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Intervention de Nicole Notat

Réunion du 11 janvier 2011 à 17h15
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Nicole Notat, présidente de Vigéo :

Je voudrais, dans un premier temps, distinguer ce qui relève de nos missions et ce qui n'en relève pas, afin de lever toute ambiguïté sur la portée de notre travail.

Notre évaluation du degré d'engagement des entreprises en matière de développement durable et de responsabilité sociale se fonde sur des critères précis ? L'évaluation du respect des droits humains fondamentaux compte quatre critères définis par l'OIT : premièrement, le respect de la liberté syndicale et la promotion de la négociation collective ; deuxièmement, la prévention des discriminations et la promotion de l'égalité des chances pour les catégories vulnérables ; troisièmement, la lutte contre les pires formes de travail proscrites – travail des enfants, travail forcé – ; quatrièmement, le respect des données personnelles.

Une entreprise prise en défaut sur ces critères, même dans un pays qui ne reconnaît pas ces droits, peut être inscrite sur la liste rouge de l'OIT. Dans le domaine social au sens strict, c'est-à-dire le comportement de l'entreprise envers ses salariés, nous évaluons les conditions de la rémunération, qui doit être transparente, objective et décente, et nous vérifions la réalité de la formation et du développement des compétences des salariés.

Notre évaluation porte également sur la gestion par l'entreprise de ses restructurations, mais non pas sur leur opportunité. Nous mesurons aussi la réalité de la négociation collective, du dialogue social et du fonctionnement des institutions représentatives. Notre référentiel compte par ailleurs quatorze critères relatifs à l'environnement, dont l'éco-conception, la mise en place d'un management environnemental, la prévention des atteintes à l'environnement ou la maîtrise des impacts environnementaux.

Nous évaluons également les relations de l'entreprise avec ses fournisseurs et ses sous-traitants, ainsi que la manière dont elle vérifie qu'ils respectent les droits fondamentaux et les règles sociales. En effet, les chartes souscrites par les entreprises en la matière sont souvent en contradiction avec leurs pratiques réelles, qui les conduisent à rechercher les fournisseurs les moins disants.

Nous évaluons également la gouvernance d'entreprise et le comportement de l'entreprise envers son environnement territorial, ainsi que ses actions dans le domaine du mécénat, même si nous ne considérons pas ce dernier comme l'alpha et l'oméga de la responsabilité sociale.

Notre matière première, c'est l'information. Désormais, l'entreprise est, notamment depuis la loi NRE, tenue de communiquer. Je ne crois pas qu'il faille lui imposer une définition trop stricte des domaines sur lesquels elle doit communiquer, au-delà d'un référentiel intégrant les grands principes que je viens de vous citer. Cette obligation pour l'entreprise de « rendre compte » permet de nous forger une opinion. Nous ne nous contentons pas cependant des objectifs qu'elle affiche : nous vérifions leur diffusion à tous les niveaux de l'entreprise et la cohérence de déploiement de ces politiques.

Nous pouvons même être amenés à vérifier les résultats de ces politiques en cas de controverse. En ce qui concerne BP, par exemple, l'évaluation dont cette entreprise avait fait l'objet en juillet 2009 nous avait déjà conduits à signaler certaines failles, même si nous ne sommes pas des experts de l'identification des causes du type d'accident qui a eu lieu dans le Golfe du Mexique. Nous avons lancé une alerte à la suite de la catastrophe, afin d'identifier les réactions de l'entreprise face à cette crise. Nous posons, par exemple, les questions suivantes : l'entreprise a-t-elle pris la mesure de l'événement ? Quelles sont ses relations avec les autorités locales ?

Vous comprenez bien qu'une telle analyse ne se fonde pas sur des algorithmes mathématiques : elle est aussi qualitative. Certes, notre échelle d'évaluation compte quatre niveaux d'engagement : engagement non tangible, engagement amorcé, engagement probant et engagement avancé. Mais mon sentiment est qu'en la matière on n'a jamais fini d'avancer ; aucune entreprise ne peut aujourd'hui prétendre maîtriser parfaitement tous ses risques.

