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Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 3 novembre 2010 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat français :

Je suis très heureux de retrouver aujourd'hui la Commission de la culture, de la science et de l'éducation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, que j'ai eu l'honneur de présider de 2005 à 2008, et je remercie Muriel Marland-Militello de me donner cette raison d'être parmi vous aujourd'hui et mon excellente collègue, Michèle Tabarot, Présidente de la Commission de la culture et de l'éducation de l'Assemblée nationale, de m'avoir convié à participer à vos débats.

Le thème de l'accès de tous à la culture qui nous réunit aujourd'hui est un sujet majeur. Jean Monnet n'affirmait-il pas, lorsque l'on parlait de la construction européenne : « Si c'était à refaire, je commencerais par la culture ? ».

Je préside aujourd'hui la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat français – autrefois dénommée Commission des affaires culturelles – que nous avons choisi de rebaptiser à l'occasion de la révision constitutionnelle. Et nous avons fait le choix de cette nouvelle dénomination pour mieux mettre en évidence les liens étroits qui existent entre culture et éducation. Je suis en effet convaincu que c'est par l'éducation que nous permettrons aux plus jeunes de nos concitoyens d'accéder à la culture. Dans ce domaine, il serait vain d'affirmer un droit qui, faute de connaissance, ne pourrait s'exercer.

Quant à la communication, c'est, pour ma Commission, le coeur du sujet. Depuis plusieurs mois nous nous efforçons de prendre en compte la révolution numérique, qui bouleverse tous les usages culturels, d'y apporter les adaptations législatives indispensables, tant dans le secteur de la musique, du cinéma ou, la semaine dernière encore, du livre ou de la photographie.

Notre objectif est d'assurer la protection des droits des créateurs sur Internet, pour que ce formidable outil ne définisse pas une zone de non-droit, qui finirait par détruire la création culturelle. Quand il n'y a plus de création c'est la culture qui est attaquée.

Nous nous sommes également préoccupés au cours de l'armée écoulée de la question de la numérisation des oeuvres du patrimoine écrit. Dans un premier temps, nous avons tous été enthousiasmés par la numérisation, permettant un accès universel aux contenus culturels ; tous les livres pour chaque lecteur où qu'il soit, c'est la réalisation du gigantesque musée virtuel ouvert à tous les citoyens du monde et, en quelque sorte, la concrétisation du rêve qu'a exprimé Malraux à la télévision avec tant de force, provoquant l'incrédulité, voire l'incompréhension. Et pourtant il avait vu les choses avant tout le monde !

J'avais moi-même été amené, lorsque je présidais la Commission de la culture de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, à faire adopter en 2007 une motion approuvant la création d'une bibliothèque numérique européenne. L'apparition de Google dans ce domaine et les menaces qui semblaient peser sur l'identité de la Bibliothèque Nationale Française nous ont quelque peu émus et ont conduit le Sénat à débattre en novembre 2009 des conditions de cette numérisation. Sur tous les bancs, nous avons souhaité qu'un certain nombre de précautions soient prises pour les contenus des bibliothèques publiques, et le ministre de la culture nous a entendus en proposant qu'à travers le grand emprunt, soient dégagés les moyens financiers nécessaires à cette indépendance. Nous nous réjouissons de voir que la France se dotera de moyens financiers permettant de dialoguer avec ces grandes sociétés, non pas de les écarter, mais de trouver le moyen d'une juste coopération.

La Commission de la culture du Sénat a en outre souhaité accompagner les chantiers numériques lancés par le Gouvernement en octobre 2007 pour favoriser l'accès par Internet à la culture. Le portail culture.fr me semble, en effet, un outil extraordinaire de diffusion des contenus culturels tourné vers le citoyen. La découverte des musées, des monuments historiques, des sites archéologiques par un simple clic est magique. Quelle chance de pouvoir visiter le Louvre sur son smartphone ou son Ipad, de découvrir le château de Versailles sur une maquette numérisée en 3D ou de visiter Paris ou Saint-Denis au Moyen âge à travers des reconstitutions numériques ! De même, le lancement du nouveau site de la Cité de la musique permettra l'accès au plus grand nombre des concerts de la Cité de la musique et de la salle Pleyel.

L'outil existe, mais le problème est aujourd'hui de permettre au plus grand nombre de l'utiliser. Je ne reviendrai pas sur les politiques culturelles menées par le Gouvernement français, mais nous soutenons toutes les initiatives favorisant l'accès de nos jeunes concitoyens à la culture, qu'il s'agisse de l'expérimentation de gratuité dans les musées, du cinéclub au lycée, des actions pédagogiques de la Cité de la musique ou de la carte musique sur laquelle je reviendrai dans un instant. Je salue également les initiatives récentes des exploitants de cinéma qui vont diffuser les chefs-d'oeuvre de l'opéra dans de nombreuses salles sur tout le territoire. Quelques débats ont eu lieu sur le sujet ; nous pensons nécessaire que là où il y a une salle, on puisse éventuellement accéder au spectacle d'opéra. C'est un élément de démocratisation extraordinaire.

Je voudrais vous faire part de plusieurs thèmes de réflexion qui ont particulièrement préoccupé ma Commission au cours des derniers mois et en tirer quelques préconisations.

L'enseignement artistique, tout d'abord. Tout se joue dès le plus jeune âge et c'est l'école qui doit donner la clef d'accès à la culture. Les conseils de Fénelon – je suis un élu de la ville de Cambrai et Fénelon était notre grand homme ! – retrouvent ici toute leur actualité : « La curiosité des enfants est un penchant de la nature qui va comme au-devant de l'instruction ; ne manquez pas d'en profiter. » Quel excellent pédagogue !

La loi sur l'avenir de l'école de 2005 a jeté les bases d'une meilleure prise en compte de cet enjeu, en incluant l'éducation artistique dans le socle commun des connaissances. Cette démarche me paraît essentielle. Notre Commission a auditionné Didier Lockwood qui nous a présenté les travaux du Haut conseil pour l'éducation artistique et culturelle. C'est un homme d'expérience, dont je salue les initiatives originales dans le domaine de la formation des jeunes à la musique. Je partage ses ambitions concernant la nécessaire formation des enseignants et l'enseignement de l'histoire de l'art dès l'école primaire, en partenariat avec les professionnels et les acteurs locaux. A cet égard, il me paraît dans ce domaine encore indispensable de tirer parti des outils numériques pour lutter contre les inégalités territoriales. Je soutiens l'extension à toutes les communes rurales de moins de 2 000 habitants du plan « écoles numériques rurales », qui est un succès et a contribué à la formation des enseignants et à la modernisation de leur pédagogie. Quand je visite une école rurale et que je vois ce merveilleux instrument, il me vient parfois la nostalgie de l'époque où j'étais moi-même jeune professeur. Je me dis que mes collègues ont bien de la chance d'avoir un tel outil à leur disposition ! C'est un excellent outil de diffusion de la culture dans les zones faiblement équipées, tant il est bien clair que la fracture numérique crée aussi une fracture culturelle ! Car n'oublions pas que cette initiation culturelle dès le plus jeune âge conditionne le reste du parcours scolaire. J'ai pu le constater à l'occasion de mon rapport d'information sur la diversité sociale dans l'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles. C'est au niveau des épreuves de culture générale que se fait le barrage et c'est pourquoi la plupart des programmes mis en place dans les zones difficiles visent à initier les jeunes aux sorties culturelles.

L'accès à la culture passe également par les médias. Malgré le développement d'Internet, le jeune public est encore un grand consommateur de télévision et y passe en moyenne plusieurs heures par jour. Nous souhaitons, bien entendu, que les chaînes privées s'impliquent davantage dans ce domaine, mais leurs choix éditoriaux ne sont pas tout à fait de notre ressort. C'est pourquoi le service public doit être exemplaire et nous en avons exprimé le souhait, lors de l'avis rendu par la Commission sur le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions. Le service public doit en effet jouer un rôle essentiel dans ce domaine, d'autant qu'il est aujourd'hui délivré de la dictature de l'audimat. A cet égard, je tiens à réaffirmer que tout en admettant la nécessité d'un moratoire rendu nécessaire par l'état de nos finances publiques, je demeure, à titre personnel, un fervent partisan de la suppression totale de la publicité sur le service public et d'une limitation du « parrainage ». S'agissant des contenus, je salue le virage éditorial pris par les dirigeants du service public depuis plusieurs années en faveur d'une meilleure diffusion de la culture, qu'il s'agisse des fictions ayant pour thèmes des oeuvres littéraires ou des retransmissions de spectacles vivants. Quel plaisir de voir actuellement partout la publicité sur la princesse de Montpensier ! C'est un bon signe.

Les initiatives de Radio France me semblent également aller dans le bon sens, et notamment la réforme du Mouv' qui vise le développement de la citoyenneté chez les jeunes auditeurs.

Quant à Arte, chaîne culturelle par excellence, la célébration de son vingtième anniversaire a donné l'occasion de partager un bilan positif en faveur de la diffusion culturelle. Si son audience est encore parfois confidentielle, je crois que le développement d'Arte VoD qui touche un public jeune permettra des progrès spectaculaires. Que l'on me permette de dire également que Arte est si précieuse que nous pourrions souhaiter qu'on la trouve, non seulement en France et en Allemagne, mais également dans d'autres pays de l'Europe.

