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Intervention de Marie-George Buffet

Réunion du 11 janvier 2011 à 21h30
Hommage de l'assemblée — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur de la commission des lois, chers collègues, la création d'un Défenseur des droits aurait dû susciter un enthousiasme consensuel. Quoi de plus important en effet pour les associations qui oeuvrent contre les discriminations que de disposer d'un nouveau point d'appui, pour les hommes et les femmes qui agissent pour l'accès aux droits pour tous et toutes d'être ainsi encore mieux soutenus, pour les enfants afin de faire entendre leur parole ? Quoi de plus important pour les défenseurs des libertés publiques que d'avoir gain de cause afin de donner une belle image de notre République ?

Pourtant, votre projet de loi suscite de nombreux questionnements sur les bancs de notre assemblée comme sur ceux du Sénat, mais aussi dans la société civile et dans les institutions internationales. Et ces questionnements sont fondés ! Votre projet met en cause des autorités indépendantes qui, toutes ces dernières années, ont fait preuve de pertinence dans leurs analyses, d'innovation dans leurs recommandations et d'efficacité dans leurs actions et leur soutien aux acteurs et actrices des droits de l'être humain et des libertés.

Cela a déjà été évoqué, mais je voudrais de nouveau citer Mme Versini : « Nos missions vont être noyées, il n'y aura plus qu'un porte-parole qui fera des choix ». Des parlementaires de tous bords ont d'ailleurs présenté des amendements visant pour certains à protéger l'appellation « Défenseur des enfants », pour d'autres à maintenir l'autorité indépendante. Dans une brochure parue en 2009, la commission nationale de déontologie de la sécurité expliquait que si elle était intégrée au Défenseur des droits, « la République se priverait de l'existence d'une autorité dont l'unique objet est le contrôle des forces de sécurité, symbole fort des progrès accomplis par l'État de droit en France ».

Les associations intervenant en milieu carcéral partagent ce constat concernant la suppression du contrôleur général des lieux de privation de liberté. Je les cite : « Les organisations signataires tiennent à exprimer leur plus grande défiance vis-à-vis de la dilution de cette autorité dans le Défenseur des droits, considérant qu'elle est de nature à compromettre l'avancée des droits des personnes privées de liberté par décision judiciaire ou administrative. »

Enfin, la Commission nationale consultative des droits de l'homme souligne le « risque de dilution des mandats spécifiques attribués à des institutions spécialisées, dans une institution polyvalente et tentaculaire. » Même si je ne les citerai pas ici, je ne peux m'empêcher de penser aux propos tenus par l'ancienne présidente de la HALDE.

Toutes ces réactions vont au-delà de nos frontières. Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU, dans son rapport sur la situation de la France, prend ainsi note du projet de loi sur le Défenseur des droits, mais se préoccupe de la multiplicité des fonctions de cette nouvelle institution et craint que le mandat de lutte contre les discriminations, y compris la discrimination raciale, actuellement dévolu à la HALDE, ne soit plus que l'un des éléments du mandat du Défenseur des droits. Le Comité recommande de maintenir une institution indépendante distincte ayant pour mandat la lutte contre les discriminations, y compris la discrimination raciale.

Il en va de même de l'UNICEF qui dénonce la disparition du Défenseur des enfants comme autorité spécifique et indépendante dédiée aux droits de l'enfant et juge inconcevable que la France marque ainsi un recul en matière de défense et de promotion des droits de l'enfant.

On le voit bien, votre projet de loi organique inquiète. La commission doit retravailler ce texte : c'est le sens de notre demande de renvoi. Cette demande est d'autant plus justifiée que la situation des droits et des libertés s'est détériorée dans notre pays. Les craintes que suscite votre projet reflètent aussi l'importance des mobilisations actuelles pour défendre ces droits et libertés.

