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Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 11 janvier 2011 à 16h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Thierry Repentin, président de l'Union sociale pour l'habitat :

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de prendre le temps de nous écouter. En m'exprimant devant vous, j'ai conscience que je représente un monde qui dépense beaucoup d'argent : le mouvement HLM est le premier utilisateur de l'épargne populaire de notre pays par le biais des mécanismes du financement du logement social.

Vous ne connaissez sans doute pas tous dans le détail le montage des opérations portées par les organismes HLM. Aussi, avant d'en venir au projet de décret qui me vaut d'être auditionné, ferai-je quelques rappels.

Le financement du logement social repose pour partie sur des fonds gratuits. Ce sont les aides de l'État – qui sont en diminution constante, puisque d'environ 7 000 euros par logement construit au début des années 2000, elles ne dépasseront pas 800 euros en 2011 ; les subventions des collectivités locales, communes, intercommunalités, départements ou régions. Il y a également les aides au titre du 1 %, dont les ressources, déjà en diminution puisqu'elles sont assises sur la masse salariale, sont en partie préemptées par l'État ; et, enfin, les fonds propres des organismes HLM. Au-delà, c'est-à-dire pour couvrir 75 % du besoin de financement, il faut faire appel aux prêts de la Caisse des dépôts, qui sont d'ailleurs garantis par les collectivités locales. Ces prêts de très long terme, à taux avantageux, sont une caractéristique française qui a permis, et permet encore, à la collectivité nationale de se constituer un patrimoine pérenne et de qualité – le parc compte 4,5 millions de logements sociaux –, contrôlé par les pouvoirs publics, en limitant le recours aux subventions : ces dernières couvrent une part beaucoup plus importante du coût des opérations dans tous les autres pays d'Europe. Bref, le rapport coûtefficacité du système français est jusqu'à présent excellent.

Le doublement de la production depuis 2005, avec désormais quelque 100 000 logements par an, s'est traduit par une augmentation considérable de l'encours des prêts : environ 112 milliards d'euros aujourd'hui. Du fait de la politique de l'État, la tendance devrait se poursuivre au moins jusqu'en 2020. Il faut se réjouir, ne serait-ce que pour notre économie, d'être en mesure de continuer, pendant les dix années qui viennent, à construire plus que nous ne l'avons fait, pourvu que nous puissions mobiliser les fonds nécessaires. Cette tendance est due à l'ampleur du déficit en logements abordables, à la volonté affichée des pouvoirs publics et à la baisse des subventions directes de la ligne fongible décidée en loi de finances, et compensée par l'augmentation des emprunts auprès de la Caisse des dépôts. Selon les prévisions de celle-ci, l'encours nécessaire pour assurer la production passera de 112 milliards d'euros en 2010, à 153 milliards en 2015 et à 183 milliards en 2020. Cette hypothèse modérée correspond à une moyenne de 75 000 nouveaux logements sociaux par an, programme national de rénovation urbaine inclus, à comparer aux 100 000 logements actuels. En outre, il subsistera un besoin de réhabilitation important, qui n'est pas suffisamment pris en compte dans les estimations actuelles.

Si les besoins sont avérés, l'évolution de la collecte demeure la grande inconnue, et une impasse risque d'apparaître rapidement. Cela implique de relever la centralisation pour couvrir les besoins si la marge de sécurité de 125 % imposée par la loi est conservée. Le taux plancher devrait être atteint entre 2012 et 2014 selon nos analyses, qui sont cohérentes avec celles de la Cour des comptes, de l'Observatoire de l'épargne réglementée et de la Caisse des dépôts. Ce seuil, s'il garantit la liquidité des fonds d'épargne, n'assurera pas la bonification traditionnelle et indispensable des prêts de la Caisse.

À ce propos, j'ai dû rappeler dernièrement au gouverneur de la Banque de France que le monde HLM empruntait, pour financer certaines opérations, sur une durée de quarante ou cinquante ans à 1,15 % ou 1,20 %. Pour le foncier, les taux pratiqués sont de 2,10 %. De telles conditions sont possibles parce que la Caisse recueille une épargne abondante, qu'elle la fait fructifier judicieusement, et qu'elle en fait profiter le monde HLM en lui proposant des taux très inférieurs aux 3 % que coûte la ressource – 1,75 % servis aux épargnants auxquels s'ajoutent 0,6 % de frais de gestion de la Caisse et la commission pour frais de collecte de 0,6 %, bientôt ramenée à 0,5 %. Nous espérons, dans l'intérêt général, c'est-à-dire pour l'équilibre financier des opérations de logement social, que cette baisse sera répercutée au moins sur les nouveaux emprunts.

D'autres investissements d'intérêt général sont effectués grâce à la collecte centralisée par la Caisse des dépôts : la rénovation des campus universitaires, celle des hôpitaux, les infrastructures de transport en commun en site propre, les politiques foncières, et la politique de la ville. Ce sont autant d'actions de service public qui, comme le logement social, affectent la vie quotidienne de nos concitoyens.

En 2008, les fonds d'épargne ont été mobilisés très rapidement en faveur des collectivités locales, et ils se sont substitués aux concours des banques dont l'activité était quasi suspendue. Et, grâce à la Caisse des dépôts, le monde HLM a aussi été capable de reprendre certains programmes qui avaient été engagés sur vos territoires par des promoteurs privés qui ne trouvaient plus à se financer. Rien de tel n'aurait été possible sans la centralisation.

Logement social et autres grands investissements, prêts immédiats aux collectivités locales ne peuvent être financés que parce que la Caisse des dépôts prête sur des durées particulièrement longues. En outre, elle ne fait aucune discrimination entre les emprunteurs, quelle que soit leur situation financière, ni entre les territoires. Les banques, elles, sélectionnent les risques et ne prêteraient pas à des organismes pauvres ou pour des opérations situées dans des zones jugées à risque.

