Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans une belle unanimité hier soir, tous les parlementaires, de l'opposition comme de la majorité, qui se sont exprimés lors de l'examen en séance publique du texte portant adaptation de la législation au droit communautaire ont dénoncé le recours par le Gouvernement aux ordonnances de l'article 38 de la Constitution pour transposer quatorze directives et sept règlements.
Comme toujours, le représentant du Gouvernement nous a fait part de ses bonnes intentions. Demain sera un autre jour. Demain, tous les textes européens seront transposés dans les délais et par la loi. Demain, le Parlement ne sera plus privé de ses droits. C'est un film que l'on nous a déjà joué, dont les acteurs ont été recrutés sur toutes les travées de cet hémicycle, je le reconnais bien volontiers, car, si les engagements des uns et des autres avaient été tenus, nous n'aurions pas assisté à cette inflation de lois d'habilitation : vingt-neuf en vingt ans, de 1984 à 2004, trente-huit en trois ans, de 2004 à 2007, pour 170 ordonnances publiées.
C'est non pas de bonnes intentions qu'il faut faire preuve mais de volonté politique, comme le Conseil d'État nous l'a rappelé dans une étude du 22 février 2007. Il y indique qu'il existe une forte corrélation entre l'expression de la volonté politique et une transposition efficace, et il précise que la transposition efficace des directives reste subordonnée, pour une bonne part, à la manifestation au plus haut niveau de l'État de la détermination politique.
Bien sûr, avec le Gouvernement, nous pouvons reconnaître que certaines dispositions à transposer sont d'ordre très technique et qu'elles ne nécessitent pas de débat parlementaire.
Néanmoins, nous ne pouvons pas accepter que, sous prétexte de retards, dont le Gouvernement est seul responsable puisqu'il maîtrise l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, sous prétexte que notre système pour l'incorporation des normes ne manque pas d'efficacité et qu'il n'est pas confronté à des difficultés de majorité politique, le Gouvernement prive la représentation nationale de ses prérogatives.
En effet, alors que la directive constitue un élément souple, puisqu'elle fixe des objectifs tout en laissant aux États membres le soin de choisir les moyens adéquats pour les réaliser et que les autorités nationales disposent d'une autonomie sur le fond de la transposition, il est pour nous essentiel et fondamental qu'en ce domaine les pouvoirs du Parlement soient préservés, par le recours systématique à la loi, nous permettant ainsi de nous prononcer sur le contenu de ces directives, d'exprimer un point de vue sur leurs conditions d'application en France et, si nécessaire, de demander des garanties.
Je le redis ce soir avec force : il n'est pas normal, il n'est pas acceptable que nous soyons privés d'un débat sur un sujet majeur, la lutte contre le réchauffement climatique, premier défi environnemental de notre planète qui, ne l'oublions pas, a fait l'objet en un an de deux sommets internationaux, à Copenhague et puis à Cancun.
Nous le savons, de nombreuses questions se posent. Quelle politique énergétique réellement durable devons-nous définir ? Quels sont les meilleurs moyens d'atteindre les objectifs fixés dans le cadre du paquet « énergie climat » ? Le marché des quotas d'émission de gaz à effet de serre constitue-t-il le meilleur outil ou doit-on lui substituer une taxation des émissions de CO2, voire promouvoir un système mixte ?
Il en est de même avec les deux directives relatives au marché intérieur de l'énergie, l'une pour l'électricité, l'autre pour le gaz, que vous souhaitez transposer par ordonnances, disposition qui, après avoir fait l'objet d'un rejet unanime de la part de tous les groupes de l'Assemblée nationale lors de l'examen de la loi NOME, réapparaît opportunément dans ce texte sous forme d'un amendement gouvernemental à l'article 2 quater.
La transmission des projets d'ordonnances aura, je l'ai bien compris, calmé les ardeurs contestataires de la majorité. Néanmoins, nous continuons à penser, compte tenu des enjeux, qu'il serait dangereux et coupable de laisser au Gouvernement le pouvoir de légiférer seul en ce domaine, et que celui-ci serait bien inspiré de suivre les recommandations de Patrick Ollier, l'ancien président de la commission des affaires économiques, qui considérait que le Gouvernement avait le temps de déposer un texte spécifique, et qui ajoutait : « Le Parlement doit pouvoir appréhender toutes les conditions de la transposition et mener un dialogue républicain avec le Gouvernement. »
Je réitère en cette occasion notre opposition au choix que vous avez fait de transposer sectoriellement la directive « Services », ce dont nous avons une nouvelle illustration dans cette proposition de loi par le biais de plusieurs articles. Cette transposition que vous avez saucissonnée dans de nombreux textes demeurera l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire, en nous privant d'une vision d'ensemble du texte et en ne permettant pas au Parlement d'exercer pleinement ses responsabilités.
Enfin, nous ne pouvons pas ne pas relever le peu de considération portée par ce pouvoir au Parlement, lorsqu'il se permet, au travers de sept amendements gouvernementaux, de forcer la main à sa majorité en l'obligeant à légiférer par ordonnances et à se priver de ses prérogatives, ou lorsqu'il impose des conditions de travail dont le seul objectif – nous le constatons ce soir – est d'en finir au plus vite. Ces conditions, je le rappelle, auront conduit le Sénat à examiner ce texte le 17 novembre, notre commission du développement durable à le faire le 1er décembre, l'Assemblée nationale hier soir, la CMP ce matin et à nouveau l'Assemblée nationale, pour un ultime vote dans quelques minutes. Comme le rappelait le président de notre commission, Serge Grouard, il n'aura fallu que trente-quatre jours pour que ce texte soit définitivement adopté. Nous ne sommes pas loin, je pense, d'un record de rapidité.
Au terme de l'examen de cette proposition de loi, ce n'est pas un sentiment de fierté que j'exprimerai, sentiment que nous avons tous pu éprouvé en certaines circonstances parce que nous étions fiers du travail législatif réalisé et des choix politiques assumés. Ce sera plutôt un sentiment d'amertume, en constatant qu'en cette occasion le Parlement ne fut qu'une chambre d'enregistrement, privée de ses fonctions législatives et de contrôle.
Monsieur le secrétaire d'État, pour toutes les raisons que j'ai déjà évoquées au cours des différents débats, le groupe SRC votera contre cette proposition de loi.