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Intervention de Jean-Luc Reitzer

Réunion du 22 décembre 2010 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Reitzer, rapporteur 2 :

Le projet de loi dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur est un accord bilatéral de sécurité intérieure de forme classique, comme nous en avons déjà examiné beaucoup, et comme nous en examinerons encore. Mais avant d'entrer dans le détail de cet accord et de ses objectifs, je voudrais dire quelques mots de la situation actuelle de la Grèce, très difficile sur le plan financier notamment, ce qui n'est pas sans conséquence sur les implications de l'accord.

À observer la carte de l'Europe, la Grèce, avec ses 132 000 kilomètres carrés, semble un petit pays. Mais ce pays compte quelque 16 000 kilomètres de côtes – voilà qui souligne l'importance de la mer pour la Grèce, que l'on parle de marine marchande ou d'immigration. La Grèce compte un peu plus de 11 millions d'habitants ; c'est très faible au regard de la population des grands pays européens, mais avec cette population, la Grèce se situe néanmoins dans la première moitié des 27 États membres de l'Union européenne.

Sur le plan économique, qui est depuis le printemps dernier un sujet de préoccupation majeure pour l'ensemble de la zone euro, la situation de la Grèce n'est guère florissante. Je me bornerai à évoquer les ratios les plus significatifs : la récession s'est creusée en 2010 et elle sera encore de mise en 2011. Après avoir reculé de 2 % en 2009, le PIB déclinerait cette année de 3 à 4 %, et en 2011 encore de 2,6 %, selon les données attachées à l'accord de refinancement trouvé en mai dernier avec la Banque centrale européenne, le FMI et la Commission européenne. Le déficit des comptes publics, qui s'est établi à – 13,5 % l'an dernier, devrait encore se creuser de plus de 8 % cette année et de 7 à 8 % supplémentaires l'an prochain. Quant à la dette publique grecque, qui s'établissait à 115 % du PIB en 2009, elle représenterait 125 à 129 % du PIB à la fin de cette année et 134 à 140 % du PIB en 2011. Enfin, le taux de chômage en pourcentage de la population active, qui était en 2009 de 9,5 %, grimperait cette année à 11,5 voire 12 %, et l'an prochain éventuellement à 14,5 % !

Le produit intérieur brut mentionné dans les ratios que j'évoquais à l'instant s'élève, selon Eurostat, à 235 milliards d'euros environ, soit moins de 3 % du PIB de la zone euro ; mais compte tenu de la part de l'économie informelle dans l'activité économique générale du pays, l'évaluation du PIB grec n'est jamais absolument certaine. Par définition inconnue avec précision, la part de cette économie grise dans le PIB de la Grèce est estimée entre 25 et 45 %, et le chiffre moyen communément proposé est de 30 % – tels sont les chiffres cités devant nous, ici même, par M. Christophe Farnaud, ambassadeur de France en Grèce, lors de son audition le 11 mai dernier. Des chiffres impressionnants, qui incitent à relativiser les autres statistiques : cela peut signifier notamment que le déficit est moins élevé qu'on ne le croit en pourcentage du PIB.

Pour terminer cette présentation chiffrée et mentionner les derniers développements de la gestion de la crise financière à laquelle la Grèce s'est trouvée brutalement confrontée, je signalerai que le Fonds monétaire international a approuvé, le 17 décembre dernier, le déblocage d'environ 2,5 milliards d'euros dans le cadre du plan d'aide à la Grèce que je mentionnais tout à l'heure. Mis en place conjointement avec le FMI, ce programme met à la disposition du pays une enveloppe de 110 milliards d'euros, dont 80 milliards en provenance des pays de la zone euro.

Dans ce contexte, il est remarquable que le gouvernement grec ait obtenu, lors des élections locales du 14 novembre dernier, un succès d'une telle ampleur. Le parti du Premier ministre Georges Papandréou s'est en effet imposé dans 8 régions sur 13 et dans 73 municipalités sur 325, dont celles d'Athènes et de Thessalonique, qui étaient des bastions de l'opposition actuelle.

