Je vais vous offrir quelques repères sur l'action récente du Conseil de l'Europe dans les domaines étudiés aujourd'hui.
On peut porter trois éclairages successifs sur le développement de la coopération culturelle auprès du Conseil de l'Europe. À l'origine l'accent était mis sur la prise de conscience d'une identité culturelle européenne autour de références communes. On pense aux grandes expositions d'art des années 1960. La priorité a porté ensuite à partir des années 1970 sur la démocratisation de la culture et l'accès du plus grand nombre aux pratiques culturelles. Le Conseil de l'Europe a créé un système d'évaluation comparative des politiques, qui se poursuit jusqu'à aujourd'hui avec la Turquie et la Russie. Depuis la fin des années 1990, on constate un passage de la thématique « démocratisation de la culture » à une « culture de la démocratie » ; on recherche à travers les pratiques culturelles l'insertion et la cohésion dans des sociétés marquées par les tensions de la mondialisation et des migrations. Simultanément, la notion de « politique multiculturelle » qui légitime et valorise les cultures diverses, sans pour autant viser leur décloisonnement, tend à faire place à celle de « politique interculturelle » misant sur le dialogue, les interconnexions et la créativité par le croisement des cultures.
Dans ce contexte, la question de la mise en oeuvre effective des droits culturels paraît s'inscrire au coeur du métier du Conseil de l'Europe, auquel les pays ont assigné pour objectif la sauvegarde des droits de l'homme et la promotion des pratiques de la démocratie. M. Meyer-Bisch évoquera sans nul doute l'article 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le Conseil de l'Europe à la mission de décliner au niveau du continent européen ces grands principes et ces valeurs. Il peut intervenir à deux niveaux. Celui de la « recherche action » récoltant à travers l'Europe des données, les analysant, les rediffusant. Un second niveau est plus normatif. La Convention culturelle européenne de 1954, tout comme les conventions du domaine de l'éducation, accentuent l'idée des droits culturels. A la fin des années 90, a émergé l'idée de créer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et d'intégrer les droits culturels dans le mécanisme général des droits de l'homme. Cela n'a finalement pas abouti.
Voyons comment les choses sont en train d'être relancées.
Mine d'informations, le recueil publié en avril 2010 « Making culture accessible » de Mme Annamari Laaksonen, offre un panorama des études, conceptions, instruments juridiques nationaux et internationaux sur les mécanismes d'accès et de participation. Un élément très intéressant est l'éventail des actions relatives à l'identification des besoins de publics cibles diversifiés (jeunes et personnes âgées, minorités linguistiques, immigrés, personnes handicapées, détenus ...) Au côté d'une série d'exemples de terrain pris dans une quinzaine de pays, cette publication fait le point sur les outils d'information et de mesure de l'impact de la participation ; il esquisse surtout des tableaux synoptiques des indicateurs d'évaluation susceptibles de faciliter la conception à l'ajustement des politiques. La nécessité d'une collaboration internationale permettant l'échange de bonnes pratiques est enfin rappelée, le Compendium des politiques culturelles du Conseil de l'Europe étant un outil accessible à tous.
Renforcer l'accès à la culture est au premier ou à l'arrière-plan de tous les travaux du Conseil de l'Europe sur la gestion de la diversité sur l'enseignement, sur les politiques de jeunesse, sur les services sociaux et de la culture. C'est aussi un aspect du Livre blanc sur le dialogue interculturel qui énumère les conditions indispensables à ce dialogue via l'adaptation des structures de gouvernance.
Signalons ici une expérience fort intéressante, née de ce livre blanc du Conseil de l'Europe, qui exprime une concrétisation de l'exercice des droits du citoyen sur le terrain. Le programme pilote des « Cités interculturelles », action pilote du Conseil et de l'Union européenne, a identifié un échantillon test de onze villes – dont Lublin, Lyon, Melitopol, Oslo, Patras ou encore Regio d'Emilie – dans une expérience qui cherche à offrir des outils pour faire face au problème de l'immigration dans un certain nombre de villes du continent, un phénomène qui ne fera que s'accroître, y compris dans les villes plus à l'est de l'Europe qui connaissent une baisse de la natalité.
L'exercice consiste à proposer aux villes un modèle d'intégration interculturelle des migrants et des minorités perçu comme une chance à exploiter pour l'image de la ville. La publication en 2010 Cités interculturelle - Vers un modèle d'intégration interculturelle rend compte de l'expérience et fournit des contacts utiles pour mieux la découvrir. Les villes travailleront en réseau et pourront échanger des programmes.
Une telle démarche repose évidemment sur les principes d'égalité, de non-discrimination et de dignité entre les personnes. Elle peut ouvrir la voie d'une pluri-appartenance culturelle vécue par les individus qui prédisposerait à une meilleure compréhension des valeurs respectives des groupes de population. A cet égard, je voudrais rappeler un travail original qui a été réalisé sous les auspices du Conseil de l'Europe, le Manifeste européen pour la multiple appartenance culturelle, rédigé en 2007, outil de travail destiné à l'éducation civique, la formation et la vie associative. Piste de travail sur le chantier des droits de l'homme, ce texte traite des conditions d'exercice du droit de chacun de participer ou de ne pas participer à la vie culturelle, de ne pas se laisser enfermer dans des systèmes de représentation rigide et d'exercer les droits de chacun dans le respect du choix et des droits des autres. Il se réfère aussi à la gestion de la mémoire collective – l'oubli n'est pas l'amnésie – et à la multiperspectivité dans l'enseignement de l'histoire.
