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Intervention de Pierre Lévy-Soussan

Réunion du 15 décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre :

Je vous remercie de m'avoir invité à vous apporter un éclairage de clinicien. Je retire mon expérience des entretiens que j'ai avec les couples consultant dans le cas d'une IAD mais aussi ceux que j'ai avec des couples souhaitant adopter, puisque je dirige une des plus anciennes consultations spécialisées dans ce domaine à Paris.

S'il y a de profondes différences entre l'adoption et la conception avec donneur, il existe aussi des similitudes. La première réside dans la dissociation des paramètres de la filiation : désir, intimité, homme, femme, couple, acte sexuel, fécondation, rencontre des gamètes, embryon, enfant. Cette atomisation ne peut qu'interférer dans la construction de la filiation. Comment un enfant, issu d'un accouplement extérieur dans le cas de l'adoption, d'une rencontre médicalement organisée entre ovule et spermatozoïde dans le cas d'une procréation médicalement assistée, construit-il sa filiation, ce double processus psychique de transformation en père et mère d'un côté, en fils ou fille de l'autre ? Cette transformation ne va pas de soi. Il ne suffit pas d'avoir des enfants pour être parent. Il ne suffit pas de vivre comme enfant dans une famille pour avoir le sentiment d'avoir un père et une mère. La filiation psychique relève d'une construction subjective, et comme toute construction psychique, elle peut ne pas se faire. Elle n'a que peu à voir avec la filiation biologique et la filiation juridique. On comprend mieux, à partir des échecs d'adoption, comme je le montre dans mon ouvrage Destins d'adoptions, ce qui lui permet de s'établir ou non.

Certaines lois, hélas, désorganisent le champ parental. Ainsi en est-il pour l'adoption, de la loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'État ayant créé le CNAOP, le conseil national d'accès aux origines personnelles. Revendiquée par les personnes concernées devenues adultes, elle partait d'une bonne intention. Le discours militant que nous venons d'entendre de la part de deux des intervenants précédents n'est pas sans rappeler celui qui était tenu à l'époque. Souvenons-nous qu'on jugeait alors intolérable de laisser 400 000 personnes en souffrance de leurs origines, cri que la presse relayait à l'envi. Or, depuis huit ans, seules 3 600 se sont adressées au CNAOP. L'émotion et la compassion l'avaient emporté, sans que cela corresponde vraiment à la réalité des enjeux. En revanche, ces dispositions ont eu un impact considérable sur les familles adoptives qui se sont vu confisquer par cette loi la possibilité de se présenter comme originaire pour leur enfant et d'assurer la narration de cette origine. L'important est pourtant que les parents portent l'origine de l'enfant : la naissance d'un enfant dans une famille, adoptive ou procréative, n'est possible que par le désir parental. Ce n'est pas d'informatif dont l'enfant a besoin, mais de narratif. Certaines familles adoptives ont été fragilisées par le nouveau cadre législatif, qui a même fait échouer certaines adoptions. Si les couples, qu'ils adoptent ou qu'ils recourent à une assistance médicale à la procréation, sont obsédés par la réalité matérielle, ils ne peuvent plus métaphoriser la présence de l'enfant, élaborer la fiction permettant de faire comme si l'enfant venait d'eux. C'est pourtant ainsi seulement que la filiation peut s'établir, dans les deux sens d'ailleurs. Adoptés ou conçus avec don, les enfants savent qu'une scène originaire a eu lieu ailleurs, de nature différente dans le cas de l'adoption et de l'IAD. Si celle-ci a pu se rejouer dans la famille, alors leurs parents sont bien leurs parents.

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