L'alerte vise à informer les investisseurs, qui doivent savoir s'il ne s'agit que d'un incident de parcours ou s'il y a un véritable risque à investir. Le but est que nos cinquante analystes arrivent à des résultats objectifs, fondés sur des faits, via une méthodologie précise, qui vise à s'assurer que le chemin est balisé et que tous les éléments d'information sont pris en compte. Nous n'avons pas à prendre position sur des questions comme l'impact environnemental des forages en eau profonde, par exemple.

J'observe qu'un coup dur, une crise, ou même une simple controverse peuvent conduire une entreprise à modifier ses comportements, notamment pour prévenir le risque d'atteinte à sa réputation et à l'image de la marque, et donc l'inflation de ses coûts. Surtout, les dirigeants les plus avancés ont compris que la responsabilité sociale n'est pas seulement une charge et une contrainte supplémentaires, susceptibles d'entraver l'activité de l'entreprise. Aujourd'hui, certaines entreprises sont elles-mêmes demandeuses d'une règle du jeu, la mondialisation non régulée telle qu'elle existe actuellement représentant un coût pour elles. Le déclic culturel, c'est la prise de conscience par l'entreprise que la responsabilité sociale et environnementale est de son intérêt, et qu'elle représente pour elle un investissement plutôt qu'un coût : ainsi, une économie d'énergie est un gain pour l'entreprise, de même que l'amélioration de son processus de production ou le renforcement de l'attractivité de ses produits. L'intégration de ces nouveaux enjeux est féconde en innovations en matière de recherche et développement, en nouveaux produits et en nouveaux métiers, et donc en nouveaux segments de croissance. J'en veux pour exemple le développement de la filière photovoltaïque.

Une véritable prise de conscience et une véritable action en faveur du développement durable et de la responsabilité sociale des entreprises ne peuvent être initiées que par les dirigeants. Si cette conviction n'existe pas au plus haut niveau, l'efficacité de l'ensemble de la chaîne est considérablement réduite.

Alors que l'intégration de ce type de responsabilités par les entreprises permet l'internalisation de coûts qu'elles faisaient jusqu'ici supporter par la société, ce concept de responsabilité sociale et environnementale reste un OVNI politique. Il devrait pourtant être porté par les politiques, au moment où l'on parle de régulation au niveau du G 20. Nous avons tous à gagner à ce que les entreprises prennent leur part dans le traitement des questions sociales et environnementales. C'est ainsi qu'on assurera les meilleures conditions de protection des citoyens et des territoires.

En ce qui concerne les collectivités locales, nous avons en effet engagé quelques missions avec certaines d'entre elles. Même si la plupart n'ont pas encore tout à fait intégré la pratique de l'évaluation sociale et environnementale, nous avons défini un référentiel d'analyse qui leur est spécifiquement dédié. Nous pouvons, à leur demande, évaluer le programme d'Agenda 21 qu'elles ont mis en place. Les collectivités locales peuvent par ailleurs trouver intérêt à une logique de labellisation du point de vue de la commande publique, dans une perspective d'incitation plutôt que de sanction. Elles sont également particulièrement concernées par les thèmes de la diversité et de l'égalité dans les politiques publiques, notamment dans le domaine du logement ou des transports. Certaines collectivités nous ont ainsi demandé de passer au crible leurs politiques dans ces domaines. Le secteur du logement social est aujourd'hui très demandeur en matière d'audit de responsabilités sociales. En tout état de cause, les collectivités locales devraient elles aussi être appelées à rendre compte.

J'aimerais à ce propos dissiper la confusion qui obscurcit la question de l'obligation de rendre compte en matière sociale et environnementale. Cette obligation est d'abord destinée aux parties prenantes : c'est une manière d'inciter les entreprises à agir dans ces domaines. D'ailleurs, cette pratique se généralise dans les multinationales de l'ensemble de l'Europe, même en l'absence d'obligation. Nous n'intervenons, pour notre part, que dans un deuxième temps, pour évaluer ce reporting, qui doit être validé par un tiers indépendant, au bénéfice des investisseurs. Or cette dimension de qualification de l'information est aujourd'hui quelque peu négligée, d'autant que l'évaluation n'est pas, en principe, financée par les entreprises, mais par les investisseurs. C'est que les agences d'évaluation extra-financière restent des OVNI dans le monde institutionnel et politique.