Il faut y voir un signe d'espoir dans la reconstruction de l'économie grecque et la conduite des réformes. Dans le même temps, toute déstabilisation de la société grecque, dans ce contexte qui demeure fragile, est à proscrire. C'est pourquoi le renforcement de la coopération en matière de sécurité intérieure au profit de la Grèce est d'une importance cruciale.

Afin de bien percevoir les objectifs de l'accord qui nous occupe, mesurons aussi la place stratégique de la Grèce sur notre continent. Je n'ai pas besoin de souligner que, compte tenu de sa position géographique, avec le passage vers le détroit du Bosphore dont l'importance est aujourd'hui renforcée par les enjeux énergétiques du transit depuis l'Asie centrale ou la Russie, la Grèce est un élément essentiel pour l'économie et la stratégie de l'Europe entière. Cette valeur tient aussi aux relations entre la Grèce et son voisinage balkanique ; elle tient encore à ses relations avec la Turquie, des relations qui orientent fondamentalement sa politique extérieure depuis des siècles.

La Grèce est donc un pays qui compte. Elle est ainsi devenue une cible pour la Chine, qui voit en elle la porte d'entrée pour les produits qu'elle veut exporter vers l'Union européenne mais aussi vers l'Europe du Nord et l'Europe orientale. Ce n'est pas un hasard si un groupe chinois a repris pour partie la gestion du trafic de marchandises du port du Pirée. Ce n'est pas non plus un hasard si la Chine est intervenue pour aider la Grèce à assurer le refinancement de sa dette. Comme nous le rappelait notre ambassadeur, la Grèce est assurément un pays qui compte en Méditerranée orientale et c'est, au sein de l'Union, le pays européen de la Méditerranée orientale.

Ce préambule qui a permis de planter le décor en dit déjà beaucoup sur l'intérêt d'approuver l'accord de sécurité intérieure signé entre la France et la Grèce à Paris, le 19 mai 2008. Porte d'entrée en Europe pour de très nombreux migrants, la Grèce est plus que d'autres États membres de l'Union européenne un point sensible à surveiller dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine. Mais l'intérêt de la coopération bilatérale en matière de sécurité réside aussi dans d'autres domaines, à commencer par la lutte antiterroriste.

En effet, le démantèlement, en 2003, du « groupe du 17 novembre », responsable de vingt assassinats en vingt ans, a été suivi par l'apparition de groupes de « deuxième génération » et d'une persistance d'actions de basse intensité dues à la mouvance anarchiste. Puis les émeutes de décembre 2008 ont provoqué une radicalisation de cette mouvance, ainsi que l'émergence de groupes terroristes de troisième génération. Bien que la France ne soit pas une cible privilégiée de ce terrorisme interne, en 2005 et en 2006 la mouvance anarchiste grecque, adepte des violences urbaines, s'est inspirée de l'actualité française, manifestant son soutien à « la révolte des immigrés en France », à « la révolte des étudiants » et en commettant des actions violentes contre des symboles de la France, saccageant par exemple l'Institut français d'Athènes, en « hommage » aux activistes incarcérés d'Action Directe. De nouveaux épisodes de solidarité anarchiste ont été observés en 2008 et 2009. L'obtention rapide d'informations et une communication fluide avec les services français chargés de la lutte antiterroriste sont donc des fruits à retirer d'une coopération renouvelée et renforcée en matière de sécurité intérieure.

Mais bien sûr, le principal enjeu du projet de loi que nous examinons ce matin demeure l'endiguement des flux migratoires irréguliers dont la Grèce est la proie. Frontière naturelle et juridique sud-est de l'espace Schengen, la Grèce expose à l'immigration 1 200 km de frontières terrestres balkaniques et 16 000 km de côtes. Après une émigration massive jusqu'aux années 60, le phénomène s'est en effet inversé et depuis 1990 la Grèce est devenue terre d'immigration. Sur 11 millions d'habitants, plus d'un million sont étrangers, dont 60 % d'Albanais, sans compter les clandestins dont le nombre est estimé à 300 000 personnes au moins. L'immigration irrégulière, formée de clandestins albanais, mais aussi pakistanais, irakiens, palestiniens, afghans, géorgiens, chinois, somaliens ou kurdes, a pris des proportions alarmantes, au point de faire de la Grèce, comme le titrait un article récent, « le trou dans le mur européen ».

