Permettez-moi d'abord de saluer comme vous la mémoire du capitaine Benoît Dupin, du 2e régiment étranger de génie, tombé au champ d'honneur le 17 décembre au cours d'une mission de reconnaissance dans la vallée d'Alasay, et du second-maître Jonathan Lefort, du commando Trépel, mort au combat le même jour en vallée de Bedraou au cours d'une opération conduite avec les forces de sécurité afghanes. J'ai bien sûr une pensée pour leurs proches et leurs compagnons d'armes et j'assisterai à leurs obsèques demain après-midi à Lorient et jeudi à Apt.
Le tour d'horizon auquel je vais me livrer sera essentiellement placé sous le signe de la situation internationale et des opérations extérieures, car les dernières semaines ont été particulièrement riches dans ces deux domaines.
Vous avez évoqué le sommet de l'Alliance atlantique qui s'est tenu à Lisbonne les 19 et 20 novembre. La France y a joué un rôle important, notamment pour soutenir le processus de transformation. L'Alliance ne peut en effet échapper au contexte budgétaire que connaissent ses États membres, et je voudrais saluer l'esprit de responsabilité et la pugnacité de son secrétaire général, M. Rasmussen, qui a su s'engager dans la réforme de ses structures.
En dépit du poids des conservatismes, nous avons obtenu de vraies décisions : une réduction de la structure de commandement d'environ un tiers pour ne conserver que les états-majors réellement utiles ou déployables, qui fera passer les effectifs de 13 000 à environ 8 950 personnels, avec un objectif de réduction supplémentaire à 8 500 ; le regroupement des 14 agences de l'OTAN en trois entités, qui permettra de réaliser des économies de personnel et de coûts de fonctionnement ; la stabilisation des budgets de l'Alliance après la situation tendue qu'elle a connue en 2009-2010.
Telles sont les décisions de principe. Pour les mettre en application, nous devrons surmonter des résistances – dont j'ai pu prendre conscience à Lisbonne – et maintenir une forte pression, notamment lors de la difficile discussion sur la localisation géographique des états-majors. Ces objectifs ont néanmoins été réaffirmés à Bruxelles la semaine dernière lors d'une réunion des ministres de la défense, qui ont reçu à nouveau le secrétaire général de l'Alliance.
Le second résultat satisfaisant du sommet de Lisbonne a été l'adoption d'un nouveau concept stratégique qui répond à nos attentes. Il s'agit d'un texte lisible, équilibré, adapté aux évolutions de notre environnement de sécurité. Il prend en compte les nouvelles menaces : terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, cyber-attaques. Il préserve le coeur militaire de l'Alliance et réaffirme sa responsabilité première, celle de protéger et de défendre le territoire et la population de ses États membres, conformément à l'article 5 du traité de Washington, dont l'actualité a été clairement réaffirmée. Le nouveau concept souligne aussi notre détermination à ce que l'OTAN dispose de tout l'éventail des capacités nécessaires, notamment celles de la défense antimissile balistique. L'articulation entre cette dernière et la dissuasion nucléaire a donné lieu à une discussion tendue lors de la préparation du sommet : la France voulait qu'il soit spécifié que la défense antimissile n'est pas un substitut de la dissuasion, mais un complément à celle-ci. Nous sommes parvenus – non sans difficulté – à convaincre nos amis allemands : le texte final dit clairement que la défense antimissile renforce la dissuasion, et que les forces de dissuasion nationales relèvent de la souveraineté des États membres.
Le nouveau concept affirme également le caractère stratégique de deux partenariats majeurs de l'Alliance. Il s'agit d'abord du partenariat avec la Russie. La réunion entre le conseil de l'Alliance atlantique et le président russe, M. Medvedev, a été un moment presque historique : on a pu voir réunis sous le sigle de l'OTAN MM. Obama, Medvedev, Sarkozy et Mme Merkel. Sous l'impulsion de l'Allemagne et de la France, notamment lors du sommet de Deauville des 18 et 19 octobre, la relation OTAN-Russie a donc pris un nouveau départ, avec notamment la décision de coopérer sur la défense antimissile face à une menace commune. J'ai conscience que les modalités de cette coopération devront être étudiées en détail dans les prochains mois. Les premiers contacts qui ont été pris laissent augurer de discussions nourries car, au-delà des déclarations de principe, nos points de vue ne convergent pas encore entièrement.
