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Intervention de Israël Nisand

Réunion du 15 décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Israël Nisand, gynécologue-obstétricien :

Je vous remercie de votre invitation à évoquer devant vous les enjeux difficiles de la gestation pour autrui.

Médecin, je dois vous parler des cas que je rencontre. J'ai vu la semaine dernière en consultation une jeune femme qui, lors d'une intervention chirurgicale durant sa première grossesse, a subi une rupture utérine alors que son enfant n'était pas encore viable. Un chirurgien présent a pu lui réparer son utérus mais lui a demandé de ne surtout pas être de nouveau enceinte avant trois ans. Elle a attendu puis a engagé une deuxième grossesse, durant laquelle elle a dû rester allongée dès le tout début, ce qui n'a pas empêché une nouvelle rupture utérine au sixième mois, de laquelle elle a failli mourir. Une troisième grossesse ne pourrait qu'aboutir chez elle à une nouvelle rupture utérine aux conséquences potentiellement fatales. Cette jeune femme est venue me voir avec son mari et une amie qui se proposait de porter leur enfant pour elle. Devant de tels cas, je me demande quelles valeurs nous protégeons en interdisant à trois adultes libres, responsables et consentants, d'élaborer un projet de gestation pour autrui.

L'histoire personnelle de chacun nous rappelle que la fonction maternelle est plus délicate que la fonction paternelle. Celle-ci a d'ailleurs été si profondément malmenée depuis quelques décennies qu'on comprend le réflexe de vouloir protéger la maternité, elle, des coups de boutoir de la modernité. Ce qui se réalisait parfois dans le secret des familles, la cession d'enfant, ne peut trouver place dans notre système anthropologique de parenté.

Notre législation nous donne un certain confort en prohibant purement et simplement la gestation pour autrui. Cette position, qui a le mérite de la clarté, ne dispense pas de dire ce que le droit français protège par cet interdit, d'en expliciter la philosophie, et surtout de régler les problèmes de filiation qui se posent pour les enfants nés d'une GPA à l'étranger. Cette prohibition n'a-t-elle pas finalement plus d'effets pervers, y compris sur le plan éthique, que d'avantages ? Peut-on fermer les yeux sur ce qui se passe ailleurs en conséquence des interdits que nous édictons ici ?

La Bible déjà nous apprend les écueils de la gestation pour autrui. Agar fut la première mère porteuse du monde occidental. Elle était l'esclave de Sarah qui, stérile, lui avait demandé d'avoir des relations sexuelles avec son mari, Abraham, pour lui donner un enfant. Mais aussitôt Ismaël né de cette union, Sarah bannit Agar qu'elle renvoya dans le désert avec l'enfant. Peut-être le poids de ce mythe continue-t-il de peser et redoutons-nous de créer de nouvelles figures d'Agar et Ismaël…

Au centre du débat éthique sur la gestation pour autrui se trouve donc le risque de subordination d'une femme à une autre et d'instrumentalisation. La question la plus délicate est sans doute celle de l'indisponibilité du corps humain, dont nous éprouvons de la répulsion à ce qu'il entre dans le champ des biens et des contrats. Au centre du débat se trouve également le sort de l'enfant ainsi conçu, lequel peut voir jusqu'à ses droits remis en cause, alors qu'il n'est responsable de rien. L'incertitude juridique résultant du recours à une GPA à l'étranger confine au drame lorsque l'enfant n'a toujours pas d'état-civil validé après plusieurs années et que l'absence de filiation maternelle établie lui fait courir des risques juridiques, en cas de disparition de son père notamment.

Pour rendre le débat plus complexe encore, les demandes de GPA sont extrêmement diverses. Il y a loin, aux deux extrémités du spectre, entre la femme qui a perdu en même temps son enfant et son utérus en raison d'une complication obstétricale et celle qui souhaiterait une GPA pour « convenance personnelle ».

Tous ces problèmes éthiques ne sont pas sans rappeler ceux qu'on a rencontrés lors de l'autorisation du diagnostic prénatal (DPN). En cas de malformation d'une particulière gravité du foetus, un couple peut demander, quel que soit l'âge gestationnel, une interruption médicale de grossesse (IMG), après avis d'un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal qui examine les situations au cas par cas. Quelque dix mille dossiers sont ainsi traités chaque année, dont six mille conduisent à une IMG. L'Agence de la biomédecine, qui en assure le suivi, n'a constaté aucun dérapage. L'expérimentation humaine sur volontaires sains est un autre exemple de « cas par cas » qui n'a donné lieu à aucune dérive : les comités de protection des personnes fonctionnent de manière exemplaire et décident, avec une grande compétence et un grand professionnalisme, ce qui est licite et ce qui doit être prohibé. Un projet d'expérimentation refusé dans une région n'a aucune chance d'être accepté dans une autre, preuve de l'objectivité des critères retenus.

