Cela signifie que ni l'auteur ni la victime n'ont accès au dossier avant l'audience devant le tribunal. Ils ne peuvent pas demander des investigations ou des expertises complémentaires ; ils ne peuvent ni discuter ni solliciter des éléments qui permettraient de rechercher une vérité nouvelle ou de comprendre les conditions dans lesquelles l'infraction a été constituée.
L'introduction de la garde à vue va changer cela, mais dans le temps très précis de la garde à vue. À cet égard, il nous manque des réponses sur deux sujets.
Premièrement, après la garde à vue, tout le monde n'est pas déféré, c'est-à-dire transporté au tribunal pour y comparaître immédiatement, soit devant un juge d'instruction, soit devant le tribunal correctionnel.
Ceux qui seront convoqués de nouveau et qui reviendront pour une audition qui se fera, cette fois, en dehors de la garde à vue – puisqu'ils seront revenus volontairement et qu'il n'y aura pas de contrainte exercée à leur encontre – seront privés de l'accès au dossier et du recours à un avocat. Ils auront été assistés par un avocat pendant un temps, celui de la garde à vue, mais ne le seront plus après.
Deuxièmement, vous avez rappelé à juste titre, monsieur le ministre, que, sur les 1,5 million de dossiers qui sont transmis au parquet avec un auteur identifié, il n'y a pas de garde à vue dans près de la moitié des cas.
Dès lors, ceux qui se seront présentés volontairement au commissariat, qui auront fait preuve en quelque sorte d'un esprit citoyen – ils auront tout simplement répondu à la convocation et seront venus s'expliquer –, ne bénéficieront pas de cette enquête contradictoire.
Nous sommes là au coeur d'une contradiction politique car il y aura deux régimes pour les personnes poursuivies : un pour ceux qui sont peut-être les plus récalcitrants, qui auront fait l'objet d'une mesure de garde à vue, et un autre pour ceux que j'appellerai les plus complaisants – ne voyez aucune critique de ma part dans l'usage de ce terme –, qui n'auront bénéficié d'aucun des droits attachés à la garde à vue.
Au-delà de la question du contradictoire, le texte pose celle du statut et du rôle du procureur. Pour que ce statut soit consolidé, la nomination doit être désormais indépendante du pouvoir exécutif, et cela quel qu'il soit, quelle que soit – pour dire les choses clairement – sa couleur politique.
Par ailleurs, le procureur est aussi l'autorité poursuivante. Si, aujourd'hui, la prolongation de la garde à vue peut être prononcée par le procureur sans trop de risques juridiques, il serait peut-être utile de la consolider en la transférant au juge des libertés et de la détention, le JLD.
Je mesure la difficulté car nous savons parfaitement que, si les deux mille procureurs n'arrivent déjà pas à contrôler effectivement la garde à vue, les cinq cents juges de la liberté et de la détention environ qui existent dans notre pays vont avoir encore plus de mal à le faire ; mais peut-être faut-il planifier la mesure dans le temps.
Il faudra également penser au statut des JLD. Il convient de le consolider pour que leur inamovibilité et leur grade soient suffisants.
Une autre difficulté, très importante, réside dans la décision de retarder la présence de l'avocat lors des auditions ou la possibilité pour l'avocat de prendre connaissance du dossier.
Si, comme nous l'explique la Cour européenne des droits de l'homme, le procureur est une autorité poursuivante, il est donc partie au procès. Or, dans l'esprit de la Cour de Strasbourg, aucune partie au procès, quand bien même elle aurait des prérogatives particulières – en l'occurrence, la charge de représenter l'intérêt général –, ne peut priver l'autre de ses droits.