Chacun perçoit bien que dans ce débat, éminemment philosophique, chacun d'entre nous votera en conscience et non en fonction de sa famille politique, les clivages traversant les partis.
Que Mme Halimi, pour laquelle j'ai infiniment de respect, me permette de lui dire que la somme des cas individuels fait parfois l'universel. Signataire en son temps du « Manifeste des 343 salopes » en faveur de l'interruption volontaire de grossesse, elle est mieux placée que quiconque pour savoir que c'est bien une prise de conscience à partir de cas individuels qui a conduit à la reconnaissance du droit des femmes à interrompre leur grossesse.
Madame Agacinski, j'ai lu avec intérêt l'article que vous avez publié dans Le Monde sur la gestation pour autrui où vous abordiez un thème qui ne l'a pas été ici jusqu'à présent, celui du progrès technique qui peut se retourner contre le progrès humain s'il n'est pas contrôlé démocratiquement – Jacques Ellul, en 1963 déjà, relevait cette ambivalence. Conscients que progrès technique et progrès humain ne vont pas nécessairement de pair et que la technique peut aliéner l'homme, devons-nous pratiquer ce qu'il appelait « l'auto-limitation ». Je ne partage pas en revanche votre point de vue, madame, selon lequel la gestation pour autrui constituerait une servitude.
Nous dénonçons bien sûr tous la prostitution et souhaiterions qu'elle fût éradiquée. Cela étant, elle existe. Peut-on dès lors se voiler la face et faire l'impasse sur la question de savoir comment traiter ceux qui en vivent. De même, faut-il pénaliser la consommation de drogues ou considérer que leurs usagers sont d'abord des malades dépendants ?
Dans le contexte actuel de mondialisation galopante, la France peut-elle continuer d'interdire une pratique autorisée dans des pays voisins ? Prohiber, c'est aussi, comme l'a dit le professeur Nisand, « s'interdire l'intelligence ».
Si nous révisons les lois de bioéthique, ce n'est pas pour maintenir, au nom de je ne sais quel essentialisme, l'édifice existant absolument inchangé, et surtout ne rien ajouter, comme le voudrait M. Mariton, mais bien pour faire bouger les choses parce que notre société, notamment ses structures familiales, ont évolué. Il n'existe certes pas de risque zéro et les progrès de la médecine peuvent en effet ouvrir la voie à un droit à l'enfant. C'est d'ailleurs un sujet intéressant dont il faudrait débattre.
Le législateur a le devoir de trouver le moyen d'encadrer au mieux des pratiques qui, de toute façon, existent. Continuer de prohiber la gestation pour autrui, au nom d'ailleurs d'arguments bien plus idéologiques que philosophiques, en tout cas aussi subjectifs que ceux des partisans de cette pratique, ne ferait progresser ni le droit ni la morale ni les libertés. Mieux vaudrait donc s'orienter vers un encadrement de cette pratique.