C'est un grand honneur pour moi que de pouvoir débattre aujourd'hui avec vous d'un sujet sensible, si profondément humain. Je n'ai pas la prétention de m'exprimer au nom de tous les membres de l'association que je préside. Je souhaiterais seulement vous apporter un éclairage retiré de mon vécu de personne conçue grâce à un don de spermatozoïdes ainsi que des données que j'ai pu collecter au sein de l'association.
L'ADEDD, créée il y a bientôt trois ans, a pour mission d'informer, d'accompagner et d'orienter les enfants conçus grâce à des techniques d'assistance médicale à la procréation. Elle s'adresse également aux parents qui se demandent par exemple comment annoncer à leur enfant son mode de conception, aux futurs parents qui s'interrogent sur le vécu des enfants ainsi conçus, aux donneuses et donneurs potentiels de gamètes ou d'embryons. Indépendante et non militante, elle travaille en collaboration avec des professionnels de santé du secteur public et bénéficie de financements du ministère de la santé et de la ville de Lyon, où elle est implantée.
S'agissant de l'anonymat des dons de gamètes, la question se résume trop souvent à « Êtes-vous pour ou contre ? ». Beaucoup s'imaginent que les enfants concernés ont une position nette et définitive sur le sujet. La réalité est beaucoup plus complexe. Tout d'abord, elle ne se pose qu'à ceux qui ont été informés de leur mode de conception – aujourd'hui moins d'un tiers. Ensuite, la question de l'anonymat n'en est qu'une parmi d'autres que certains d'entre eux se posent. Enfin, leur position peut évoluer.
Quelques remarques maintenant sur la manière d'aborder le sujet. En premier lieu, les débats sont plus ou moins confisqués par les experts, tentés pour certains de parler au nom des personnes issues de don, pourtant les premières concernées, et d'imposer leur point de vue. Or, il n'existe pas de vérité absolue en ce domaine. Il serait à mon sens plus fructueux de ne pas nier la singularité des histoires personnelles. Alors que certains souffrent, d'autres vivent parfaitement heureux, sans que leur mode de conception ni l'anonymat de leur donneur ne les préoccupent. Je le constate quotidiennement avec mon petit frère, plus jeune que moi de deux ans et conçu grâce au sperme d'un autre donneur : il ne s'est jamais interrogé sur le sujet. On peut donc, heureusement, a priori pleinement s'épanouir sans s'interroger sur les éventuels bienfaits ou méfaits du principe d'anonymat. Or, on ne parle pas de ces enfants-là, qui ont certes peu à dire, se contentant d'être heureux. Mais c'est comme si, pour les enfants issus d'un don, la norme devait être d'éprouver des difficultés et l'exception de vivre sereinement, à tel point que ceux qui vivent heureux et ne se questionnent pas autant finissent par se demander s'il sont « normaux ».
En second lieu, le vécu des enfants conçus par don – comme les fantasmes relatifs à leur donneur – est intimement propre à chacun, en aucun cas généralisable. Chacun d'entre nous est aussi le produit de son environnement, notamment familial. En ce qui me concerne, mes parents m'ont informé très tôt de mon mode de conception, sur les conseils d'un psychologue des CECOS même si à l'époque, il n'y avait pas de consensus à ce sujet. Et j'ai réussi à me construire dans le cadre de ce principe d'anonymat absolu. À l'annonce de mon mode de conception, qui ne m'a naturellement pas laissé indifférent, je me suis interrogé : Sommes nous nombreux dans cette situation ? Cela fait-il de moi un être différent et si oui, en quoi ? Éprouverai-je plus de difficultés que les enfants conçus naturellement ? Mais s'il est une question sur laquelle je ne me suis pas appesanti, c'est bien celle de l'identité du donneur. N'ayant jamais souhaité le rencontrer ni connaître son identité, ce qui n'était d'ailleurs pas possible, je n'ai pas cherché à combattre le principe d'anonymat. J'ai intégré cette réalité et cherché mes propres réponses. Je suis parvenu à la conclusion qu'il n'y avait pas de réponse préétablie susceptible de convenir à l'ensemble des enfants conçus par don et que chacun devait rechercher son équilibre propre pour espérer atteindre la sérénité.
Enfin, la vie contraint souvent à se construire avec ce qui est – séparation, deuil, handicap ou maladie… –, et non avec ce qui pourrait être ou nous semblerait plus juste. Quel qu'ait été notre mode de conception, nous devons tous nous y adapter. On pense trop souvent, à tort, que les difficultés rencontrées par les personnes issues d'un don proviennent de leur mode de conception. Or, elles sont sensiblement les mêmes que celles des personnes conçues naturellement. Que nous connaissions ou non nos géniteurs, nous avons tous, à un moment donné, éprouvé des doutes quant à notre avenir, rencontré des difficultés relationnelles avec nos parents, nos amis ou la personne qui partage notre vie, pensé que notre vie aurait pu être différente. La part d'inconnu qui nous est propre à nous, enfants issus de don, peut se révéler une richesse. Nous poussant à nous interroger sur nous-mêmes, elle peut nous amener à être au final davantage nous-mêmes – le questionnement n'est pas nécessairement synonyme de difficultés. Elle peut aussi être source de mystère, amenant à penser qu'on ne parviendra à se construire pleinement qu'une fois connue l'identité de son géniteur.
La levée de l'anonymat ne saurait résoudre toutes les difficultés car, conçus ou non par don, les enfants se questionneront toujours sur leurs origines, mais n'est-ce pas là le propre de l'être humain ? On sait aujourd'hui que l'annonce du mode de conception est déterminante sur la façon dont les enfants le vivent. Plusieurs facteurs interviennent. L'âge auquel l'enfant est informé : le plus tôt semble le mieux dans la mesure où cela prévient le sentiment d'avoir été trompé par ses parents. Ensuite, une concertation entre les parents vaut bien entendu mieux qu'une annonce unilatérale. L'entente entre les parents aussi est capitale, de même que le fait qu'ils vivent ou non toujours ensemble. Le poids du contexte familial est parfois beaucoup plus lourd que celui du mode de conception. Joue enfin la façon dont la stérilité a été vécue au sein du couple, notamment par celui de ses membres qui était stérile. Dans mon cas, mon père a pleinement endossé et assumé le rôle paternel, si bien que je n'ai pas eu besoin de chercher ailleurs, notamment en la personne du donneur, ce que j'avais déjà. En tout état de cause, le dialogue est essentiel.
Quelques remarques sur le projet de loi. La première est que notre génération ne sera pas directement concernée puisque la loi ne sera pas rétroactive. Les personnes qui souffrent aujourd'hui de l'anonymat devront « faire avec ». Il ne faut pas les oublier. Si on considère que le dispositif actuel peut créer un mal-être, il faut prévoir un accompagnement.
Ma seconde observation concerne les données non identifiantes. Il ne faut pas se leurrer : leur communication pourra éventuellement en aider certains, jamais elle n'apportera toutes les réponses attendues. Personnellement, hormis l'état de santé du donneur, je ne vois pas la pertinence de données comme l'âge, la catégorie socioprofessionnelle ou la nationalité. Toutes les questions qu'il est normal de se poser après l'annonce de son mode de conception n'appellent pas nécessairement de réponses. Croire que ces réponses se trouvent hors de l'individu, c'est nier sa capacité à en trouver aussi à l'intérieur de lui. Que ces données soient désormais accessibles risque de faire croire aux enfants qu'ils en ont besoin pour se construire alors qu'il existe bien d'autres façons d'y parvenir.
On a trop tendance à présenter la levée de l'anonymat comme LA solution, LE remède à la souffrance de certains enfants. On érige l'anonymat en obstacle non pas à contourner mais à supprimer, alors qu'au fond, plus que le droit à connaître son géniteur, c'est le droit à connaître la vérité sur son mode de conception qui importe. C'est en sensibilisant davantage les parents et futurs parents et en préservant, du moins en partie, le principe d'anonymat, que l'on garantira le mieux ce droit.
Je me veux donc plutôt rassurant : nous ne sommes pas, nous, enfants du don, plus malheureux que les autres. Cessons de nous stigmatiser. Notre seule spécificité réside dans un mode de conception différent – sans lequel, rappelons-le, nous n'aurions pas pu venir au monde.