Monsieur le ministre, vous avez parlé d'un débat de qualité. Cet hémicycle en a connu ; rappelez-vous : Jaurès et Barrès. Et si débats de qualité il y avait, ils se tenaient aussi bien à gauche qu'à droite. La différence avec aujourd'hui est qu'à l'époque la majorité n'imposait pas le silence à ses députés. J'éprouve ainsi de la compassion pour nos collègues de droite que vous transformez en poteaux télégraphiques, si j'ose dire, en les réduisant au silence. Et encore, quand on s'approche des poteaux télégraphiques, entend-on – n'est-ce pas, monsieur Soisson ? –, comme dans les collines de Saint-Bris, un bourdonnement. Or même cela est absent des bancs du groupe UMP tant vous imposez à vos députés la cloche qu'ils ne méritent néanmoins pas, tant on compte parmi eux de brillants esprits.
Je ne reviendrai pas sur le caractère indigeste de ce collectif budgétaire sans fil directeur, composé de 43 articles traitant à la fois du coq, de l'âne, de la cigale et de la fourmi tout en oubliant, néanmoins, une espèce que vous connaissez pour la fréquenter, monsieur le ministre : les requins de la finance.
Je ne reviendrai pas non plus sur les conditions de travail tout aussi inadmissibles que le Gouvernement impose à la représentation nationale. Certes, vous vous montrez onctueux, vous remerciez à gauche, à droite, devant, derrière, mais, entre le projet de loi de finances pour 2011 et le présent projet de loi de finances rectificative, c'est toujours la même logique qui est à l'oeuvre.
J'aimerais insister sur le vrai problème, celui qui préoccupe l'immense majorité de nos concitoyens et que vous n'avez pas évoqué. Il s'agit évidemment du pouvoir d'achat, c'est-à-dire de la répartition actuelle des richesses. Selon le rapport Cotis, environ 7 % des profits vont actuellement aux salariés – en sus de leur salaire –, contre environ 36 % à la poignée de privilégiés qui détiennent le capital.
Ces dernières années, ce problème s'est encore aggravé avec l'accélération de la mondialisation, laquelle est en réalité largement une conséquence, sinon une exigence de la financiarisation de l'économie. Cette « économie casino » tourne au profit quasi exclusif des actionnaires. Ainsi, les revenus financiers ont explosé ces vingt dernières années : selon l'INSEE, ceux-ci ont augmenté de plus de 143 % depuis 1993. De même, les dividendes sont en croissance régulière, et ce même pour les entreprises qui licencient massivement. Alors qu'ils représentaient 5 % de la valeur ajoutée en 1980, ils ont quintuplé pour atteindre 25 % aujourd'hui.
L'économie des actionnaires dont, j'y insiste, vous n'avez pas parlé, c'est celle d'Air-France-KLM : de 5 centimes en 2004, le montant du dividende est passé à 58 centimes en 2008. Or, en juin 2009, l'entreprise annonce la suppression de 3 000 postes. Cette économie, c'est celle de Sanofi-Aventis avec ses 8 milliards de bénéfices nets en 2009 et la suppression de 3 000 emplois en 2010.
Il ne s'agit évidemment pas de cas isolés, mais bien d'exemples emblématiques du fonctionnement actuel de l'économie et de la répartition des richesses qu'elle produit.
L'envers de la politique du dividende et de la rente spéculative, c'est la stagnation des salaires, ce sont les délocalisations, les plans sociaux, la casse des services publics et des acquis sociaux.
Évidemment, monsieur le ministre, le passé n'est pas sombre pour tout le monde. À titre d'exemple, les exonérations de cotisations patronales coûtent plus de 30 milliards d'euros par an, contre seulement 1,9 milliard en 1992. Selon notre regretté Philippe Séguin, ces exonérations n'ont jamais eu d'effet quantifiable sur l'économie et la croissance. Et notre bon rapporteur général, Gilles Carrez, a regretté que « les exonérations ne soient même pas plafonnées ».