J'en viens à l'Internet, qui, comme je l'ai évoqué tout à l'heure, est au coeur de nos préoccupations. Le développement de l'offre légale, tout d'abord. Nous avons soutenu la loi favorisant la diffusion et la protection des droits sur Internet, et la mise en place de l'Hadopi, haute autorité, parce que nous pensions qu'il ne fallait pas seulement apporter une réponse répressive à la manifestation d'un désir de culture ignorant les droits des créateurs. Vient un moment où, compte tenu des techniques, l'offre doit être accessible au plus grand nombre. Nous souhaitions que les jeunes qui ont peu de moyens puissent, par le biais d'Internet, accéder aux formes contemporaines de la culture. Il aura fallu un an pour que la carte musique, accessible aux jeunes de 12 à 25 ans, voie le jour et nous nous en réjouissons.

L'État va financer 50 % de cette carte à hauteur de 25 millions d'euros par an, mais compte tenu de l'état des finances publiques, il serait bon que les éditeurs de musique en ligne s'impliquent aussi dans ce projet, ce qui conforterait ses chances de réussite. Toutefois, les jeunes ne se tourneront vers cette offre payante que si une éducation au respect de la propriété intellectuelle leur a été dispensée, et c'est le système éducatif qui doit assumer cette nouvelle responsabilité.

Mes chers collègues, il faut aborder dans un débat tel celui-ci la question de la gratuité. Internet a offert la possibilité de consommer des biens culturels sans en payer le prix. Les jeunes se sont mis à télécharger des fichiers musicaux, des films et maintenant des livres sans l'accord des auteurs et sans que ceux-ci soient rémunérés – et, au départ, en toute innocence. Certains considèrent que c'est une évolution inéluctable, qu'on ne reviendra jamais en arrière parce que la gratuité répondrait à une forte demande sociale. Je pense au contraire que ce mouvement menace la diversité culturelle et qu'il faut habituer les jeunes générations à payer un prix, même minimum. Internet n'est d'ailleurs pas gratuit puisque pour avoir accès aux oeuvres, on paie des abonnements !

Une autre face de l'accès à la culture est la diffusion de la culture scientifique. L'exercice de la liberté nécessite de comprendre le monde tel qu'il se présente et la société telle qu'elle évolue, car le fossé ne cesse de se creuser entre les experts et le grand public. Voilà encore un problème ! Notre Commission s'est penchée sur cette question dès 2002 à travers une mission d'information qui avait notamment recommandé une amélioration des émissions scientifiques sur les chaînes de télévision. Or les efforts me semblent encore insuffisants aujourd'hui. Une autre préconisation visait au développement territorial de la Cité des sciences, rebaptisée aujourd'hui Universcience, après sa fusion avec le Palais de la découverte. Les résultats ne sont pas encore au rendez-vous. Mais je crois encourageant le récent Forum territorial qui avait pour objectif de s'interroger sur les priorités et d'élaborer de nouveaux modèles collaboratifs à l'échelle nationale et européenne. L'accès aux merveilleuses expositions de ces deux établissements ne doit pas rester l'apanage des petits Parisiens ou des jeunes provinciaux dont les parents ont les moyens. Une meilleure diffusion sur l'ensemble du territoire et même au niveau européen permettra aux enseignants de donner la clef de la culture scientifique au plus grand nombre.

Ces quelques considérations étaient celles d'un président d'une Commission du Sénat, composée d'élus locaux représentant l'ensemble de nos territoires. Il convient ici de rappeler que, dans notre pays, les politiques culturelles reposent sur les collectivités territoriales qui sont les premiers acteurs du développement culturel dont elles assurent une bonne part du financement. Dans ma bonne ville de Cambrai, après avoir inauguré la première bibliothèque dans les années 70, je m'apprête à ouvrir une médiathèque qui permettra de mettre en réseau plusieurs établissements du département.

Je tiens également à saluer l'action des nombreuses associations qui oeuvrent sur l'ensemble du territoire, notamment dans les zones urbaines sensibles, pour favoriser l'accès à la culture pour tous, tant par la mise à disposition de places de spectacles gratuites, que par la sensibilisation des animateurs du champ social. La culture est un vecteur du lien social et il est indispensable d'aider les populations les plus fragiles à « oser » accéder aux lieux culturels.

En conclusion, je tiens à réaffirmer que c'est par l'action conjuguée de tous les acteurs que nous parviendrons à assurer le droit de chacun à accéder à la vie culturelle. Demain, je participerai à la commission mixte paritaire sur le projet de réforme des collectivités territoriales et je défendrai la possibilité d'accords locaux permettant de soutenir des projets culturels entre différents niveaux de collectivités. C'est plus que jamais nécessaire et nous devons, en ce domaine, avoir une approche pragmatique en ne perdant pas de vue l'objectif de la culture pour tous.

Voilà, Mesdames, Messieurs, quelques remarques que je voulais faire en répondant à votre invitation. Je m'arrête, car je serais très bavard sur un sujet si important ! Je remercie une fois encore Mme Marland-Militello d'avoir souhaité traiter ce sujet au sein de la commission de la culture du Conseil de l'Europe, qui me reste très chère.

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