Le deuxième partenariat majeur concerne l'Union européenne. Il se heurte à des blocages politiques, dont le principal est le refus d'Ankara de développer la relation OTAN-Union européenne au-delà du cadre agréé de Berlin + – qui exclut Chypre, désormais membre de l'Union européenne. Néanmoins, le chemin parcouru est considérable. Voila encore dix ou quinze ans, l'idée même que l'Union européenne puisse jouer un rôle propre dans la défense et la sécurité de son territoire, en complémentarité de l'Alliance atlantique, n'était pas véritablement admise par la majorité de nos partenaires. Elle l'est désormais : le Secrétaire général de l'Alliance et la Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Ashton, ont clairement manifesté à Bruxelles leur intention de renforcer cette relation « dans le respect de l'autonomie de chacune des institutions ».
Nous nous sommes également beaucoup investis sur le dossier de la défense européenne, avec la volonté de lui donner un nouvel élan. En témoigne la lettre que Mme Alliot-Marie et moi-même venons d'adresser à Mme Ashton avec nos homologues allemands et polonais, dans le cadre du « Triangle de Weimar ». Nous lui demandons de s'investir personnellement dans le développement d'une Europe de la défense crédible dans les domaines politique et militaire, capable d'entretenir des liens de complémentarité efficaces avec l'Alliance. Nous lui proposons une feuille de route articulée autour de quelques idées fortes : le renforcement de la coopération entre l'Union européenne et l'Alliance atlantique, au plan opérationnel comme au plan capacitaire ; l'amélioration des capacités de planification et de conduite européennes, et le développement des groupements tactiques interarmées de réaction rapide ; le renforcement, enfin, des capacités militaires européennes, en recherchant des formules de mutualisation ou de partage permettant d'optimiser l'utilisation de nos ressources. L'Agence européenne de défense, qui ne joue pas encore pleinement le rôle que nous souhaitons lui donner, s'investira dans cette recherche de mutualisation et de partage des compétences, par exemple dans le soutien médical, le transport stratégique, la lutte contre les engins explosifs improvisés ou encore la protection contre les risques bactériologique, radiologique ou chimique.
La France veut en effet orienter la politique européenne de défense vers la production de capacités militaires réelles. Depuis la présidence française de l'Union européenne de 2008, notre pays est à la pointe de cette ambition et nous poursuivrons nos efforts dans les prochains mois, en dépit de fortes contraintes budgétaires.
De ce point de vue, nous essayons de donner l'exemple à travers les réformes courageuses que nous avons entreprises pour rationaliser et moderniser notre outil de défense, comme à travers nos coopérations bilatérales. À cet égard, le traité signé avec les Britanniques le 2 novembre constitue un événement important qui instaure une coopération sans précédent.
Notre premier objectif est d'agir. Nous voulons développer la coopération entre nos forces armées pour favoriser leur déploiement conjoint. Nous allons donc mettre en oeuvre une force interarmées, disponible sous faible préavis et adaptée à différents scénarios, y compris les opérations de haute intensité. Cette force, qui comprendra trois composantes –terrestre, maritime et aérienne –, pourra être engagée soit dans le cadre de l'Alliance, soit dans celui de l'Union européenne, comme le prévoit explicitement le traité.
Notre deuxième objectif est d'optimiser nos ressources et de préserver nos capacités industrielles dans un contexte budgétaire contraint. À cet effet, nous organiserons un partage et une mutualisation des équipements ou des installations. Nous recourrons également, dès que cela sera possible et utile, à des procédures d'acquisition concertées permettant des économies d'échelle. Il est ainsi prévu de lancer un programme conjoint de drones de future génération à l'horizon 2020.
La coopération prévue dans le traité s'étendra également au domaine de la dissuasion nucléaire, dans le respect de la souveraineté de nos deux pays.
Notre intention est de mettre en oeuvre rapidement cette feuille de route. Les premiers contacts ont d'ores et déjà été pris entre les différents groupes de travail constitués dans les domaines juridique, militaire ou industriel.
Permettez-moi d'insister sur un point : cette initiative franco-britannique a reçu un accueil très positif de la part de l'ensemble de nos partenaires. Les pays européens ont compris que ce traité était de nature à renforcer le potentiel de défense européen. Nos alliés américains voient dans cette coopération une volonté de ne pas baisser la garde malgré un contexte économique difficile et le souhait de rester interopérable avec leurs propres forces armées.
