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Intervention de Irène Théry

Réunion du 15 décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Irène Théry, sociologue, directrice d'études à l'école des hautes études en sciences sociales :

J'ai déjà eu l'honneur d'être entendue sur ces sujets par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques puis par le Conseil d'État. Et bien que je n'ai pas été auditionnée par la mission d'information sur la révision des lois de bioéthique, mes travaux sont largement cités dans son rapport.

Sociologue, spécialiste de la famille et de la parenté, j'ai souhaité dresser un bilan de la réflexion sur tous ces sujets. C'est l'objet de mon ouvrage Des humains comme les autres: Bioéthique, anonymat et genre du don, qui vient de paraître.

J'y invite à deux évolutions. La première est de mieux prendre en compte l'évolution de la législation dans les autres pays, non que la France ait, en ce domaine pas plus qu'en aucun autre, à s'aligner aveuglément sur les choix faits par d'autres mais il importe de comprendre pourquoi de grandes démocraties comme la Suède, la Suisse, l'Autriche, l'Islande, la Norvège, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, la Finlande qui, comme la France, avaient à l'origine adopté le principe de l'anonymat des dons dans le cadre de l'IAD sont revenus sur ce choix. Ces pays se sont aperçus qu'on avait calqué pour l'essentiel le don de gamètes sur celui du don de sang ou d'organes, sans tenir compte de la particularité de ce don, qui engage en la personne de l'enfant un troisième protagoniste, en sus du donneur et du receveur. Ce ne sont pas des considérations psychologiques sur le vécu des enfants ainsi conçus qui ont amené ces pays à revoir leur législation, mais un souci de respect des droits fondamentaux de la personne. L'anonymisation des dons avait conduit à créer une catégorie d'enfants à part, la seule qui, de par la loi, se voyait privée du droit de connaître à qui ils devaient d'être nés.

Qu'une administration ou une institution médicale détiennent une information sur des personnes, dans des dossiers secrets et inaccessibles aux intéressés, constitue une atteinte grave aux droits de la personne. Depuis une dizaine d'années, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme a beaucoup évolué. Dans un remarquable ouvrage auquel M. Kunstmann a d'ailleurs participé, la juriste Laurence Brunet relève que les deux questions de l'état des personnes et de la filiation ont longtemps été confondues. L'une des conséquences en a été qu'aux premières revendications de certains enfants conçus avec don à connaître leurs origines – qui se sont fait jour, cela mérite d'être souligné, dans toutes les démocraties –, on a répondu qu'ils cherchaient à biologiser la filiation. Or, les intéressés eux-mêmes, nous venons de les entendre, le répètent : il ne s'agit en aucun cas pour eux de remettre en cause leur filiation. Aucun des pays qui a levé l'anonymat n'a si peu que ce soit bouleversé les principes de la filiation. Ils ont même conforté la place des parents comme seuls et uniques parents de l'enfant.

La Cour européenne des droits de l'homme a reconnu qu'il existait diverses situations dans lesquelles plus d'un homme et une femme avaient pu contribuer à la conception, la naissance, l'éducation et, partant, la biographie d'un enfant. Ce sont les situations que nous, sociologues, qualifions de pluriparentalité. Pendant très longtemps, nos sociétés ont choisi de gommer la particularité de l'histoire de ces familles pour en faire des familles « comme les autres ». On cachait aux enfants qu'ils avaient été adoptés dans l'idée de conforter les parents adoptifs dans leur statut. Puis il a été possible aux enfants adoptés d'accéder à leur dossier. On s'est alors aperçu que lever le secret, loin de remettre en cause les parents adoptifs, pouvait magnifier leur geste altruiste.

La Cour européenne des droits de l'homme a peu à peu consacré un droit à la connaissance des origines personnelles, indépendamment de la question de la filiation. Je n'énumérerai pas ici la longue liste de ses arrêts consacrant ce droit. Si notre pays ne modifie pas sa législation sur ce point, il risque une condamnation au niveau européen.

Cette question essentielle de l'anonymat, dont des malentendus faussent depuis des années l'approche, ne peut plus aujourd'hui être laissée de côté. D'autant que dans les pays qui ont abordé le sujet sous l'angle des droits fondamentaux de la personne, derrière cette question a surgi celle de savoir si nos sociétés assument ou non d'avoir su répondre à la tragédie de la stérilité en permettant que des enfants viennent au monde autrement que par un acte sexuel. Nos sociétés doivent assumer cette innovation majeure, plutôt que de continuer à la cacher et à maquiller les conceptions avec donneur en pseudo-procréations charnelles. L'attitude des CECOS a évolué. Du « ni vu ni connu » conseillé au tout début, on est passé, M. Kunstmann l'a dit, à une attitude plus responsable en incitant les parents à informer l'enfant de son mode de conception. Mais notre droit, issu de la loi de bioéthique de 1994, continue, lui, de faire comme s'il s'agissait de procréations charnelles et à créer donc une exception au droit général de la filiation.

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