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Intervention de Sylviane Agacinski

Réunion du 15 décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Sylviane Agacinski, philosophe, professeur à l'école des hautes études en sciences sociales :

À ce stade du débat, je souhaite appeler votre attention sur l'américanisation totale de notre vocabulaire sur le sujet. C'est un tribunal californien qui, à l'occasion d'un conflit entre une mère porteuse et les parents qui avaient souhaité l'enfant, a forgé l'expression de « parents d'intention ». Celle-ci a depuis été reprise partout, comme si on savait ce qu'elle désigne, alors qu'elle est née a posteriori de la pratique même des mères porteuses. Qu'est-ce qu'un parent d'intention ? Qu'est-ce qu'un parent biologique, qu'on y oppose désormais ?

Ce n'est pas son enfant que porte la mère porteuse, entend-on dire parfois. C'est méconnaître totalement ce qui se passe au cours d'une grossesse. Henri Atlan a bien montré qu'une certaine idéologie du tout-génétique poussait à croire que l'enfant n'était que le produit de ses gènes. Mais l'embryon n'est pas un enfant dès le départ. Ce n'est qu'après une longue et complexe interaction entre lui et le corps entier de la femme qui le porte – des hormones jouent un rôle-clé dans le développement du cerveau du foetus, on sait que le foetus entend bien avant sa naissance et il a été démontré qu'il pouvait rêver en même temps que la mère – qu'il devient un enfant, un enfant de la femme qui le porte. C'est d'ailleurs ce qui fait dire à René Frydman qu'on est loin de pouvoir un jour fabriquer des utérus artificiels. Il faut être mal informé pour prétendre que la femme qui a porté un enfant et en a accouché peut ne pas en être la mère.

J'entends parler aussi de dérives financières. Mais ce ne sont pas des dérives. La maternité pour autrui implique en soi un dédommagement : elle est toujours et partout un échange marchand. L'encadrer, ce qui reviendrait à la légitimer, ne pourrait qu'asseoir le développement de cette pratique sans interdire en rien les rémunérations ni les « dessous de table ».

Il m'étonne que des parlementaires de gauche qui n'ont souvent pas de mots assez durs pour critiquer le marché et appeler à sa régulation acceptent de laisser s'instaurer un libre marché du corps des femmes. Un rapprochement a été fait avec la prostitution qui est tout à fait éclairant. L'exemple des Pays-Bas et de l'Allemagne le montre : là où elle est encadrée et réglementée, au motif, a-t-on dit, d'éviter les dérives, la prostitution s'en trouve de fait légitimée. Elle devient un « job » comme un autre, exercé par des ouvrières du sexe. Les Eros Centers allemands ou le Quartier rouge d'Amsterdam constituent des pôles d'attraction considérables pour les proxénètes du monde entier. La prostitution s'y pratique dans des conditions abominables, avec notamment de jeunes filles venues d'Afrique sous la contrainte économique.

Il est significatif qu'aux États-Unis, les mères porteuses soient le plus souvent des femmes de couleur, sans diplôme ni formation et sans travail, tandis que celles auxquelles on achète leurs ovocytes sont dans leur très grande majorité blanches et hautement diplômées. Que la mère porteuse soit noire par exemple fait qu'elle apparaît d'autant moins aux parents commanditaires comme la mère de l'enfant à naître.

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