent être clarifiées et nécessitent des investigations supplémentaires. A ce stade, M. Marty n'ayant pas recueilli d'autres éléments que des témoignages, anonymes et indirects pour la plupart, les éléments contenus dans son rapport ne peuvent pas être considérés comme des preuves.

En outre, ledit rapport établit un lien entre une affaire criminelle de droit commun parvenue à maturité à la mi-décembre, qui concerne un trafic d'organes découvert par la police kosovare et Eulex, et des événements qui se seraient produits au cours du conflit de 1999. En l'état actuel des choses, ce lien n'est pas établi. Il est indispensable de faire toute la lumière sur ce point. La mission Eulex est chargée d'enquêter sur le sujet. Nous soutenons son action, ainsi que celle des magistrats kosovars qui travaillent sur ces accusations. Les autorités du Kosovo se sont engagées à coopérer pleinement à ces investigations, et nous comptons sur elles pour qu'elles tiennent cet engagement.

L'héritage des guerres yougoslaves du siècle dernier est lourd. Pour éviter qu'elles ne se reproduisent, il est indispensable de faire la lumière sur toutes les exactions qui ont pu être commises alors. Il est indispensable que les faits soient établis et que les victimes soient reconnues, pour casser le cycle des violences et établir une paix définitives. Les guerres yougoslaves du XXème siècle se sont nourries du décalage entre mémoires familiales et mémoire officielle, qui a conduit à la naissance de mythes meurtriers. Enfin, il est impératif de ne pas gêner le travail de mémoire en faisant un usage politique de ces affaires difficiles, tant pour les Serbes que pour les Kosovars. Les responsables politiques doivent, sur ce point, faire preuve de courage et d'abnégation, et nous devons les y aider, mais en évitant à tout prix d'instrumentaliser de telles affaires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion