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Intervention de Arthur Kermalvezen-Fournis

Réunion du 15 décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Arthur Kermalvezen-Fournis, porte-parole de l'association Procréation médicalement anonyme, PMA :

Nous vous remercions de nous avoir conviés à cette table ronde. L'association Procréation Médicalement Anonyme regroupe des personnes issues d'un don mais également des parents receveurs et des donneurs. Leur objectif commun est de parvenir à ce que les personnes conçues par don soient libres de connaître ou non, selon leur souhait, la personne qui leur a permis de voir le jour ou, à tout le moins, de disposer d'informations sur elle. Aujourd'hui, cette liberté n'existe pas car le choix n'est pas possible.

Certaines personnes issues d'un donneur anonyme ne souhaitent pas obtenir d'informations sur leur donneur d'hérédité. C'est leur choix. Le futur projet de loi ne changera rien pour elles. Leur liberté de choix sera respectée.

Il nous semble important de préciser ici, notamment puisque nous sommes en présence d'un pédopsychiatre, d'une part que le projet de loi s'adresse non pas à des enfants, mais à des personnes majeures, demandeuses d'informations, d'autre part que nous ne sommes ni malades, ni patients – n'oublions pas que patient vient du verbe latin patire, signifiant subirsouffrir. Nous sommes grands et nous pensons – nous aussi.

La question n'est pas de savoir s'il y a beaucoup ou peu de personnes qui souffrent de cette situation, si elles souffrent parce qu'elles l'ont appris tardivement ou dans telle ou telle circonstance. Ces tentatives d'explication demeureraient, en tout état de cause, des hypothèses, dans la mesure où il n'existe aucune étude sur ces questions. Le véritable problème est que des pratiques déjà anciennes comme l'insémination artificielle avec donneur (IAD) devraient, comme tout progrès scientifique, être sérieusement évaluées, en particulier parce qu'elles concernent des êtres humains, avant qu'on envisage par exemple de légaliser la gestation pour autrui.

Au moment où la science peut être avide de nouveaux essais, dont certains sont prometteurs, le droit ne doit pas oublier qu'il y a des êtres humains à la clé. S'il est louable de vouloir pallier l'infertilité, est-il nécessaire d'anonymiser les cellules reproductrices, et cela bientôt à plus grande échelle encore, avec la possibilité de vitrifier les ovocytes et ainsi de brouiller toutes les cartes dans une indifférenciation la plus totale ? Cela nous paraît totalement irresponsable. Certains peuvent y trouver un intérêt financier puisque ce qui n'est à personne appartient à tous. Nous, nous revendiquons notre humanité. Nous ne sommes pas issus d'une cellule qui ne vient de personne ni de gamètes interchangeables. Nous pensons, et notre réalité à nous, c'est, selon les termes du psychanalyste Serge Tisseron, d'être "à la fois et à la fois", à la fois le fils ou la fille de nos parents, lesquels nous soutiennent, et le produit d'une autre part d'origine que nous souhaitons connaître. Nommer le don, c'est nous permettre de porter notre prénom et notre nom en toute sérénité. Notre nom, celui de personne d'autre.

Le projet de loi va dans le bon sens. D'une part, il marque un premier pas dans la reconnaissance de la spécificité du don de gamètes et d'embryons par rapport au don de sang par exemple. D'autre part, il propose de laisser le choix à chacun, si bien qu'il ne pourra y avoir de conflits d'intérêts.

La règle de l'anonymat qui avait été adoptée pour préserver l'intérêt des donneurs et des couples receveurs, renforcée par une pratique de l'appariement qui permettait de « faire croire que », ne correspond plus aux souhaits actuels de tous les parents et de tous les donneurs. Dans certains courriers, des donneurs m'avouent n'avoir jamais depuis le jour de leur don cessé de s'interroger sur ce qu'il en était advenu.

En dépit d'avancées, le projet de loi ne mettra pas un terme à nos préjudices. Il crée une grave rupture d'égalité entre les personnes, selon qu'elles seront issues d'un don avant ou après le vote de la loi, que rien ne peut justifier. Seuls les futurs donneurs seront consultés sur leur souhait de demeurer ou non anonymes, et encore pas au moment de leur don mais dix-huit ou vingt-cinq ans plus tard, si l'enfant issu de leur don, devenu majeur, formule une demande. Il n'est pas prévu d'interroger les anciens donneurs, les nôtres. Rien n'est donc prévu pour nous qui demandons pourtant qu'on prenne en compte notre situation.

La souffrance que certaines personnes issues d'un don éprouvent est incontestable : de nombreux psychiatres et psychanalystes l'ont décrite et le Conseil d'Etat lui-même l'a reconnue dans une étude de mai 2009. La CADA, la commission d'accès aux documents administratifs, que certains d'entre nous ont saisie ou s'apprêtent à saisir, a elle aussi souligné la frustration que nous vivons. Le professeur Axel Kahn, plutôt réticent en soi à la levée de l'anonymat, reconnaît toutefois qu'une fois les enfants informés de leur mode de conception, on ne peut rester sourd à leur souffrance.

Interroger aujourd'hui un ancien donneur sur son souhait de demeurer ou non anonyme n'aurait rien de rétroactif. C'est ce qui se pratique pour les femmes ayant accouché sous X. Or, on peut légitimement imaginer que ce faisant, on risque de réveiller chez elles un souvenir douloureux. Tel ne serait pas le cas pour nos donneurs qui n'ont pas été contraints à leur geste mais ont agi par générosité. Par ailleurs, à l'époque où nous avons été conçus, rien ne leur garantissait que leur anonymat serait préservé puisqu'il n'existait aucune loi le consacrant. Il serait facile de les consulter. Il faut toutefois se garder de la fausse bonne idée qui consisterait à leur adresser une lettre-type avec une case à cocher : oui ou non. On ne peut pas leur demander un blanc-seing.

Si aucun d'entre nous n'est en recherche d'un père, nos attentes sont diverses. Certains souhaitent rencontrer leur donneur, d'autres pas. Nos parents, qui nous ont transmis leurs valeurs, ont eu un projet parental décisif pour notre venue au monde, mais nous sommes aussi nés d'un donneur. Il est vain de chercher à opposer ces deux faces de notre origine ou à les hiérarchiser.

Les personnes issues d'un don de sperme peuvent souhaiter plus d'informations sur leur père biologique sans que cela remette nullement en cause les liens qu'elles ont avec leur père social ni leur amour pour lui. Nous ne demandons pas que soit modifié l'article L 311-19 du code civil selon lequel « En cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation. »

Chaque personne issue d'un don devrait pouvoir exposer ses motivations, pourquoi pas au travers d'un formulaire Cerfa, et chaque donneur les raisons de son éventuel refus de communiquer son identité.

Par delà notre combat, nous invitons les citoyens et le législateur à défendre une éthique de responsabilité. La société assume-t-elle ce qu'elle a permis de faire ? Le professeur David écrivait en 1984 : « La procréation demeure le refuge de l'intimité et du naturel. L'irruption, dans ce domaine, de la médecine posera peut-être plus encore qu'ailleurs des problèmes difficiles d'interférence du social et du médical. »

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