Je voudrais dire ô combien je suis heureux de voir nos deux Commissions de la culture réunies ici, salle Lamartine, pour échanger – ce qui revêt aussi un sens au plan culturel.
Je suis également heureux de constater que certains de mes collègues de l'Assemblée nationale française et du Sénat sont présents. Ce sera aussi l'occasion pour eux de comprendre à quel point nos travaux au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sont importants. Nous traitons prioritairement l'ensemble des sujets qui ont un rapport avec les droits de l'homme, mais comme vient de le dire Muriel Marland-Militello, la culture c'est aussi un droit de l'homme. Lorsque nous aurons fait en sorte que chacune et chacun puisse accéder librement à un enseignement culturel, nous aurons réalisé un grand pas en termes de défense des droits de l'homme.
Je salue mes collègues de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui ont fait le déplacement jusqu'à Paris. C'est un grand bonheur pour nous de les accueillir au Parlement français, où ils sont toujours les bienvenus. Je suis heureux, Michèle Tabarot, de voir que la France reprend progressivement pied au sein de cette grande maison de la démocratie qu'est le Conseil de l'Europe.
Je salue également l'équipe administrative, qui accompagne notre ami Wojciech Sawicki, qui vient d'être élu brillamment Secrétaire général de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Le thème d'aujourd'hui est « Le droit de chacun de participer de la vie culturelle ». J'illustrerai ce thème par un exemple qui m'est cher, celui de ma ville. Je suis maire d'une ville de 22 000 habitants. C'est une spécificité bien française : un parlementaire peut cumuler une autre fonction que celle de parlementaire : il peut être député-maire, ce qui est mon cas.
Ma ville a été confrontée par le passé à de gros problèmes de société, des populations issues de l'immigration ayant des difficultés à s'intégrer. Je suis maire de la ville de Dammarie-les-Lys depuis vingt-sept ans – j'ai été élu à trente-trois ans – et je dois avouer que je n'y connaissais pas grand-chose à l'époque. Je n'avais derrière moi qu'un mandat de conseiller municipal. Toujours est-il que j'étais passionné par la culture et que je considérais que nous allions régler les problèmes auxquels ma ville était confrontée par le sport et par la culture essentiellement.
La France a eu l'idée extraordinaire – j'en remercie le Gouvernement – de mettre en place une agence nationale de rénovation urbaine pour régler tous les problèmes liés au bâti et aux quartiers sensibles. Nous avons dépensé beaucoup d'argent. La ville de Dammarie-les-Lys a mis en oeuvre l'un des quinze plus importants chantiers de rénovation urbaine de France, à hauteur de 300 millions d'euros, ce qui est considérable. Mais si nous nous intéressions uniquement au cadre bâti, c'est-à-dire à démolir des bâtiments, des barres, des tours, si nous nous occupions uniquement à résidentialiser certains de ces bâtiments, de les réhabiliter ou de les rénover, ces 300 millions d'euros ne serviraient pas à grand-chose, sans un accompagnement social qui soit de qualité et efficace.
Dans cet accompagnement social, la culture prend toute sa dimension. Ma ville compte 22 000 habitants ; je considère que j'ai 22 000 artistes en puissance dans ma commune ! Car ce sont des personnes bourrées de talent. Encore faut-il qu'on leur donne la possibilité de s'exprimer et que nous fassions ce que font d'autres communes, qui disposent de plus de moyens. Je ne suis pas déçu, parce que, en effet, la jeunesse, mais pas seulement, toutes les tranches d'âge de la population participent à ce dynamisme culturel que nous avons mis en place.
La vie nous offre des rencontres fortuites, mais qui peuvent être des déclencheurs. Voilà quelques années, j'ai eu le privilège de rencontrer Didier Lockwood, un grand artiste, musicien de jazz, un des meilleurs : il est considéré comme le fils spirituel de Stephane Grapelli. Il voulait ouvrir une école de musique pas comme les autres. J'aurais aimé être musicien, mais je n'ai jamais été à même d'apprendre à jouer d'un instrument, car dans ma jeunesse, il fallait pour cela intégrer un conservatoire de musique, ce qui n'était pas donné à tout le monde, sans compter que, la porte franchie, on se retrouvait face à des personnes très impressionnantes. On avait plus envie de fuir que de tenter d'apprendre un instrument, de crainte de paraître ridicule.
