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Intervention de Audrey Gauvin

Réunion du 15 décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Audrey Gauvin, membre de l'association Procréation médicalement anonyme :

Certaines personnes sont mal à l'aise vis-à-vis de l'AMP avec tiers. C'est leur droit. Mais nous, nous sommes là, bien en vie. Il est grand temps que les médecins et la société assument leurs actes. Nous subissons une situation que la société seule a créée et nous revendiquons la possibilité, comme chacun d'entre vous, de pouvoir simplement nous inscrire dans une histoire. Car nous sommes, comme vous, issus d'une histoire humaine, pas d'une paillette !

Le législateur doit assumer le fait que nous ne sommes pas nés de nulle part: Les CECOS ont mis au point des techniques, des donneurs ont donné des gamètes, cela convenait à des couples infertiles… La directrice générale de l'Agence de la biomédecine m'a dit que nous avions «essuyé les plâtres». Une avancée législative va-t-elle enfin asseoir notre légitimité ou continuera-t-on à nous dénier une part de notre existence ?

Il faut interroger les anciens donneurs. C'est en effet le seul moyen de disposer d'informations médicales actualisées, et donc utiles. Le législateur lui-même a reconnu l'importance de l'information médicale sur nos ascendants biologiques afin de nous garantir une prise en charge médicale appropriée. L'article L 1244-6 du code de la santé publique dispose qu'en cas de nécessité thérapeutique, notre médecin peut accéder au dossier médical du donneur. Pour autant, que vaut ce dossier, dont les données n'ont pas été actualisées depuis le moment du don – plus de trente ans dans notre cas ? Le titre IV du projet de loi qualifie pourtant l'information génétique d'« élément essentiel du soin et de la prévention. » Il serait tout à fait possible d'interroger les donneurs par pli confidentiel sur leurs antécédents médicaux, par exemple tous les cinq ans. Cela pourrait être organisé par la commission d'accès aux données non identifiantes, qui comprendra des médecins.

Le texte prévoit que nous pourrons avoir accès aux données sur l'état de santé du donneur au moment du don. Mais c'est déjà possible. En effet, à ce jour, seule est interdite la communication d'informations qui permettraient d'identifier le donneur. Que le projet de loi organise le recueil et l'accès des données non identifiantes est une bonne chose, surtout vu la disparité des pratiques des CECOS sur l'ensemble du territoire, que la CADA elle-même a soulignée. Il est en revanche intolérable qu'il verrouille cet accès en dressant une liste limitative des données accessibles. Si le texte est voté en l'état, il ne nous sera par exemple jamais possible de savoir si notre frère ou notre soeur ont été conçus avec le même donneur que nous. Trouvez-vous cela normal ? Qui oserait me répéter ici, comme on me l'a dit au CECOS, que cette information ne me concernait pas ? Le projet de loi prévoit également un droit de censure des médecins qui pourront refuser, en conscience, de recueillir certaines données s'ils estiment qu'elles ont un caractère manifestement identifiant. Au nom de quoi les médecins seraient-ils meilleurs juges que nous et le donneur de ce qu'il convient de savoir ou pas ? Nos parents ont certes fait appel au corps médical pour avoir des enfants « d'une autre manière », mais nous ne sommes pas, nous dans une démarche de soins et n'avons pas besoin d'assistance médicale.

Nous proposons un dispositif qui ne ferait pas peser sur les médecins la responsabilité d'éléments qui relèvent de l'intimité des intéressés. Il est regrettable à cet égard que la future commission d'accès aux données non identifiantes ne comporte aucun représentant des donneurs, des couples receveurs ni des personnes conçues par don, qui sont pourtant les intéressés au premier chef.

Enfin, le projet de loi n'aborde pas certains points essentiels, comme celui de la conservation des données. Tous les CECOS détiennent des fichiers de données à caractère personnel sur les donneurs et les couples receveurs, sans que ces fichiers n'aient jamais été déclarés auprès de la CNIL – celle-ci me l'a confirmé dans un courrier du 10 juin 2010. Il faudrait remédier d'urgence à ce grave dysfonctionnement. Ce non-respect de la loi Informatique et libertés n'est pas nouveau. La CNIL en a même connaissance de longue date. En effet, en 1992, des chercheurs du CNRS avaient mené une étude qui, à l'époque avait fait scandale, après s'être procurés auprès d'une banque de sperme de Marseille le nom de 120 enfants conçus par IAD. Ils avaient fait croire aux chefs d'établissement et aux parents d'élèves des écoles où ils s'étaient rendus qu'ils réalisaient de simples tests scolaires. Or, ils l'ont finalement reconnu, ils menaient une recherche destinée à évaluer l'incidence de la congélation du sperme sur le développement mental des personnes issues de don. Le journaliste de L'Express, Charles Gilbert, qui a relaté cette affaire, estimait, quant à lui, qu'il s'agissait d'une étude génétique visant à évaluer l'importance de l'apport génétique masculin en comparant plusieurs enfants issus du même père biologique mais de mère différente. Le magazine indiquait que la CNIL, alertée de cet abus, enquêterait sur la conservation des données personnelles par les banques de sperme. Il est très grave que dix-huit ans plus tard, rien n'ait été fait.

Dans le même registre, nous ne comprenons pas que le projet de loi ne prévoie pas la transmission sans délai – et non pas vingt ou trente ans plus tard, sans aucun contrôle – des données recueillies sur les donneurs à la commission d'accès aux données non identifiantes, au fur et à mesure de leur recueil, étant entendu que cette commission devrait être contrôlée par la CNIL.

Nous nous étonnons enfin qu'aucune limite dans le temps n'ait été fixée pour la conservation des paillettes de sperme ce qui, d'une part, pourrait à terme poser des problèmes générationnels, d'autre part est contradictoire avec l'interdiction du transfert d'embryons post mortem. Nul ne sait ce que deviennent ces paillettes ni à qui profitent les 56 000 conservées à ce jour dans les CECOS, alors que les couples demandeurs, auxquels on fait croire qu'il y a pénurie de donneurs, doivent patienter d'un an et demi à deux ans avant une IAD.

Mesdames, messieurs les députés, les choses doivent changer, les choses peuvent changer, dans le respect des droits et des intérêts à la fois des parents, des donneurs et des personnes issues d'un don. De nombreux pays ont levé l'anonymat. Nous devrions nous inspirer de leur expérience. Il est grand temps que la société assume ses actes et que l'on rende aux personnes issues d'une AMP avec donneur leur humanité.

Nous avons adressé à chacun des membres de votre commission spéciale des propositions d'amendement dont vous nous remercions par avance de prendre connaissance attentivement.

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