Ainsi la Ligue des droits de l'homme proposait-elle il y a quelques semaines, avec une cinquantaine d'organisations associatives et syndicales un « pacte pour les droits et la citoyenneté ». Leur constat est accablant : « Nos droits sont fragilisés, remis en cause. Chaque jour un peu plus, la manière dont le pouvoir est exercé piétine les valeurs républicaines et menace l'effectivité de la démocratie. »

Le Médiateur de la République, dans son rapport 2009, est également sévère : « Le constat n'est pas neuf, notre société est fracturée, mais jamais cette réalité n'a été aussi aiguë. » Puis, plus loin : « L'impact de la crise est venu aggraver la situation, accroissant le contraste entre la richesse collective de la France et la situation des moins favorisés. Jamais le risque de basculer dans la précarité n'a semblé si grand à autant de nos concitoyens. »

« Les grandes équations qui permettaient le consensus au sein de notre société semblent marquées d'obsolescence : un diplôme ne garantit plus un travail, une intervention étatique ne garantit plus la correction ou la suppression d'une injustice. La loi n'apparaît plus comme le bouclier du plus faible contre le plus fort, mais comme une nouvelle arme aux mains du plus fort pour asseoir sa domination contre le plus faible. »

Cet état des lieux assez transversal est complété par celui établi par la Défenseure des enfants dans son dernier rapport relatif à la précarité : « Nous recevons chaque jour des réclamations qui sont autant de bouteilles à la mer et qui illustrent toutes les atteintes aux droits subies par des enfants vivant dans des familles marquées par la précarité sociale et économique. »

Évoquant la crise du mal-logement, la Défenseure souligne : « À ce climat d'incertitude s'ajoute pour beaucoup trop d'enfants le traumatisme né d'expulsions locatives, avec intervention de la force publique, qui sont en augmentation de plus de 50 % depuis 2002, ou d'un départ en catastrophe du foyer familial suite à des violences sur la maman. » Elle ajoute : « Je pense aussi aux enfants Roms qui vivent en direct le démantèlement de leur campement et cumulent ainsi, il faut bien le reconnaître, toutes les atteintes aux droits fondamentaux des enfants. »

Toutes ces alertes, toutes ces analyses, ces propositions des autorités indépendantes que je viens de citer, est-ce cela qui dérange ? Pour notre part, au groupe GDR, nous pensons que le travail de ces autorités indépendantes constitue, bien au contraire, un formidable appel. Au lieu d'avoir peur du travail des autorités, il devrait être pour nous, élus de la nation, une motivation à produire des choix politiques allant vers plus d'égalité, de justice, par le déploiement de nouveaux droits. N'était-ce pas, d'ailleurs, l'objectif de la création de ces instances ?

Lorsqu'on regarde leur bilan à ce jour, elles ont bien oeuvré en ce sens. Prenons l'ancêtre de ces autorités, le Médiateur de la République. Depuis 1973, cette institution a soutenu des milliers d'hommes et de femmes dans la défense de leurs droits d'usagers des services publics. Elle a permis de nombreuses avancées en faveur des libertés individuelles. Elle joue un rôle d'alerte important. N'est-ce pas le Médiateur qui a fait avancer les différentes lois sur l'accès aux documents administratifs ? N'est-ce pas le médiateur qui a récemment pointé du doigt les risques de déshumanisation des services publics liés à la RGPP ?

Chaque année, de nombreux habitants de ma circonscription me demandent de saisir le Médiateur. C'est vrai pour tous, mes chers collègues. Le succès de cette institution est lié à trois éléments : elle est identifiée comme un interlocuteur crédible pour exposer les différends, son champ de compétences est clair et ses interventions sont efficaces pour les usagers.

Je n'ai pas besoin d'insister longtemps sur le Défenseur des enfants. Il s'agissait pour la France de se mettre en conformité avec la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par notre pays en 1990 et, bien au-delà, d'apporter des solutions innovantes, adaptées aux problèmes spécifiques rencontrés par les enfants.

Là aussi, ce qui fait la force de cette autorité, c'est son identification par les associations, les institutions nationales et internationales et par beaucoup d'enfants. En 2010, 3000 saisines l'ont concernée. Identification, mais aussi spécialisation sur la défense des droits et de l'intérêt supérieur des enfants ; une spécialisation qui lui permet d'être une force d'alerte, mais aussi de proposition. En témoignent les 200 propositions à l'attention du législateur et du Gouvernement présentes dans son rapport en 2009. Chacun sait ici que ces propositions sont en osmose avec les préoccupations exprimées par les enfants et les adolescents et tous ceux et celles qui les accompagnent.

