Je suis heureuse de retrouver votre Commission, où j'ai siégé entre 2002 et 2007 avant d'être membre de la Commission des affaires étrangères.
La proposition de loi qui vous est soumise n'est pas un texte de circonstance, même si, ce week-end encore, deux fillettes sont mortes dans des conditions dramatiques. Elle n'est pas non plus le fruit de mon imagination, mais le résultat d'un travail d'observation. Elle est aussi une nécessité. Compte tenu du fait qu'elle a été déposée en janvier 2010, soit il y a près d'un an, je vous proposerai quelques amendements rédactionnels élaborés après consultation de différents organismes et qui n'en changeront pas le fond.
Ce texte est le fruit d'une expérience personnelle, d'une réflexion et d'observations confirmées par l'actualité.
Une expérience personnelle, tout d'abord, car, ayant été dix-sept ans maire et dix ans conseillère générale, j'ai, durant tout ce temps, eu l'occasion de procéder à des signalements et de suivre des enfants en danger.
Quant à la réflexion, je l'ai menée eu sein de notre Assemblée, en qualité de rapporteur de la loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance. Elle est aussi le fruit du travail que j'ai réalisé, que ce soit avec Dominique Perben pour l'élaboration du Guide du signalement à la suite de la loi Jacob, dans mes fonctions de vice-présidente de la mission d'information « famille et droits de l'enfant » – qui a rendu son rapport en février 2006 –, en participant activement à la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance ou en déposant la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui. J'ai également saisi Mme Nadine Morano du problème de la transmission des informations d'un département à l'autre et j'ai participé aux États généraux de l'enfance, où j'ai eu l'occasion de présenter cette réflexion.
La proposition de loi s'inscrit dans la continuité de ce travail et les décès tragiques d'enfants confirment la nécessité de compléter la législation en vigueur : Nathan, trois ans, retrouvé en 2007, plusieurs mois après son décès en août 2006 ; en janvier 2008, Enzo, trois ans ; en mars 2009, Dylan, sept ans, qui n'est pas décédé, mais a été torturé ; en septembre 2009, Marina, huit ans, qui a défrayé l'actualité ; ce dimanche, une fillette de sept ans dans l'Allier et ce lundi, une fillette de trois ans dans le Loiret, torturées par leur mère. La législation ne sera peut-être jamais complète pour protéger les enfants, mais nous devons avoir à coeur de l'aménager.
En 2009, le service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger – le SNATED –, présidé par notre collègue Patricia Adam, a transmis aux conseils généraux 9 235 informations préoccupantes, correspondant à 16 000 enfants en danger, dont 80 % se sont révélées fondées et méritant réellement un suivi. Je vous rappelle aussi que 265 061 mineurs sont pris en charge par les services sociaux et la protection de l'enfance.
Après avoir déposé cette proposition de loi, j'ai procédé à une concertation, notamment avec les associations de protection de l'enfance, l'Assemblée des départements de France – l'ADF –, représentant les présidents des conseils généraux, et recueilli l'avis du Médiateur de la République et celui, positif, de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
La proposition de loi porte sur le signalement des enfants en danger et sur la transmission des informations. La loi du 5 mars 2007 a reconnu le président du conseil général comme le pivot de la protection de l'enfance dans les départements. C'est auprès des conseils généraux que se sont formées les cellules de recueil des informations préoccupantes, qui filtrent les informations qui leur parviennent et diligentent les enquêtes sociales nécessaires pour vérifier la validité des situations et déterminer si les enfants sont « en danger » ou « en risque » de l'être – distinction introduite par la loi de 2007.
Malgré l'évolution favorable de la loi et bien que le suivi des enfants en danger soit correctement assuré grâce à la transmission des informations par les cellules et à la coordination des professionnels de l'enfance au titre du secret professionnel partagé, il est regrettable que, lorsqu'une famille quitte un département pour un autre, les informations ne soient pas transmises au-delà de cette frontière administrative. Outre le fait que certains décrets d'application de la loi du 5 mars 2007 relatifs à la transmission des informations sont encore en attente de parution, certains aspects de cette question devraient être traités sur le plan législatif en vue d'une plus grande efficacité et d'une plus grande rapidité des interventions.
Si le suivi judiciaire des affaires est correct – les dossiers sont transmis d'un parquet à l'autre lorsqu'une famille change de département –, il n'en est pas de même pour l'enquête sociale : au stade du premier signalement et de la première demande d'informations, aucun suivi n'est possible lorsque la famille disparaît. Une famille peut ainsi quitter le département où elle réside lorsqu'elle se sent surveillée. Si l'enfant a de la chance – cela dépend bien souvent du hasard, du courage de l'environnement ou de la possibilité de connaître la situation –, un autre signalement peut intervenir, mais le conseil général du département d'accueil ignore qu'il y a eu un précédent. Du reste, la famille peut déménager une fois encore. Comme l'a rappelé Mme Martine Brousse, directrice de l'association La Voix de l'enfant, la famille de la petite Marina – assassinée par son père, qui a dissimulé son corps dans du béton – avait déménagé quatre fois, disparaissant après chaque signalement, bien que les services sociaux aient fait leur travail et que le père ait été convoqué par la gendarmerie. Au-delà donc du plan judiciaire, le suivi de ces enfants est donc indispensable aussi sur le plan de l'enquête sociale : sans préjuger de ses conclusions, celle-ci doit pouvoir aller jusqu'à son terme même en cas de déménagement de la famille.