Le projet de décret sur la centralisation fixerait la centralisation initiale à 65 %, en contradiction avec les engagements très fermes pris en 2008 par le Gouvernement en faveur d'une centralisation effective à 70 %. Je vous renvoie aux déclarations respectives de Mme Lagarde et de Mme Boutin. De plus, aucune sanction n'est prévue si ce n'est la rédaction d'un rapport. Certes, le décret instaure un mécanisme pour canaliser les fonds d'épargne dans une sorte de corridor, en vertu duquel la centralisation serait revue à la hausse si l'augmentation de la collecte tombait en dessous de 2 %, et, inversement, à la baisse si elle croissait de plus de 3 %. Mais si l'on est certain que la Caisse des dépôts, placée sous le contrôle du Parlement, respectera l'obligation de décentraliser, comment être sûr que les banques en fassent autant pour ce qui est de la recentralisation. À cet égard, nous sommes instruits par l'expérience du Codevi devenu livret de développement durable – LDD – : centralisé à 90 % à l'origine, il ne l'était plus qu'à 9 % au moment de la réforme de 2008. Fixer la centralisation initiale à 65 % constitue une grave erreur car l'impasse serait quasi immédiate : d'une part, le plancher de 125 % serait menacé dès 2012, et au plus tard en 2014 ; d'autre part, un pourcentage aussi faible condamnerait la bonification et les autres emplois d'intérêt général, avec pour corollaire le risque de devoir contingenter le logement social, faute de liquidités suffisantes.

Le décret comporte une autre disposition critiquable : lorsqu'une banque aura une collecte au-delà du niveau plancher, le surplus ne bénéficiera plus à la Caisse des dépôts, mais aux autres banques. Cette compensation est contraire non seulement aux intérêts du logement social et des investissements d'intérêt général, mais aussi à la loi qui prévoit que toute somme non affectée par une banque à des prêts aux PME est obligatoirement centralisée à la Caisse des dépôts. La loi n'a pas prévu cette logique de « pot commun ».

S'agissant des prêts aux PME et au développement durable, dont il n'est pas question de nier les besoins, ils ne sauraient justifier la moindre décentralisation d'une ressource subventionnée. D'une part, le financement des PME relève du métier ordinaire des banques, et non d'une ressource particulière – a fortiori quand elles prêtent au taux du marché – ; d'autre part, elles n'ont pas justifié à ce jour du bon emploi des fonds. Elles ont certes prêté aux PME, mais le rapport de l'Observatoire de l'épargne réglementée montre que les fonds conservés à leur bilan ont augmenté davantage que leurs concours aux PME. Surtout, la hausse des prêts aux PME s'est faite en contrepartie de l'abandon de toutes les contraintes qui pesaient sur les prêts financés par des ressources LDD – quote-part réservée aux TPE et conditions de taux et de durée – de sorte que les banques « n'aident » pas les PME puisqu'elles leur prêtent aux conditions du marché au moyen d'une ressource aidée ! La commission des finances de l'Assemblée nationale avait tenu à renforcer les obligations en matière de financement des PME en contrepartie de la décentralisation de l'épargne réglementée, mais les textes d'application de la LME ont assoupli les contraintes sans garantir pour autant que l'épargne décentralisée soit affectée en totalité aux PME.

Les banquiers invoquent les difficultés liées à la crise. Mais celle-ci était déjà là en 2008 et il ne faut pas soumettre le livret A aux aléas des crises internationales. Quant à la difficulté à obtenir des informations fiables sur l'utilisation des fonds collectés par les banques, elle contrevient au droit européen selon lequel une ressource subventionnée doit être affectée exclusivement à des objectifs d'intérêt général mesurables et vérifiables. Plusieurs d'entre vous avaient fait des déclarations clairvoyantes le 10 juin 2008, en particulier MM. Forissier, Balligand, Bouvard. Il ne faudrait pas que la France s'expose à des critiques de la part de la Commission qui, je le rappelle, ne mettait pas en cause la centralisation.

Nous demandons, premièrement, que les banques se conforment à la loi et fournissent, avant que soit pris un nouveau décret, les informations que le Parlement a lui-même demandées, de sorte que l'on ait l'assurance que l'argent conservé par les établissements depuis 2008 a effectivement servi aux petites et moyennes entreprises. Les textes d'application devront préciser les obligations des collecteurs.

Deuxièmement, le taux de centralisation ne devra pas descendre en dessous de 70 % à la date initiale de mise en application du nouveau décret. Je ne vais pas aussi loin que le président de la Fédération nationale du Crédit agricole qui déclarait, dans un article de juin 2006, qu'il fallait « sauvegarder le financement du logement social en laissant à la Caisse des dépôts et consignations la centralisation intégrale des fonds et leur utilisation, comme elle l'a toujours bien fait. »

Troisièmement, il convient de prévoir les moyens de garantir la bonification en restant au-delà du plancher de 125 % pour assurer, outre le logement social, le financement des grands services publics indispensables à la population.

Quatrièmement, il faut à tout prix éviter d'atteindre le plancher de 125 %, par exemple en déterminant un seuil d'alerte à partir duquel les banques devraient « provisionner » en vue d'une recentralisation.

Cinquièmement, les besoins des PME devront être pris en compte, en affectant au réseau bancaire, en cas de surliquidité avérée du fonds d'épargne, autrement dit d'excès de collecte par la Caisse des dépôts, des enveloppes qu'il devrait utiliser en respectant un cahier des charges précis et vérifiable au bénéfice des PME. Elles auraient ainsi accès à des prêts sans doute plus avantageux qu'aujourd'hui.

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