La Commission nationale de déontologie de la sécurité est un élément extrêmement important dans la construction du rapport de confiance nécessaire entre les populations et les acteurs de la sécurité publique.

Le fait que la CNDS aborde les questions de sécurité dans leur ensemble, et qu'elle soit compétente pour contrôler toutes les forces de police et de gendarmerie et les services de sécurité privés explique très largement l'importance des suites données aux saisines. En 2009, sur les 120 dossiers recevables, 65 % étaient concernés par des manquements.

J'ai envie de dire que les seules questions posées par cette autorité sont celles des moyens humains et financiers dont elle dispose, et d'une visibilité accrue.

Du fait de la composition pluridisciplinaire de son collège, la CNDS est à la pointe des débats sur les libertés publiques : conditions des fouilles, recours au menottage, conditions de garde à vue, usage du Taser. Si ces recommandations étaient mieux suivies, des incidents graves pourraient être évités.

J'en viens aux deux dernières autorités. Les associations et les syndicats ont joué et jouent un rôle d'éveil remarquable et sont à l'origine de considérables avancées en matière de lutte contre les discriminations et le racisme. Des lois ont été adoptées et c'est à la puissance publique de les faire appliquer. Mais la HALDE remplit un rôle essentiel : épauler l'action des juges, alerter la société, influencer l'action de l'État. Parce qu'elle est spécialisée, cette autorité a été bien identifiée par les hommes et les femmes de ce pays, qui sont de plus en plus nombreux à la saisir. Parce qu'elle est spécialisée, elle a pu acquérir une connaissance fine des différents moyens et lieux d'expression des discriminations. Parce qu'elle est spécialisée, elle a su développer des moyens originaux de lutte contre les discriminations. Des centaines de personnes ont pu ainsi être épaulées et faire reculer les injustices dont elles étaient victimes. Des d'entreprises, des établissements publics et privés ont dû modifier leurs pratiques de recrutement et d'accueil. Un tel bilan appelle, chers collègues, à préserver sa pleine autonomie à la HALDE.

Lors des questions d'actualité du 1er décembre consacrées à la lutte contre le sida, j'ai eu l'occasion d'interroger le Gouvernement sur la situation de l'épidémie dans les prisons et notamment sur les moyens de prévention et d'accès aux soins. En prononçant ces paroles, le 1er décembre, je pensais aux propos du Contrôleur général des prisons : « Quelle que soit la faute commise, elle ne peut inclure ni l'état matériel parfois désastreux des hébergements, ni l'insuffisance d'effectifs de personnels soignants ou de probation, ni les lenteurs de la justice, ni les difficultés de prise en charge, ni l'ennui. »

Au moment où, de nouveau, la France est pointée du doigt par l'Union européenne sur l'état de ses prisons, le Contrôleur général des prisons doit pouvoir continuer à « faire un travail de prévention pour empêcher que, dans les établissements privatifs de liberté, les droits fondamentaux des personnes soient méconnus. » Seule la spécialisation du contrôle des lieux de privation de liberté peut porter en permanence cette exigence et ainsi obtenir que les puissances publiques développent les moyens nécessaires à cet objectif.

Plusieurs de mes collègues dans les rangs de la majorité ont tiré argument de l'adoption de l'article 71-1 de la Constitution relatif au Défenseur des droits. J'ai relu cet article qui précise que le « Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État ». Il y est précisé un peu plus loin que « La loi organique définit les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits. » Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons donc toute liberté, à travers la loi organique dont nous discutons, de modifier les attributions du Défenseur des droits et, par conséquent, de maintenir aux autorités indépendantes leurs compétences et leurs pouvoirs.