Des mesures sont néanmoins prises pour tenter de remédier à cette situation. Ainsi, les interpellations d'immigrés clandestins ont concerné 96 000 personnes en 2006, 146 000 en 2008, 126 000 en 2009 et 110 000 pour le premier semestre de 2010. Sur les neuf premiers mois de cette année, les arrivées par voie maritime de clandestins en provenance de Turquie via la mer Égée ont considérablement diminué grâce aux efforts accomplis. Mais cette baisse a été compensée par une très forte augmentation des interpellations à la frontière terrestre gréco-turque. La crise dans cette zone dépasse ainsi, par son ampleur, celle qu'ont connue l'archipel des Canaries en 2006 et l'île de Lampedusa en 2008.

Une telle situation a amené la Grèce à demander l'activation du dispositif européen « RABIT » – c'est-à-dire le déploiement d'équipes d'intervention rapide aux frontières. À la suite de ce déploiement, au début du mois de novembre dernier, de quelque 205 gardes-frontières – dont 18 Français – venus de 26 pays de l'Union ainsi que d'Islande et de Suisse, accompagnés des forces de l'ordre grecques, le nombre des passages illégaux par la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie a été réduit de l'ordre de 44 % en un mois. Mais la situation demeure critique et dans ce contexte, le vote du projet de loi d'approbation de l'accord de sécurité intérieure serait particulièrement bienvenu.

En effet, cet accord donne une assise juridique plus solide à une coopération administrative et opérationnelle déjà riche entre la France et la Grèce. Pour en rester à la période récente, je mentionnerai les liens très étroits noués à l'occasion des Jeux olympiques d'Athènes de 2004, ainsi que la déclaration commune signée le 21 juillet 2006 à Athènes entre M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, et son homologue grec. Cette déclaration était une préfiguration directe de l'accord de 2008.

L'article 1er de cet accord traite des domaines couverts : lutte contre le terrorisme, contre la criminalité organisée et contre la production, le trafic, la vente et l'usage illégaux des stupéfiants, des substances psychotropes et de leurs précurseurs chimiques, etc. Au sein de ce vaste ensemble d'ailleurs susceptible d'être encore étendu, pour la Partie française, la priorité est désormais indéniablement la lutte contre l'immigration irrégulière et le suivi du terrorisme interne, pour les raisons développées plus haut. Cependant, tous les autres points sont susceptibles d'être l'objet d'actions de coopération tant technique qu'opérationnelle.

L'article 2 prévoit que la mise en oeuvre de l'accord s'effectue dans le respect de la législation nationale des Parties. En vertu de cette disposition, chaque Partie peut refuser la transmission de données à caractère personnel à l'autre Partie, si elle estime que le système de protection des données de celle-ci ne présente pas des garanties suffisantes. Les articles 3 à 6 détaillent les modalités pratiques de la coopération, qui repose essentiellement sur l'échange d'informations, mais aussi l'envoi d'officiers de liaison sur le territoire de l'autre Partie, ce que fait déjà la France et qui mérite d'être souligné tant il est rare que la France dispose dans un même pays de l'Union de deux de ces officiers, l'un à Athènes et l'autre à thessalonique.

L'article 7 précise quelles autorités et services sont chargés de la mise en oeuvre de l'accord et l'article 8 garantit la protection des données à caractère personnel et le traitement confidentiel des informations échangées dans le cadre de cet accord.

Autoriser aujourd'hui son approbation, ce serait adresser un signal important à tous les services engagés dans la lutte contre les menaces pesant sur la sécurité intérieure ; un signal important à l'encontre des filières d'immigration irrégulière ; un signal important en ces temps de restrictions budgétaires qui tendent à réduire la portée concrète de la coopération, tout particulièrement en Grèce compte tenu de sa situation économique actuelle.

La Partie grecque a ratifié l'accord dès août 2009. Après le vote positif de nos collègues sénateurs en février dernier, je vous invite à voter, vous aussi, ce projet de loi d'approbation.

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