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Intervention de Augustin de Romanet

Réunion du 12 janvier 2011 à 10h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Je remercie à mon tour la Commission des finances de se saisir de ce sujet en effet crucial pour le financement de nos investissements de long terme au cours de la décennie qui vient. Sous l'apparence d'un décret anodin, c'est en fait tout l'équilibre de l'épargne réglementée qui est en jeu. L'engagement de la commission de surveillance et de son président est donc précieux pour donner voix au « lobby » des bénéficiaires des infrastructures de demain, qui n'a que rarement la parole.

Je souhaite tout d'abord vous présenter le fonds d'épargne, qui est assez méconnu, sans doute parce qu'intervenant pour le compte de l'État et à son bénéfice financier exclusif, il est géré en toute discrétion dans un compte séparé. Je vais donc passer en revue les cinq traits qui me semblent le caractériser : c'est un auxiliaire des politiques publiques ; un contributeur budgétaire ; un instrument de financement de long terme du logement social, mais aussi dans d'autres domaines ; un instrument qui a « explosé » au cours des dix dernières années et, enfin, un outil robuste.

L'épargne collectée, le « gâteau » dont nous avons aujourd'hui à organiser la distribution, est constituée de 185 milliards d'euros d'encours de livret A et de 70 milliards d'encours de livret de développement durable – LDD –. Avant la LME, la totalité des encours du livret A était centralisée, ainsi que 19 % des encours du LDD. Quand les deux livrets ont été fusionnés, le Gouvernement a recherché, pour éviter que l'un ne « cannibalise » l'autre, un taux moyen permettant d'égaliser la ressource du fonds d'épargne. C'est ainsi qu'a été arrêté le taux de 70 %.

Sur cet ensemble de 255 milliards d'euros, 87 milliards sont conservés dans les bilans des banques et sont fongibles avec les dépôts bancaires des particuliers, tandis que le solde est centralisé à la Caisse des dépôts. Avec ce solde, d'une part, nous consentons des prêts – pour le logement social, pour la politique de la ville, pour les infrastructures, les hôpitaux et les universités – et, d'autre part, nous souscrivons des actifs financiers – 10 % d'actions et 90 % d'obligations – afin d'être à tout moment en mesure de rendre l'argent aux épargnants qui sont en droit de le demander du jour au lendemain puisqu'il s'agit de dépôts à vue.

Cette machine à transformer l'épargne des Français – dont François Bloch-Lainé disait qu'elle permettait de transformer « des liquidités en barrages » et qui permet surtout aujourd'hui de les transformer en « briques » – produit un résultat financier qui est principalement dû au rendement des actifs financiers puisque les prêts sont faits à prix coûtant. En fait, plus la Caisse a d'actifs financiers pour assurer la sécurité des épargnants, plus elle peut dégager de résultat, qui revient en totalité à l'État.

En deuxième lieu, le fonds d'épargne est un contributeur budgétaire. Sa gestion étant assurée par la Caisse des dépôts à prix coûtant – qui correspond aux frais de personnel et d'informatique –, tout le solde va à l'État, auquel nous avons ainsi versé 70 milliards d'euros depuis 1984. La capacité bénéficiaire du fonds se reconstituant depuis 2010, on peut considérer qu'il est à l'heure actuelle en mesure de verser à l'État un milliard d'euros par an.

En troisième lieu, historiquement, le fonds d'épargne est intervenu principalement pour financer le logement social et la politique de la ville – à hauteur de 90 % des encours totaux. Mais, au moment de la crise, il a été mobilisé de façon instantanée pour deux nouvelles missions. La première a été une mission éclair de prêts aux collectivités locales : lorsque l'accès au crédit a été fermé à ces dernières en octobre 2008, la Caisse a ouvert du jour au lendemain une enveloppe de cinq milliards d'euros de prêts. Son autre mission a consisté en des prêts en faveur des infrastructures de transport. Ainsi, par exemple, 500 millions d'euros ont été destinés à la modernisation des chemins de fer en Midi-Pyrénées. De même, nous nous sommes engagés en faveur des lignes à grande vitesse Sud-est-Atlantique et Bretagne, dont le financement serait difficile sans ces prêts dont je redis qu'ils sont à échéance de quarante ans, alors que le système bancaire français a du mal à aller au-delà de douze ans. En fait, ce débat nous amène à nous demander si nous sommes mûrs pour passer à un financement des infrastructures de transport comme aux États-Unis, sans fonds d'épargne, mais à base de project bonds. Outre les emplois classiques et les nouveaux emplois, le fonds d'épargne est aussi consacré à des financements en direction d'OSEO.

Le fonds d'épargne est par ailleurs un système dynamique. Si l'on regarde le flux annuel de nouveaux prêts signés, on constate que celui-ci est passé de 5 137 millions d'euros en 2005 à 16 762 millions en 2009. Les prêts sur fonds d'épargne ont ainsi triplé. Il convient d'ajouter que le refinancement d'OSEO a été accru pendant la crise.