Le Gouvernement justifie la disparition de ces autorités par le manque de lisibilité pour nos compatriotes. « Lisibilité » : vous nous refaites le coup du « mille-feuille » que vous avez utilisé pour porter atteinte aux collectivités territoriales ! Tous les éléments chiffrés, toutes les enquêtes qualitatives montrent au contraire, et je l'ai rappelé dans mon exposé, que des autorités comme la HALDE, comme le Défenseur des enfants et d'autres sont connues et reconnues par nos concitoyens. Et rien n'empêche le Gouvernement de développer des campagnes d'information auprès des élus, de la société civile et du grand public sur le rôle et les compétences de chacune. Cet argument n'est donc pas recevable.

Vous semblez par ailleurs mettre en doute leur efficacité. Mais pensez-vous qu'en regroupant toutes les compétences des autorités sous la tutelle d'une sorte de super-médiateur, en centralisant les pouvoirs sur un individu, on gagnera dans la finesse de l'analyse et des interventions ? Les champs et modes d'intervention ne sont pas identiques. Permettez-moi de citer de nouveau la Commission nationale consultative des droits de l'homme qui, dans son avis du 4 février 2010 sur le Défenseur des droits, précise que « La médiation est l'intervention d'un tiers, par la voie du dialogue, de l'incitation et du compromis, pour faciliter la circulation d'informations ou le règlement d'un différend. Le contrôle permet de surveiller la bonne application d'une règle de droit et d'en sanctionner la violation ». Tout ne passe pas par la médiation, par la résolution à l'amiable. Médiation, contrôle, action en justice, appel à sanction ne donnent pas lieu à des démarches semblables. Le rôle de la CNDS ou du Contrôleur général ne peut s'identifier à celui de la Défenseure des enfants ou du Médiateur.

Ne craignez-vous pas, en fin de compte, monsieur le ministre, que la création d'un super-médiateur représente en vérité une régression dans la protection des droits et des libertés ? Y aurait-il d'autres motivations à ce projet de loi ? Je n'ose y croire ! Des raisons économiques ? Je n'osais pas y penser ! Mais la proposition de loi déposée par plusieurs députés de votre majorité visant à supprimer la HALDE en contestant à cette autorité ses dépenses de personnel et son budget de communication peut soulever un doute.

Peut-on consacrer encore moins d'argent à la défense des libertés au regard des budgets insuffisants des cinq autorités que vous voulez fusionner ? Nous considérons, pour notre part, que la défense des droits et libertés dans un État de droit n'a pas de prix. Et s'il a un coût, nous avons l'obligation impérieuse de trouver les ressources pour le couvrir. On le fera sans mal, eu égard à la masse d'argent inutile qui s'accumule chez les plus riches.

Votre vrai problème, monsieur le ministre, à vous et à votre gouvernement, n'est peut-être pas tant la protection des droits que leur existence même. La multiplication des textes sécuritaires et la remise en cause des droits sociaux semble être votre feuille de route. Alors que la crise du système capitaliste et vos politiques libérales plongent les peuples dans les pires difficultés, alors que des hommes et des femmes sont en ce moment même victimes de la répression parce qu'ils luttent pour un travail, pour le prix du pain, pour des libertés bridées par des régimes autoritaires, ce n'est pas de moins-disant social et démocratique dont nous avons besoin. Au contraire, ce n'est que grâce à de nouvelles avancées démocratiques, et au développement de droits existants et nouveaux que nos sociétés pourront conjuguer liberté, égalité et fraternité. C'est le sens de la proposition de résolution tendant à placer les droits et libertés au coeur de la République que j'ai déposée avec mon groupe, il y a quelques semaines. À chaque fois que la France a pris ce chemin – et je pense notamment à la Libération avec le programme du Conseil national de la Résistance – les progrès sociaux, économiques et démocratiques se sont conjugués.

C'est pourquoi, avec les députés du groupe GDR, je vous demande, chers collègues, de prendre le temps de revoir ce projet de loi en le renvoyant en commission. La France, pays des droits de l'être humain, s'en honorerait.

Pour conclure, je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui, au sein de ces autorités indépendantes, ont mis leur intelligence, leur volonté et leur travail au service des valeurs de notre République. Et je veux leur dire notre souhait qu'ils puissent demain poursuivre sur cette voie. C'est tout le sens de cette demande de renvoi en commission que je vous appelle à soutenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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