Au-delà de ce dialogue franco-britannique, dont la grande question est de savoir s'il est exclusif ou ouvert, nous avons également donné un nouveau souffle à la coopération franco-allemande. Lors du sommet qui s'est tenu à Fribourg la semaine dernière, j'ai convenu avec mon homologue Karl-Theodor zu Guttenberg de relancer la relation franco-allemande. Notre coopération prend également le visage de la modernisation de la brigade franco-allemande. Nous avons ainsi accueilli il y a dix jours à Strasbourg un nouveau bataillon allemand, le 291e bataillon de chasseurs, qui s'est installé à Illkirch-Graffenstaden, et je dois dire que l'accueil de la population et des élus a été tout à fait favorable. Cette évolution, qui nous permet de mieux équilibrer l'implantation des unités de la brigade, jusqu'alors exclusivement stationnées en Allemagne, s'accompagne d'une importante montée en puissance capacitaire. Elle donnera tous les atouts aux soldats de la brigade pour réussir leur mission au Kosovo, qui doit débuter au printemps.
Vous l'avez compris, les réformes que nous mettons en oeuvre, que ce soit dans le cadre de l'Alliance ou dans ceux de l'Union européenne, de nos relations bilatérales ou sur le plan national, n'ont qu'un seul objectif : permettre à nos forces déployées en opérations de remplir leur mission.
Parmi ces opérations, j'évoquerai quatre théâtres qui font actuellement l'objet d'une attention particulière.
Il s'agit d'abord du Liban, où la France conserve un haut niveau d'engagement au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Nous soutenons également le renforcement des forces armées libanaises, afin qu'elles prennent en compte la sécurité du pays, conformément aux résolutions 1701 et 1937 du Conseil de sécurité.
Dans le cadre de la revue des forces conduite par le secrétariat des Nations unies, une réorganisation de notre dispositif est en cours. Cette réforme, qui vise à adapter notre contingent aux réalités de la zone d'opérations tout en modernisant nos équipements, nous conduira à fournir la force de réserve de la FINUL à compter de mai 2011, avec un effectif de 1 350 hommes.
La première phase de cette réorganisation est achevée, avec le départ le 14 décembre des chars Leclerc et leur remplacement par des équipements plus appropriés et plus mobiles, comme le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI) ou le canon CAESAR, dont j'ai pu apprécier l'efficacité au camp de Canjuers.
Deuxième théâtre d'opérations, la Côte-d'Ivoire, qui se trouve depuis le 28 novembre dans une situation d'instabilité particulièrement préoccupante. Notre position est claire : les élections se sont déroulées dans des conditions satisfaisantes selon la Force de l'ONU en Côte-d'Ivoire (ONUCI). Pour nous comme pour le Conseil de sécurité, l'Union africaine, l'Union européenne ou la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO), le président légitime est le président Alassane Ouattara. Nous l'avons réaffirmé avec beaucoup de force.
Il revient à l'ONUCI d'agir, de s'interposer entre les Ivoiriens en cas de dérapage sécuritaire et de protéger le gouvernement légitimement élu. Le Conseil de sécurité vient de renouveler à l'unanimité le mandat de l'ONUCI pour six mois et étudie un renfort en troupes pour alléger la pression subie par les Casques bleus.
L'Union européenne a, quant à elle, voté hier des sanctions contre dix-neuf personnalités, dont Laurent Gbagbo. La communauté internationale est donc pleinement mobilisée pour faire respecter le vote des Ivoiriens.
Dans ce contexte, les 950 hommes de la force Licorne, déployée depuis septembre 2002 dans le cadre de l'ONU, garantissent la sécurité de nos 15 000 ressortissants et apportent un soutien à l'ONUCI dans la limite de leurs capacités, conformément à la résolution 1962 des Nations unies du 20 décembre. Jusqu'à présent, la sécurité de la communauté française est assurée. C'est pour nous une ligne rouge.