Il faut donner au président du conseil général les moyens d'être véritablement le protecteur des enfants que la loi fait de lui et éviter de judiciariser toutes les affaires. Aux termes de la loi du 5 mars 2007, les services sociaux, lorsqu'ils savent qu'un enfant est en danger, saisissent le procureur de la République, qui diligente une enquête pour retrouver cette famille. Outre qu'il n'est pas possible d'envoyer les gendarmes ou la police chez toutes les familles concernées, la double évaluation – par les services sociaux, puis par le procureur – a souvent pour effet que l'on intervient trop tard.
La solution que je préconise est moins lourde : lorsqu'une famille qui a fait l'objet d'une information préoccupante change de département et disparaît sans laisser d'adresse, le président du conseil général doit pouvoir saisir les organismes de prestations sociales – caisse d'allocations familiales et caisse primaire d'assurance maladie – qui disposent du Registre national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (RNIAM), et communique la nouvelle adresse au département d'accueil afin que celui-ci puisse poursuivre l'enquête sociale, sans intervention de la justice ou de la gendarmerie.
Bien que chacun fasse son travail, le dispositif actuel, trop cloisonné, n'est pas satisfaisant. Ainsi, dans le département des Hautes-Alpes, dont je suis élue, j'ai récemment signalé un bébé que je considère être en danger. Sa mère, que j'ai eu l'occasion de suivre lorsque j'étais maire du village où elle vivait, avait de graves problèmes d'addiction et souffrait de troubles psychiatriques. Elle a quitté la commune avec son bébé pour suivre à Millau – c'est-à-dire dans un autre département – son compagnon, lui-même malade psychiatrique. Lorsque j'ai signalé ce cas, le conseil général des Hautes-Alpes m'a informée qu'il allait procéder à un « signalement national » : le cas sera envoyé à tous les conseils généraux de France, afin que ceux-ci puissent savoir, si la personne concernée venait à se présenter à l'une de leurs permanences, qu'elle a déjà été signalée dans les Hautes-Alpes. C'est une bouteille à la mer. Il aurait été plus simple et plus satisfaisant, puisque j'indiquais la ville dans laquelle résidait désormais cet enfant, d'alerter directement le conseil général de l'Aveyron.
Permettez-moi encore de citer un exemple. Le petit Nathan, un enfant de trois ans qui vivait dans les Alpes-Maritimes avec son père et la compagne de celui-ci, était régulièrement battu. La situation a été signalée aux services sociaux des Alpes-Maritimes, qui ont fait leur travail et ont commencé une enquête sociale. La famille a ensuite disparu et les services sociaux, qui considéraient que l'enfant était réellement en danger, ont alerté le procureur de la République. Celui-ci a saisi la gendarmerie, qui a diligenté une enquête et, en février 2007, a retrouvé la famille à Sisteron, dans les Alpes-de-Haute-Provence, à 17 kilomètres de chez moi. Nathan n'était pas au nombre des enfants qui se trouvaient dans cette famille et les parents ont déclaré qu'il était chez sa mère. Renseignements pris, ce n'était pas le cas : il était mort et enterré depuis août 2006. Le procès a eu lieu en juin 2010. Les procédures ont donc été conformes à la loi de 2007 et chacun a fait son travail, mais il était trop tard. La loi en vigueur ne permet pas une réactivité suffisante. Si les services sociaux des Alpes-Maritimes avaient disposé de la nouvelle adresse de la famille, sans doute aurait-on pu éviter que ce petit garçon de trois ans meure sous les tortures.
La proposition de loi qui vous est soumise a donc pour objet de permettre de mener à son terme, dans les meilleurs délais, toute enquête sociale et de donner au président du conseil général, qui en a la responsabilité, les moyens de suivre les enfants en danger ou risquant de l'être pour pouvoir intervenir à temps.
Ce texte, que je vous demanderai d'adopter avec les quelques modifications d'ordre rédactionnel que je proposerai de lui apporter par amendements pour tenir compte des observations – notamment de la CNIL – recueillies depuis son dépôt, procède d'un principe de précaution. Il est regrettable que ce dernier, inscrit dans la Constitution pour la protection de l'environnement, ne le soit pas pour celle des enfants. À défaut de résoudre tous les problèmes, l'adoption de cette proposition de loi apportera une pierre supplémentaire à l'édifice de la protection des enfants face à la maltraitance. Je remercie les collègues qui m'ont fait part de leurs propositions, notamment Edwige Antier, qui a déposé des amendements que nous examinerons tout à l'heure. J'espère que, sur un tel sujet, nous parviendrons à un consensus.