Vous voulez accréditer l'idée que nous rejetterions l'idée d'une réforme positive de la garde à vue. Nous risquons de vous surprendre ! Car notre état d'esprit, ce n'est pas forcément de voter contre, au terme de ce débat. Irons-nous jusqu'à aller plus loin qu'une abstention ? Nous le verrons, c'est le débat qui le dira. Mais laisser entendre que les propos de M. Braouezec veulent dire ce que vous voulez leur faire dire, dans le but d'une utilisation politicienne, c'est quelque chose que nous condamnons. Et nous trouvons ce procédé, je le répète, médiocre.
Cela dit, je ne vais pas revenir sur l'ensemble des arguments développés par mon ami Patrick Braouezec. Je n'en soulignerai qu'un seul, qui, s'il avait été entendu, aurait complètement modifié les termes et la physionomie de ce débat. Je veux parler de l'indépendance du parquet.
Hélas, ce chantier est l'un des rares que le chef de l'État n'envisage pas d'ouvrir. Et nous le regrettons profondément. Nous ne sommes pas les seuls. Je rappelle que le procureur général de la Cour de cassation affirmait, au début de ce mois, que le ministère public était proche d'un coma dépassé. Le procureur général près la cour d'appel de Paris a répondu en écho qu'il s'agissait d'un coma artificiel, parce que tout le monde savait comment on en était arrivé là.
Le Gouvernement est resté sourd à ces invitations à la réflexion sur le statut du magistrat du parquet, comme aux prises de position, sur ce point, des deux organisations syndicales représentatives de l'ensemble des magistrats, ainsi qu'à une majorité des parquetiers eux-mêmes.
Cette surdité donne tout leur sens aux déclarations des gardes des sceaux qui vous ont précédé, monsieur le ministre, et que vous reprenez aujourd'hui à votre compte, ou en tout cas que votre gouvernement reprend à son compte. Je rappelle ce que disait Mme Rachida Dati en 2007, il n'y a donc pas si longtemps : elle affirmait avec force qu'elle était le chef des procureurs, avec tout ce que vous pouvez en déduire quant à leur indépendance. M. Garraud nous dit, en commission, que ce sont des magistrats, et des magistrats indépendants ! Oui, ce sont des magistrats, mais leur indépendance est largement limitée.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, aussi longtemps que la majorité refusera de rompre avec l'ambiguïté qu'entraîne la confusion des rôles d'un homme assumant simultanément les missions d'autorité de poursuite, de juge de paix et de garant des libertés, tout en restant dépendant de l'exécutif – ce qui, convenez-en, met à mal l'indépendance du pouvoir judiciaire –, aussi longtemps que vous refuserez aux magistrats du parquet les mêmes garanties d'indépendance statutaire que celles accordées aux magistrats du siège, vous condamnerez la politique pénale de notre pays à ne pouvoir faire l'objet que d'aménagements à la marge, votre gouvernement ayant renoncé à mettre en oeuvre une réforme d'ampleur.
Je veux rappeler la position de la Cour européenne des droits de l'homme, car si les initiés savent ce que contiennent les deux arrêts qu'elle a rendus récemment, ce n'est pas le cas de tout le monde. L'arrêt Medvedyev, rendu contre la France, a été l'occasion pour la CEDH d'affirmer que « le magistrat doit présenter les garanties requises d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l'instar du ministère public. » Selon la Cour européenne des droits de l'homme, l'autorité de poursuite ne peut donc pas être le juge devant lequel la personne privée de liberté est déférée pour juger de la légalité et de la nécessité de l'arrestation et de la privation de liberté. Or la garde à vue est une privation de liberté !
Dans un arrêt plus récent, condamnant la France pour violation de l'article 5, alinéa 3, la Cour considère que « du fait de leur statut ainsi rappelé, les membres du ministère public en France ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif qui, selon une jurisprudence constante, compte au même titre que l'impartialité parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de magistrat au sens de l'article 5, alinéa 3 ». La Cour rappelle également que « les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties excluent notamment qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale ».