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Intervention de Katérina Stenou

Réunion du 3 novembre 2010 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Katérina Stenou, directrice de la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, UNESCO :

Merci à mes amis du Conseil de l'Europe qui témoignent une nouvelle fois de leur confiance à l'égard de l'UNESCO en me demandant de m'exprimer aujourd'hui dans le cadre de cette audition sur un sujet passionnant et qui nous unit depuis longtemps.

Avant de dessiner en pointillé les lignes conceptuelles et opérationnelles de notre sujet « Le droit de chacun de participer à la vie culturelle », je souhaite évoquer mon implication personnelle en tant que directrice de la Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel à l'élaboration de la Déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle (2001), amplement citée dans votre document de travail, et en tant que coordonnatrice de la Convention que vous connaissez tous en votre qualité de parlementaires : la Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005). Nous y reviendrons, puisque cette convention constitue un instrument par excellence, qui assure à tous les conditions favorables pour que les ressources culturelles, chères à chacun, puissent être disponibles, diverses, accessibles et régénératrices. Nous avons, avec ces instruments qui complètent ceux consacrés à la protection du patrimoine stricto sensu, un dispositif juridique mis en oeuvre par l'UNESCO en faveur de la diversité créatrice, destiné à favoriser un environnement mondial où la créativité des individus et des peuples est protégée dans sa riche diversité, garantissant, idéalement, la participation de tous à la vie culturelle de leur choix.

Je voudrais également réagir « à chaud » aux propos de M. Fleming en abordant les musées en tant qu'espaces concrets d'exercice du droit de participation à la vie culturelle. Pour l'UNESCO, ceux-ci sont d'exceptionnels conservatoires de la diversité culturelle. Centres d'accès aux savoirs sur les cultures et d'éducation formelle et informelle, ils participent également à la compréhension mutuelle et à la cohésion sociale. Hauts lieux destinés à la sauvegarde de la mémoire, ils sont aussi de véritables laboratoires où de nouvelles formes d'appartenance et de convivialité peuvent s'inventer. En effet, les musées permettent à des objets issus de différentes civilisations de se côtoyer conduisant ainsi le public à une meilleure connaissance et à un plus grand respect de l'altérité.

Permettez-moi de rappeler que l'UNESCO est la seule institution du système des Nations Unies chargée de la protection et de la promotion de la « féconde diversité des cultures ». La poursuite de cet objectif, fondé non seulement sur le constat de la diversité mais sur les possibilités de dialogue qu'elle ouvre plus largement, l'UNESCO l'a placée au coeur de sa mission, renouvelant sans cesse ses cadres conceptuels et opérationnels. En sont témoins : la reconnaissance de l'égale dignité de toutes les cultures, la protection des biens culturels, le respect des droits culturels, la promotion du dialogue interculturel, la définition des politiques culturelles en faveur de la diversité et du pluralisme culturels, la préservation des patrimoines culturels, etc.

Toutefois, malgré l'étendue de son action en faveur de la culture, l'UNESCO est très souvent associée à la sauvegarde du patrimoine exclusivement. Vous connaissez tous la Convention de l'UNESCO de 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel et la fameuse Liste du Patrimoine mondial qui en découle. Cette dernière est très connue, appréciée et plusieurs pays souhaitent voir leurs biens culturels et naturels y figurer. D'après diverses statistiques, les voyageurs réservent à leurs visites, de manière quasi systématique, des sites inscrits sur la Liste du Patrimoine mondial. L'inscription sur cette liste n'est pas un acte simple mais un acte hautement politique, puisque les choix des États membres impliquent la reconnaissance de la « valeur universelle exceptionnelle » d'un site et dont la communauté internationale se porte garante. Elle crée, ce faisant, les conditions indispensables pour que tous et chacun puissent s'y reconnaître et, d'une manière ou d'une autre, se sentir concernés et appelés à participer à la préservation, la sauvegarde et la mise en valeur de ces sites. C'est ainsi que des liens imperceptibles entre le politique et la culture, dans toutes ses manifestations, anciennes et contemporaines, se tissent.

Pour mieux faire comprendre la complexité de cette diversité créatrice à travers le temps et l'espace, deux mots sur les notions et les liens entre l'ancien et le moderne. L'ancien, si on le prend dans le sens étymologique, est un terme actuel et qui n'appartient pas au passé. « Ancien » signifie apparu depuis longtemps ouet porté par une longue histoire ; d'où l'affirmation paradoxal que «  les véritables anciens, plus anciens que les anciens, sont les hommes d'aujourd'hui ». Ce constat rejoint celui d'Auguste Comte, peu suspect de haïr le progrès, lorsqu'il affirme que « la société était composée de plus de morts que de vivants ».

Le « moderne » d'après Robert Estienne, de l'adverbe modo, signifie ce qui est le plus sujet à variation, « le temps présent ou à peine passé ou tout près d'advenir ». Être moderne, ce n'est pas jouer le présent ou l'avenir contre le passé, mais plus subtilement un présent possible contre un présent réel, un ancien éloigné contre un ancien proche ou un avenir lointain contre un avenir imminent. C'est cette oscillation permanente entre présent, passé et avenir qui caractérise la modernité. La modernité est un état d'esprit, une agilité mentale qui fait fi du temps réel et conduit à inventer de nouvelles rationalités ou à acclimater et à naturaliser de nouveaux savoirs et de nouvelles sensibilités. C'est là où l'argumentaire conceptuel et politique de la Convention de 2005, citée au début, trouve sa place. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je lie toujours ces citations de l'ancien et du moderne au patrimoine et j'y découvre toujours son insolente contemporanéité !