Cette dynamique est appelée à se poursuivre, ne serait-ce que pour continuer à résorber le déficit de logements : les encours de prêts, qui ont longtemps stagné à moins de 100 milliards d'euros, ont atteint 123 milliards à la fin de 2010 et devraient atteindre près de 180 milliards en 2016 et, probablement, 200 milliards en 2020.

Il y a donc eu un moment d'inflexion avec la crise financière, qui a été une crise de l'endettement financé par des ressources de très court terme, titrisées, d'engagements improbables. À cette occasion, le fonds d'épargne a montré sa capacité à répondre aux besoins de long terme. J'interprète donc sa forte montée en puissance dans les dix ans à venir comme un effet de l'impact, d'une part du plan de cohésion sociale et du programme national de renouvellement urbain, d'autre part d'une très forte demande de financement de long terme.

Enfin, tout au long de la crise financière, le fonds d'épargne a fait la preuve de sa robustesse puisqu'il n'a eu à subir aucun défaut de contrepartie. Les résultats ont été positifs même pendant la pire année de la crise. Le dispositif a en outre été réactif puisque nous avons pris 43 milliards d'euros d'engagements supplémentaires, notamment pour amorcer la SFEF, la Société de financement de l'économie française, en 2008, au plus fort de la crise financière et pour rendre de la liquidité aux banques. L'État a pu notamment décider de leur remettre à disposition 16 milliards d'euros, en réduisant, en quelques semaines, le taux de centralisation du LDD et du livret d'épargne populaire, le LEP.

Le fonds d'épargne est donc à la fois un auxiliaire des politiques publiques, un contributeur budgétaire et un instrument polyvalent, qui demeure solide malgré une activité en très forte croissance.

Avant d'en venir aux points clés du débat en cours, je veux vous indiquer que ce dernier n'a pas trait à un quelconque intérêt financier particulier de la Caisse des dépôts, qu'il n'y a aucune divergence d'intérêts entre elle et les banques, que l'enjeu est uniquement l'utilisation que l'État souhaite faire d'une liquidité dont on peut considérer, à raison des privilèges fiscaux que vous lui attachez, qu'elle constitue un bien public.

J'en viens donc plus directement à la question du niveau de centralisation de l'épargne réglementée au sein du fonds d'épargne. Le premier enjeu est la capacité d'intervention du fonds, en premier lieu dans les domaines du logement social et de la politique de la ville. La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 a apporté une garantie essentielle en prévoyant que le fonds d'épargne doit à tout moment disposer d'une centralisation supérieure ou égale à 125 % des encours de prêts au logement social et à la politique de la ville. Dès lors que nous anticipons une très forte croissance des emplois à ce titre, si l'on fait le rapprochement entre le produit de ces encours, auquel on applique ce taux de 125 %, et la croissance de la collecte de l'épargne réglementée, que l'on peut estimer à 2 % par an en moyenne, notre estimation – qui se situe à peu près entre celles du ministère du logement et de l'USH, qui sont un peu plus élevées, et celle de certains acteurs, notamment du monde bancaire, qui nous jugent trop optimistes – est que le simple respect du plancher législatif de centralisation par rapport aux encours imposera mécaniquement que le taux de centralisation remonte à environ 70 % vers 2017-2018, puis sans doute à 73 % en 2020. Un des éléments qui nous conduisent à souhaiter que le décret organise de façon plus automatique le mouvement vers les 70 %, c'est que, dès lors que ce qui va se produire est inéluctable, il nous incombe de l'organiser. À défaut, si le décret permettait d'emblée un décrochement trop important par rapport à ce taux, nous serions dans l'incapacité économique et politique de l'atteindre par la suite.

Outre que faire du plancher de 125 % une cible, comme y aboutirait le projet de décret, ne paraît guère conforme à l'esprit de la loi, cette situation contient en germe le risque d'un contingentement du financement du logement social : si c'est la croissance de l'assiette des 125 % qui impose une recentralisation progressive, on sera tenté un jour ou l'autre de limiter cette assiette, donc de réduire les prêts au logement social et à la politique de la ville. Surtout, une pression s'exercera pour que les prêts de long terme ne soient plus destinés à quelque autre usage que ce soit : infrastructures de transport, hôpitaux, universités ou assainissement.

En effet, la liste est longue des autres emplois, qui ne sont pas inclus dans le ratio de 125 %. À la suite de la suppression, en 2003, des crédits de paiement pour les transports collectifs en site propre, nous avions ouvert pour les tramways et les lignes de métro une enveloppe de 4 milliards d'euros de fonds d'épargne, qui a rencontré un très vif succès. Depuis lors, 2 milliards d'euros ont été consacrés au plan Hôpital 2012 et 1,5 milliard à la mise aux normes des stations d'épuration, imposée par la Commission européenne sous peine de lourdes pénalités. Le Président de la République a en outre décidé d'affecter 7 milliards d'euros au plan de relance de l'économie et un milliard aux universités. Enfin, OSEO est refinancé à hauteur de 5 milliards d'euros. C'est donc la pérennité de ce type d'interventions qui est en cause.

