L'indépendance du Kosovo est le dernier maillon de la chaîne que représente la dissolution de l'ancienne Yougoslavie. Le Kosovo comme ses voisins font donc face à des problèmes communs. Ce sont des « Etats inachevés », selon le mot de M. Veton Surroi, intellectuel kosovar qui a fondé Koha Ditore, le principal quotidien du pays. Le Kosovo est inachevé dans la mesure où il demeure sous supervision internationale, via la MINUK et Eulex, et parce qu'il poursuit sa quête de reconnaissance : 73 Etats ont déjà reconnu sa souveraineté, dont la Macédoine, le Monténégro et l'Albanie, mais ni la Grèce ni la Serbie ne l'ont encore fait. De même, la Bosnie-Herzégovine est un Etat inachevé, puisque sa Constitution est en suspens, et pour cause : les constitutions rédigées dans ces pays avaient pour objectif de réaliser la paix, et non d'établir un système de gouvernance démocratique. La Constitution bosniaque issue des accords de Dayton vise à instaurer la paix par la séparation de deux entités, l'une serbe et l'autre croato-musulmane, qui coexistent au moyen d'un millefeuille institutionnel d'une complexité inouïe. Le blocage actuel en est la conséquence. Comme dans Une lettre perdue, pièce de l'auteur roumain Ion Caragiale, deux positions s'affrontent : celle de M. Silajdžić, qui souhaite réunifier les deux entités tout en conservant la Constitution, et celle de M. Dodik, pour qui la séparation doit être maintenue et la Constitution révisée. La Serbie elle-même, ne reconnaissant pas la souveraineté du Kosovo et, de ce fait, étant incertaine de ses propres frontières, est un Etat inachevé, comme l'est la Macédoine, qui continue de lutter pour faire reconnaître son nom – condition de son entrée dans l'OTAN et dans l'Union européenne.
Dans un tel contexte régional, l'indépendance du Kosovo est-elle un facteur de stabilité ou le contraire ? Il n'est pas évident qu'elle aggrave l'instabilité. Les voisins les plus vulnérables que sont le Monténégro et la Macédoine ont d'ailleurs été les premiers à reconnaître l'indépendance du Kosovo. En revanche, la relation avec la Serbie demeure problématique, et le Kosovo est susceptible d'être invoqué comme précédent par les Serbes de Bosnie qui revendiquent l'indépendance de la Republika Srpska – une posture purement rhétorique et sans avenir concret. A preuve, M. Dodik a étayé ses aspirations indépendantistes avec l'exemple du Monténégro comme avec celui du Kosovo, appuyant l'indépendance du premier, refusant celle du second et invoquant dans les deux cas un précédent justifiant la souveraineté de son entité. Ajoutons enfin que l'histoire est riche de gangsters et de terroristes devenus dirigeants politiques, qu'il s'agisse de Gerry Adams en Irlande ou de Menahem Begin en Israël. One man's terrorist is another man's freedom fighter : le terroriste des uns est le libérateur des autres, disent les Anglais. L'essentiel consiste à savoir comment, après le conflit, intégrer les factions violentes au processus politique. Ainsi, en Macédoine, la guérilla lancée en 2000 sur le modèle de l'UČK par M. Ahmeti a rapidement été désamorcée par la communauté internationale, M. Ahmeti participant ensuite avec le parti socialiste à un gouvernement de coalition – surnommé Guns'n Roses – qui, s'agissant de la relation avec la Grèce et l'Europe, a donné de bien meilleurs résultats que le gouvernement nationaliste albanais, par exemple, beaucoup plus intransigeant.
Venons-en pour conclure à la relation entre le Kosovo et la Serbie. M. Milošević avait d'abord imposé une sorte d'apartheid au Kosovo. M. Kostunica a ensuite choisi le statu quo, prétendant que le Kosovo était serbe tout en envisageant en coulisses des hypothèses de partage territorial. La phase actuelle est la plus prometteuse : suite à la décision de la Cour internationale de justice selon laquelle l'indépendance du Kosovo n'est pas contraire au droit international, M. Tadić, le président serbe le plus pro-européen, a, tout en conservant la même position de principe, adopté une attitude pragmatique à l'égard du Kosovo, proposant notamment aux Nations unies une résolution commune avec l'Union européenne visant à ouvrir des négociations directes entre Belgrade et Priština. Cette démarche réaliste, potentiellement risquée au plan électoral, s'explique principalement par la nécessité pour la Serbie d'entretenir des relations apaisées avec l'ensemble de ses voisins dans la perspective de rejoindre l'Union européenne. Cette ambition européenne de la Serbie explique les gestes de réconciliation avec la Croatie d'abord, la Bosnie ensuite et, enfin, avec le Kosovo. Et certains milieux nationalistes en Serbie exploitent déjà le rapport Marty pour torpiller cette démarche.