Le rapport de l'Assemblée parlementaire portera une attention particulière aux arts plastiques et au spectacle vivant et visera plus particulièrement les décideurs, les artistes et surtout les jeunes. Un vaste chantier devrait aussi s'ouvrir sur les cultures de la toile, sur les outils qu'offrent la société de la connaissance et les produits on line et off line à l'encouragement à la créativité. Cependant, ce n'est pas sur les cultures de demain ou d'après-demain que le Conseil de l'Europe a fait oeuvre d'innovation ces dernières années, mais plutôt à travers une actualisation du concept de patrimoine culturel telle qu'elle figure dans la Convention cadre sur la valeur du patrimoine pour la société, dite Convention de Faro. La publication du Conseil de l'Europe « Le patrimoine et au-delà » en commente les contours. Il s'agit d'une relecture en profondeur de la notion de patrimoine fondée sur l'exercice des droits culturels.
La Convention de Faro devrait entrer en vigueur en 2011 car le dixième instrument de ratification sera déposé sous peu. Il est reconnu pour la première fois dans un traité international que « le droit au patrimoine culturel est inhérent au droit de participer à la vie culturelle, tel que défini par la Déclaration universelle des droits de l'homme » (Article 1er). Toute la suite découle de ce principe.
Le patrimoine est moins considéré désormais en tant qu'objet que comme un projet humain. Contrairement aux conventions antérieures reposant sur des cloisonnements sectoriels, scientifiques et administratifs, une définition transversale inédite du patrimoine est adoptée, recouvrant aussi bien des composantes matérielles qu'immatérielles ; pour la première fois, une définition est donnée du « patrimoine commun de l'Europe » intégrant à la fois des biens matériels – à savoir le patrimoine bâti et les objets mobiliers – et un ensemble de valeurs communes issues d'une histoire commune faite des moments d'ouverture et de fermeture , de conflits et de réconciliations, et de phases de progrès dont l'héritage des droits de l'homme et de la démocratie font partie.
Le patrimoine est considéré comme une ressource – c'est le terme central de cette approche – que des personnes estiment être un reflet et une expression de valeurs, croyances, savoirs et traditions en continuelle évolution. C'est le patrimoine en tant que projet, ce que les hommes en font et ce qu'ils définissent.
Cette définition du patrimoine va de pair avec l'introduction du concept des « communautés patrimoniales » qui se forment pour maintenir et transmettre un patrimoine en relayant l'action des pouvoirs publics. Il n'y a là aucun relent de « communautarisme ». Ces communautés patrimoniales peuvent être transnationales ; elles sont proches des communautés d'intérêt, à savoir un groupe de personnes se réunit pour bâtir un projet. Ainsi en est-il, par exemple, d'associations internationales regroupant des archéologues ou des spécialistes de l'architecture du XXème siècle ou du patrimoine industriel.
Cela suppose une démarche proactive impliquant diverses conséquences. Ill revient certes aux pouvoirs publics de juger de l'intérêt public de biens et d'utiliser dans certains cas les mécanismes de protection traditionnels avec les financements que cela suppose ; mais des patrimoines peuvent aussi être identifiés par des groupes actifs de population et entretenus sans forcément de protection juridique ou de financements accordés au titre des monuments historiques. Des expériences actuelles de prise de conscience de l'apport des ressources patrimoniales, par exemple liées à un passé industriel et commercial existent déjà, notamment à Marseille nord avec l'héritage de l'industrie traditionnelle du savon ou à l'est de Lyon avec la soie artificielle.
La Convention a pour principe de favoriser le développement humain et la qualité de vie. Le design de la ville, l'architecture espace public, mobilier urbain, arts plastiques, sont un élément de cette approche globale du patrimoine, venant en synergie avec le patrimoine vivant, la musique, les arts et traditions populaires, bref, tout ce qui fait l'esprit des lieux et la fierté d'un lieu dans une logique de développement. Elle met aussi un accent particulier sur la pédagogique du patrimoine qui, en créant les bases d'information utiles, peut faciliter l'exercice effectif du droit de participer à la vie culturelle. Des initiatives entre établissements scolaires de plusieurs pays se poursuivent faisant le lien entre la découverte des patrimoines, les arts plastiques et d'autres expériences de créativité par les jeunes. .
La Convention de Faro définit un processus de suivi. Quelles sont les valeurs actuelles qui président à la reconnaissance d'un patrimoine ? Quels acteurs jouent un rôle dans l'identification du patrimoine architectural ? Quels sont les types de formation à donner pour identifier les valeurs multiples attachées au patrimoine par diverses communautés ? Quelles sont les tensions croissantes entre les valeurs du patrimoine et d'autres valeurs de notre société ? La France, puisque nous sommes à Paris, a grandement investi dans un outil de travail multinational : Il s'agit du Réseau européen du patrimoine, le système d'information HEREIN, permettant aux différents pays de travailler ensemble. Ainsi la Convention de Faro apparaît comme un atelier de réflexion permanente sur l'usage des patrimoines dans une société en changement.