Lorsque Didier Lockwood prend son violon, lorsqu'il improvise, il sait faire passer le courant, il sait faire passer les messages. J'ai mis à sa disposition un château désaffecté de Dammarie-les-Lys, où il a créé le Centre des musiques Didier Lockwood. Cette école permet à tous les jeunes de la ville qui le souhaitent de bénéficier de cet enseignement original qu'il a conçu lui-même, fondé sur le rythme. C'est une ville « très rythmée » eu égard à la population d'origine immigrée. Il enseigne et anime les master classes lui-même, il organise une fois par mois Les mardis jazzy, auxquels la population assiste, toujours plus nombreuse ; elle vient à de grands shows ou à des numéros d'improvisation. Les plus grands artistes, les meilleurs musiciens du monde entier passent voir Didier Lockwood, jouent avec lui ; et la jeunesse locale est incitée à participer, car tout cela se passe de façon simple et spontanée.
Didier Lockwood a également eu envie d'entrer dans les écoles. Nous avons donc créé une classe orchestre dans l'école la plus défavorisée de la ville. Je suis stupéfait d'y voir des gamins jouer du violon alors que, quelques mois avant ils n'avaient pas touché un instrument de leur vie !
La population locale s'est éprise de tout ce qui touche à la culture. Cela mérite d'être souligné. Quand on donne la possibilité à toute une population de s'essayer à la culture, à un art, on est très souvent agréablement surpris. Nous ne jouons pas que de la musique dans ma ville, même si j'aime la musique : on pratique aussi la danse.
Nous avons conçu une idée originale. Une fois par an, le maire que je suis offre une salle et des conditions matérielles à celles et ceux qui veulent m'accompagner sur scène et s'exprimer dans des conditions exceptionnelles. Je m'explique : en France, nous avons pour tradition la cérémonie des voeux du maire. Personnellement, je m'y ennuie, car le maire que je suis monte à la tribune pour faire son discours, pendant que les gens passent d'une jambe sur l'autre, n'attendant que le début du buffet !
J'ai décidé de bouleverser cette cérémonie et de dire ce que j'avais envie de dire ce jour-là à travers la musique, la chanson, la danse, le spectacle. Je permets ainsi aux forces vives de ma commune, aux associations en particulier, de s'exprimer sur un thème que je choisis moi-même. Je participe à l'élaboration du scénario, également à la mise en scène de la soirée – il m'arrive de chanter ! Il y a là au minimum 2 500 personnes qui se pressent. Le spectacle est gratuit et je dis à quelques amis qui sont dans le show biz et qui ont du mal à remplir des salles : « Moi, j'arrive à remplir une salle de 2 500 places ! »
Calogero vient chanter prochainement dans une nouvelle salle, l'espace Pierre Bachelet. Ma chance a peut-être été de connaître un certain nombre de personnes atypiques, hors du commun comme Pierre Bachelet, Nino Ferrer, Michel Delpech et d'autres ; à chaque fois qu'elles le peuvent, elles viennent et apportent leur contribution, généralement bénévole, à cette vaste entreprise de promotion de la culture. Cette soirée est donc absolument magique ! On y voit des enfants, des adultes, qui ont travaillé et qui nous offrent un spectacle bluffant, digne d'un spectacle de professionnels. Bien sûr, nous y mettons le paquet en termes de lumières, de son, de technique. C'est le moment qu'attend la population toute l'année ! Avant, on s'ennuyait aux voeux du maire. Depuis que le maire ne parle plus, mais anime la soirée, on y revient !
C'est un tout, nous vivons au rythme de la culture, nous sommes persuadés que les 300 millions d'euros que le Gouvernement nous a octroyés pour lancer cette vaste opération de rénovation urbaine n'auraient servi à rien si nous n'avions pas privilégié le développement d'un enseignement culturel.
Nous organisons également de nombreuses expositions, de toujours meilleure qualité. Le département de Seine-et-Marne, du sud parisien, s'est fait une réputation. Nous y associons toujours un artiste. Les écoles sont invitées à visiter ces expositions au cours desquelles l'artiste commente tout ce qui est accroché au mur.
Je suis convaincu qu'il faut maintenir le volet culturel dans les compétences actuelles du Conseil de l'Europe. Le Conseil de l'Europe existe depuis soixante ans. Si nous considérons tout ce qui a été fait par cette institution qui est la plus ancienne institution paneuropéenne, nous pouvons être fiers. Celles et ceux qui ont permis un tel développement peuvent l'être aussi. C'est un bel hommage que nous rendons à nos grands anciens qui ont considéré depuis soixante ans que la culture était un vecteur qu'il fallait prendre en compte et c'est un bel hommage que vous faites à la culture, Madame Marland-Militello, Madame Tabarot, Monsieur Flego, en organisant une réunion conjointe de nos deux Commissions.