Je pense à une organisation de même type pour la GPA. On pourrait mettre en place des comités régionaux de la parentalité, chargés d'analyser de manière approfondie les demandes au cas par cas et de consulter tous spécialistes de la psyché pour analyser les motivations des couples demandeurs comme des mères porteuses et les liens les unissant. Au terme de leur instruction, ces comités, qui pourraient également travailler dans le cadre de l'adoption, transmettraient leur avis à un comité national, lequel in fine donnerait ou non son autorisation. N'y aurait-il qu'une seule demande autorisée par an sur deux cents, cela ne me gênerait pas. Ce qui me gêne, c'est l'interdiction totale qui nous prive de pouvoir exercer notre intelligence dans le traitement de ces cas.

C'est à partir de l'expérience de ce que vous avez, madame Halimi, qualifié d'une « officine », Les Cigognes, à Strasbourg – qui a fermé lorsque la loi a interdit les mères porteuses – que j'ai pu analyser les motivations des femmes qui souhaitaient porter des enfants pour d'autres. J'y avais constaté que la moitié environ de ces femmes avait pour motivation l'argent, ce qui n'avait pas laissé de m'inquiéter. L'autre moitié disait en revanche ceci : « J'ai la chance d'avoir un corps intègre et de pouvoir donner le jour à des enfants. Le propre des humains, c'est de savoir s'entraider. Je suis d'ailleurs donneuse de sang et de moelle. J'aime être enceinte et accoucher. Ma famille est d'ores et déjà constituée. Ce serait une grande chance pour moi de pouvoir me sentir utile en rendant un service aussi important à une autre femme dépourvue d'utérus. » Cette générosité-là existe, je l'ai rencontrée. Un entretien approfondi avec ces femmes, complété au besoin d'une rencontre avec des psychologues, permettrait, quasiment sans risque de se tromper, d'identifier ce qui les motive et de s'assurer de la totale liberté de leur décision, notamment qu'elles n'y sont pas contraintes par des raisons financières. Les associations de femmes disposées à rendre ce service pourraient d'ailleurs constituer un filtre efficace.

Je suis en revanche très réticent à ce qu'on fasse appel à une mère porteuse dans le cadre intra-familial. Ce n'est certainement pas à la mère d'une femme qui souhaite un enfant de le lui porter ! Quant à une soeur, il faudrait être certain qu'elle n'a subi aucune pression familiale d'aucune sorte.

Sur le principe d'indisponibilité du corps humain, argument mis en avant par les opposants à la GPA, il y aurait beaucoup à dire. Un soldat français en Afghanistan, qui y risque sa vie davantage qu'ailleurs, y est payé plus cher. Et que dire des mineurs de fond, exposés à la silicose et aux coups de grisou, ou des sous-mariniers, dont le métier comporte les risques que l'on sait ? Que dire aussi du don d'organes entre vivants ? Un premier décès de donneur d'un lobe hépatique a eu lieu l'été dernier. Le consentement d'un adulte non vulnérable et correctement informé pourrait constituer un principe raisonnable. Interdire pour protéger nos concitoyens contre eux-mêmes, parce qu'ils ne seraient pas à même de savoir ce qui est bon pour eux, relève d'un autoritarisme et d'un paternalisme inacceptables.

Quant aux dérives marchandes que l'on observe de par le monde, loin de constituer un argument contre l'autorisation de la GPA en France, elles militent au contraire pour que notre pays se dote d'une loi exemplaire. Il en a le devoir plutôt que de refouler hors de ses frontières ces cas difficiles. Les odieux trafics d'organes qui peuvent exister ici ou là n'ont pas, que je sache, conduit à interdire les greffes en France.

Pour ce qui est des échanges entre la mère et le foetus, dont nous pressentons tous qu'ils existent, sans être capables d'en déterminer l'ampleur ni la teneur, il ne s'agit pas de minimiser leur importance. Une femme peut s'attacher à l'enfant qu'elle porte, comme une nourrice à l'enfant qui lui est confié tous les jours. Mais une mère porteuse sait que l'enfant qu'elle porte n'est pas le sien et que sa relation avec lui n'est que transitoire, additionnelle à celle qu'il développe avec ses parents. Des échanges complexes existent également du foetus vers la mère, bien que personne n'ait été capable de les démontrer. Le nouveau-né de même tisse des liens avec d'autres adultes que ses parents dès sa naissance. La parentalité ne consiste pas à rechercher l'exclusivité des liens avec un enfant. Cette utopie, d'ailleurs d'ordre fantasmatique, ne peut être atteinte, et c'est bien ainsi.