Aujourd'hui, à la demande des investisseurs, nous évaluons les 2 000 entreprises large caps, les sociétés du CAC 40 et du SBF 120. Mais il arrive que certains, dans une démarche d'investissement socialement responsable, nous demandent d'évaluer l'information relative à des mid et des small caps. Nous évaluons également des émetteurs obligataires. Il nous arrive même d'effectuer des analyses « pays », dans le cadre desquelles nous évaluons la contribution du pays concerné à la progression de l'État de droit, à l'éducation ou à la santé, par exemple.

Qui contrôle le contrôleur ? Il existe une certification européenne des agences extra-financières, à laquelle nous nous sommes soumis, même si elle n'est pas obligatoire. Nous pensons en effet qu'il est de notre intérêt de faire vérifier par un auditeur externe la cohérence de nos procédures au regard de nos engagements. C'est précisément parce que la transparence est toujours un atout que je suis demandeuse d'un contrôle, et le plus tôt possible – en tout cas plus tôt que pour les agences de notation financière, qui ne sont toujours pas contrôlées plus d'un siècle après leur création ! Mais l'initiative en revient au régulateur, ou au politique.

La norme ISO 26 000 n'est pas certifiable, ce qui me semble une bonne chose. Dans ce domaine en effet, il ne s'agit pas simplement pour les entreprises de respecter des procédures, mais aussi de conduire de véritables stratégies. Si cette norme est cependant une bonne initiative, c'est qu'à la différence de beaucoup de normes ISO, elle n'a pas été créée ex nihilo. Le principe est que l'entreprise ne doit pas, en matière de droits de ses salariés, être en deçà de la norme publique. Ce qui compte, au-delà des indicateurs de résultats, c'est la capacité de l'entreprise à intégrer les objectifs de responsabilité sociétale dans sa stratégie managériale.

Vous m'interrogez sur les conséquences d'une mauvaise notation. Certes, nos notations ne sont pas rendues publiques, puisqu'elles sont destinées aux investisseurs et aux gestionnaires. Une mauvaise note peut cependant provoquer la sortie de la société en cause du portefeuille de certains fonds d'investissement, qui tiennent compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). En Grande-Bretagne, un fonds s'est retiré du capital d'une entreprise au motif que nous avions dégradé sa note.

Avec le dumping, nous sommes au coeur de la question du comportement des entreprises dans les pays sans réglementation sociale, ou dont les normes sociales sont en deçà du standard international. Dans ces territoires, notre but est de savoir si l'entreprise contribue à « tirer vers le haut » le standard local – indien, chinois ou autre – ou si, au contraire, tirant profit des vulnérabilités locales, elle s'aligne sur le moins-disant social. Je souhaiterais en outre que nous puissions étudier le comportement des multinationales dans trois ou quatre pays dont les standards sociaux ou environnementaux sont encore éloignés des nôtres. Il ne s'agit pas de stigmatiser les entreprises, mais de les inciter à suivre l'exemple de celles qui sont à l'avant-garde. C'est un des intérêts majeurs de notre travail d'évaluation.

Il est vrai que la possibilité que les accords d'entreprise ou les institutions représentatives du personnel prennent en compte la dimension de développement durable, évoquée dans le cadre du Grenelle, semble encore dans l'attente d'une traduction juridique. En revanche, l'élaboration du décret étendant l'obligation de reporting social et environnemental aux sociétés dont le total de bilan dépasse le seuil européen de la PME ou qui ont plus de 500 salariés en est au stade des consultations. Si les textes d'application ouvrant la faculté de saisir le conseil d'administration de ces questions et fixant l'obligation de rendre compte à l'assemblée générale semblent en stand by, d'autres propositions du Grenelle, telles que la réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE), ou le recours au débat public sur des sujets importants sur le plan environnemental, comme les nanotechnologies, ont été mises en oeuvre. Globalement, le Grenelle a permis des avancées réelles, même si, le naturel revenant au galop après l'euphorie initiale, des freins sont apparus dans des domaines dont le caractère symbolique a eu tendance à occulter les progrès accomplis.

Il y a bien eu un « avant », et il y a un « après » Grenelle, dans les têtes, les comportements et les actes.

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