En complément de la force Licorne, des moyens sont maintenus en alerte à partir de notre dispositif prépositionné et en métropole – nous avons une force positionnée au large des côtes de la Côte-d'Ivoire, qui nous permettrait de procéder aux opérations de protection et d'évacuation nécessaires. Si la force Licorne venait à être attaquée, nous exercerions notre droit à la légitime défense, conformément aux règles internationales. Nous n'en sommes pas là, mais la situation peut déraper à tout moment : M. Gbagbo ne semble pas prêt à lâcher prise, et si M. Ouattara et son Premier ministre, M. Guillaume Soro, n'ont pas voulu accroître le risque d'une intervention militaire, nous restons tout de même extrêmement vigilants.
Troisième théâtre, l'océan Indien. Après y avoir commandé pour la première fois les forces aéromaritimes de l'opération Atalante de lutte contre la piraterie, la France vient de passer la main aux Espagnols.
J'ai eu l'occasion d'en parler à Bruxelles avec mes homologues : cette opération est pour nous un exemple de ce que nous pouvons faire en matière de coopération militaire européenne. Est-elle pour autant un succès, ou seulement un demi-succès ? Elle est efficace. Plusieurs opérations de piraterie ont pu être déjouées, mais elle ne suffira pas à les éradiquer. Ces opérations se déplacent d'ailleurs vers le détroit du Mozambique ou le grand large, jusqu'aux côtes indiennes. M. Jack Lang, venu évoquer la mission qu'il effectue sur le sujet pour le compte des Nations unies, a insisté sur l'enjeu du traitement judiciaire : tant que les pirates arrêtés ne seront ni jugés ni condamnés, ils récidiveront. Nous suggérons donc la création d'un tribunal somalien délocalisé et la stabilisation de la région : ce sont des conditions indispensables si nous voulons lutter efficacement contre ce fléau qu'est la piraterie maritime. Avec deux frégates et un avion de surveillance maritime, la France est en tout état de cause le principal contributeur de l'opération. Je veillerai à ce que nos partenaires européens restent solidaires de notre effort.
Dernier théâtre, et non le moindre : l'Afghanistan. Nous arrivons probablement à un tournant dans les opérations en cours.
Les quarante-neuf nations contributrices à la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) ont donné leur accord à Lisbonne pour un début de transfert des districts aux autorités afghanes dès 2011, avec pour objectif de transférer la totalité de ces districts d'ici à 2014. Cela ne signifie pas pour autant un abandon du territoire afghan : en effet, l'OTAN a affirmé sa volonté de s'engager, au-delà de cette échéance, dans un partenariat de développement de longue durée avec l'Afghanistan.
On dit souvent que l'OTAN n'a pas de stratégie en Afghanistan. Ce n'est pas mon sentiment : la stratégie est de sécuriser la plus grande partie du territoire et de former des forces militaires et de police afghanes à un niveau suffisant pour leur transférer la responsabilité de la sécurité de leur pays, tout en prolongeant le partenariat de développement avec celui-ci.
En ce qui concerne les forces françaises, dont le volume atteint actuellement près de 4 000 militaires, l'objectif est d'assurer les conditions permettant le transfert aux autorités afghanes de la sécurité du district de Surobi d'ici à la fin du premier semestre 2011, afin de nous concentrer ensuite sur la Kapissa.
Dans le même temps, nous intensifions notre effort dans le domaine de la formation des forces afghanes de sécurité et nous travaillons, avec le ministère des affaires étrangères, au renforcement du pôle stabilité-développement qui oeuvre actuellement dans la zone de responsabilité de nos forces.
Vous avez sans doute pris connaissance du dernier rapport américain sur la situation en Afghanistan. J'ai moi-même évoqué cette situation avec le général Petraeus après le sommet de Lisbonne. On peut, je crois, parler d'une amélioration relative de la situation. Je rendrai dans ce pays dans quelques jours. Je ne dis pas que la stratégie mise en oeuvre est encore gagnante, mais on peut considérer qu'elle va dans la bonne direction.
En tout état de cause, nous veillerons à ne pas annoncer artificiellement de date de retrait de nos forces, pour ne pas risquer de faire perdre à la coalition une part de sa crédibilité.
Vous le voyez, les chantiers et les défis sont nombreux. Vous pouvez compter sur mon engagement pour me consacrer pleinement à la tâche qui m'a été confiée par le Président de la République et dont je mesure chaque jour davantage la complexité. J'espère entretenir avec votre commission des relations de confiance et d'aide réciproque : je vais avoir besoin de vous.