Certes, il n'appartient pas à la Caisse des dépôts d'identifier et de quantifier les futurs besoins de financement à long terme qui relèvent de la politique de l'État. Mais, compte tenu de la difficulté qu'ont les banques à assurer des financements au-delà de douze ans, il faut avoir présent à l'esprit que le bouclage financier des grands projets de TGV ne saurait plus se faire aujourd'hui sans le fonds d'épargne. Autre exemple, le Grand Paris : dans un pays aussi centralisé que le nôtre, la croissance de cette région est un enjeu national, la congestion de Paris étant insupportable pour les provinciaux comme pour les franciliens. Or, comment financer 60 milliards d'euros d'investissements – 30 pour les infrastructures de transport et 30 pour les nouvelles gares, les emprises foncières et la construction de nouveaux équipements autour de ces gares – sans recourir au fonds d'épargne ?

Le deuxième enjeu est budgétaire, c'est celui de l'équilibre financier du fonds d'épargne. Ce dernier dispose d'actifs qui, logés à la Caisse des dépôts, produisent des bénéfices pour l'État. Dans les bilans des banques, ils produiraient des bénéfices pour ces dernières.

Le troisième enjeu tient à l'équilibre du partage entre le fonds d'épargne et les banques. Je ne reviendrai pas longuement ici sur la question du financement des PME par les banques et de l'utilisation qu'elles font de la part décentralisée du livret A et du LDD. Je rappelle simplement que le financement de l'économie par les banques, sans contrainte particulière de taux ni de durée, ne peut guère être mis sur le même plan que le financement de missions d'intérêt général par le fonds d'épargne, dans des conditions entièrement déterminées par l'État. D'autre part, alors qu'elles insistaient naguère sur les difficultés de financement des PME, les banques mettent désormais en avant, dans leur communication publique, leurs contraintes de liquidité. Je méconnais d'autant moins celles-ci que le fonds d'épargne a précisément – ce qu'on ignore largement – une activité significative et en croissance de refinancement de ces établissements. En effet, plus de 2,5 milliards d'euros sont affectés chaque année, par adjudication, au refinancement des prêts au logement social décidés par les banques. Ce mécanisme leur permet de se décharger du risque de liquidité et du risque de taux. Qui plus est, grâce aux prêts consentis à OSEO, l'équivalent de près de six points de taux de centralisation leur est restitué. Avec un taux de centralisation de 70 %, la répartition finale de la ressource serait de la sorte de moins de 60 % pour le fonds d'épargne et de plus de 40 % pour les banques. En conservant le taux de centralisation actuel – ce qui est en germe dans la rédaction actuelle du projet de décret –, la répartition serait de 55 %-45 %.

Tous ces arguments militent pour que nous proposions des amendements fort simples au projet de décret, qui constitue une bonne base de travail. Il s'agirait tout d'abord de supprimer le « corridor » entre 2 et 3 %. En effet, le décret prévoit qu'au-delà d'une progression de 3 %, la ressource supplémentaire ne viendra plus abonder le fonds d'épargne. À titre personnel, je préférerais que l'État se garde une autre possibilité, en cas de surcroît de ressources ou si d'aventure il voulait relever le plafond de dépôt sur les livrets. Ainsi, si l'on voulait engager un programme exceptionnel de financement de long terme sans avoir les moyens de le financer ni par le budget, ni par le recours au système bancaire classique, il demeurerait possible de créer une richesse supplémentaire de liquidités publiques en relevant le plafond du livret A.

Mon propos n'est nullement de recommander cette mesure ici et maintenant : c'est une décision lourde, qui déplace les liquidités dans notre système financier. L'enjeu du seul livret A est de 200 milliards d'euros ! Pour la liquidité des banques, l'autre enjeu d'importance est celui des SICAV monétaires, qui ne représentent pas moins de 450 milliards d'euros … Mon souhait est simplement que, le cas échéant, le relèvement du plafond puisse aussi profiter à l'État.

Par ailleurs, dès lors que le Gouvernement reconnaît la validité de l'objectif de 70 %, plutôt que de créer une situation dans laquelle le risque serait grand de connaître un taux de centralisation de 65 % à la veille d'un très fort ressaut qui interdirait de remonter à 70 %, il nous paraîtrait judicieux de fixer un taux de recentralisation en progression régulière d'environ un point par an jusqu'en 2016, ce qui ne signifie pas que toutes les banques « recentraliseraient » à 70 %, dans la mesure où il y aura des écarts entre réseaux historiques et nouveaux réseaux.

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