Pour honorer l'Assemblée qui nous réunit aujourd'hui, je citerai encore Descartes et Baudelaire, qui ont été « modernes » à des titres presque opposés. Le premier en misant sur le « sujet pensant » dont il affirme le pouvoir et le second sur le « sujet sensible » en quête de l'éternité dans l'instant. Or, on le sait bien, la culture, en général, et l'art, en particulier, relient de manière unique et infinie le sensible et le rationnel et, de ce fait, relancent de nouveaux défis de participation à un environnement en constante mutation dont il faut élaborer des clés de lecture, sans parler des outils pour y contribuer.

Ceci est encore plus urgent aujourd'hui, où nous vivons au quotidien la compression de l'espace et du temps et où une multitude de codes culturels se côtoient et s'affrontent sans cesse. Il y a là des gisements culturels insoupçonnés qui lancent de nouveaux défis aux institutions intergouvernementales et non gouvernementales concernant «  le droit de chacun de participer à la vie culturelle ». L'UNESCO, en tant qu'instance avec un mandat universel, se trouve devant une immense responsabilité qui se décline dans tous ses champs de compétences : l'éducation, les sciences, la culture et la communication. En effet, nous vivons une situation inédite où la diplomatie culturelle occupe une place de plus en plus importante sur l'agenda politique mondial. Elle est perçue comme un nouveau soft power, qui souhaite « persuader les autres de désirer ce que veut le prescripteur à travers des icônes symboliques et des images et valeurs positives qui leur sont associées (getting others to want what you want through symbolic icons and associated positive images and values) ».

Pourtant, la mise en circulation des objets, des connaissances, des inventions et des créations n'est proportionnelle ni aux ressources, ni aux besoins de l'humanité. Coexister, c'est-à-dire raisonner et sentir à l'unisson, ne signifie pas vivre sur un module universel étriqué, mais participer pleinement à l'infinie richesse des cultures du monde. L'UNESCO entend conjurer les risques d'une « misère symbolique » qui menacerait le monde. C'est pourquoi nous établissons toutes ces Conventions, garantes de plus de diversité de qualité, offrant plus de choix informés, constituant ainsi un fonds culturel commun dont tous sont à la fois contributeurs et bénéficiaires.

Le paysage mondial actuel a interpelé l'UNESCO sur les nouvelles conditions de participation à la vie culturelle locale, nationale, régionale et internationale dont j'en retiendrai deux.

En premier lieu, l'acquisition des compétences interculturelles appropriées, indispensables soit pour créer, soit pour déchiffrer, décrypter, adopter ou rejeter les divers codes et symboles en circulation. Le succès d'une telle acquisition dépend de l'aptitude des différents partenaires à redécouvrir le passé et le présent à partir d'une perspective culturelle différente de la nôtre. Il résulte également de leur faculté d'analyse critique afin de « décoloniser » l'esprit, les valeurs et les systèmes de connaissances qui perpétuent les motifs de supériorité. La compétence interculturelle s'attache donc à nous sortir de notre propre logique et de nos systèmes culturels afin de nous engager vers les autres et d'entendre leurs conceptions. L'acquisition d'une compétence interculturelle constitue un défi exaltant dans la mesure où nous ne sommes pas appelés, naturellement, à comprendre les valeurs des autres au même titre que les nôtres : celles que nous rencontrons dans le contexte de la famille, le cercle des amis, l'école, la religion ou encore la société.

En second lieu, l'acquisition de nouvelles compétences interculturelles nous conduit tout naturellement à une autre condition indispensable pour la participation effective à la vie culturelle, à savoir la nécessité d'acquérir une ou plusieurs citoyennetés culturelles, voire une citoyenneté interculturelle. A noter que cette dernière est définie comme la faculté et la capacité des personnes - en particulier si celles-ci ne sont pas valorisées ou reconnues dans un contexte culturel donné - de participer de manière active et responsable à la vie de leur propre communauté, de leur pays et du monde globalisé ; elle n'est pas l'équivalente de la notion de nationalité mais tout en étant fondée sur les notions de reconnaissance et de respect de la diversité, elle reste dynamique et transformatrice, exigeant la compétence d'apprendre et de ré-apprendre. Dans cet esprit, la citoyenneté interculturelle pourrait constituer un nouveau moyen pour pallier aux carences d'une citoyenneté défaillante en créant l'osmose, la communion et l'alchimie du contact avant de laisser place au politique et devenir droit effectif.

Pour conclure, il faut répéter sans relâche que parmi tous les droits de l'homme, les droits culturels sont ceux qui garantissent l'accès de tous aux références culturelles, qui constituent le capital symbolique de l'humanité. Ce sont les droits d'accès aux ressources culturelles qui permettent à chacun de pouvoir s'identifier, s'épanouir et se projeter dans l'avenir, voire participer pleinement à son devenir.

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