Qui est la vraie mère, la mère qui porte ou la mère génétique ? Ni l'une ni l'autre, serais-je tenté de répondre. En effet, nous rencontrons dans notre pratique des femmes enceintes de leur propre enfant qui ont, hélas, si peu d'une « mère » qu'elles effacent psychiquement la vie naissante. Cette pathologie, connue sous le nom de déni de grossesse, nous aide à comprendre que la vraie mère, c'est celle qui adopte l'enfant. Ce processus d'adoption qui, pour la plupart des femmes, a lieu durant la grossesse, souvent très tôt, peut aussi ne pas se produire. Il ne suffit pas d'être enceinte pour attendre un enfant. Même l'accouchement parfois est insuffisant pour construire une mère. La mère n'est pas définie par l'utérus dans lequel on s'est développé, ni même par l'ovocyte dont on est issu, mais bien par l'adoption dont on a fait l'objet. Ce processus, qu'on connaissait pour la paternité, est plus difficile à admettre pour la maternité. Mais l'exemple de mères défaillantes, dont regorgent les rubriques « faits divers » des journaux, en est une preuve. Trois phénomènes s'intriquent profondément dans la maternité : la transmission génétique, la grossesse physiologique et l'accouchement, l'adoption de l'enfant au terme de la grossesse psychique. Il n'y a aucune raison de survaloriser la grossesse physiologique et l'accouchement alors que c'est l'adoption psychique qui est la part la plus indispensable de la constitution de la famille. Réciproque et en constante élaboration, le contrat entre l'enfant et ses parents se dispense de la génétique et même de la fugace passade obstétricale.

L'enfant né d'une gestation pour autrui commence-t-il sa vie par un abandon ? Non, car il est déjà adopté avant sa naissance par ses parents d'intention, sans le projet desquels il n'existerait pas. Sa mère porteuse a joué le rôle d'une « nounou prénatale ». Serait-il donc plus scandaleux d'être une nounou d'avant la naissance que d'après ? Un contact ultérieur de l'enfant avec cette femme est d'ailleurs souhaitable, vu l'éminent service qu'elle lui a rendu. Un enfant né de la sorte, à qui les choses sont expliquées sainement, est parfaitement à même de comprendre. De même, tout est explicable aux enfants de la mère porteuse. Le caractère exceptionnel du geste de leur mère qui, par son dévouement, a permis à un autre couple de constituer une famille, peut même avoir valeur exemplaire pour eux.

Enfin, fait-on fi de l'intérêt de l'enfant ? Vaut-il mieux ne pas être né ou avoir pu naître grâce à une gestation pour autrui ? Peut-on nuire à un enfant en lui donnant le jour ? La situation juridique actuelle dans laquelle le père d'intention a le droit, lui, de faire reconnaître sa paternité par anticipation, alors que la mère d'intention ne peut, elle, voir reconnue sa maternité, est absurde et dramatique. L'acte de naissance devrait comporter le nom de la mère d'intention, pas celui de la femme qui a accouché. Pourquoi les enfants paieraient-ils ce qui est tenu pour des errements de leurs parents en se voyant refuser leur filiation maternelle, quand bien même celle-ci est établie sur le plan génétique ? Cet argument de l'intérêt de l'enfant est invoqué de fort mauvaise foi car qui peut dire quoi que ce soit sur le sort d'un enfant, quand certains qui ont tout pour être heureux ne le deviennent pas et que d'autres, qui naissent dans des contextes effroyables, s'en sortent plus que bien ? Si l'on avait vraiment le souci de l'intérêt de l'enfant, on établirait sans hésitation sa filiation maternelle plutôt que de proposer que sa mère devienne une vague tutrice.

Aujourd'hui, les couples qui souhaitent faire appel à une mère porteuse recrutent sur internet une femme, plus ou moins loin, qu'ils payent préalablement – autour de 15 000 euros – dans le cadre d'un contrat qui prévoit qu'après la naissance, tous les ponts pourront être coupés, tout le monde étant quitte. Cette transaction commerciale, le plus souvent déshumanisée, s'apparente à une forme d'esclavage moderne. Est-ce cela que nous voulons pour notre pays ?

Il est tout à fait possible d'imaginer qu'une gestation pour autrui se déroule autrement, entre des personnes qui se connaissent et se lient, avec la possibilité pour l'enfant et la mère qui l'a porté de nouer ultérieurement des relations de type filleul-marraine. Cette seconde option, bien plus humaine, qui passe par le langage et où on explique à l'enfant les conditions de sa venue au monde, ne met en rien en péril la nouvelle famille. La contribution de la mère porteuse à l'avènement de l'enfant est, d'une certaine manière, comparable à celle d'un donneur de gamète, d'embryon ou de vie pour les enfants nés sous X, à la seule différence près de l'anonymat – principe dont il faudra bien que nous nous débarrassions un jour, au nom même des droits de l'homme. Mais c'est là un autre débat.

La législation française actuelle interdit toute gestation pour autrui, si bien que les couples demandeurs ne viennent même pas consulter et passent directement par Internet. Cela empêche toute analyse au cas par cas des demandes, pourtant toutes singulières. S'autoriser à dire parfois oui, après s'être assuré que la mère porteuse n'est pas une Agar et que l'enfant sera bien traité, c'est prendre un risque, mais pas davantage qu'en continuant de tout interdire, au détriment des enfants qui vont naître après des montages, parfois sordides, à l'étranger. Persister dans l'interdiction totale, c'est conforter le recours au marché procréatif international, dans des conditions acceptables pour les plus riches, mais dangereuses, voire honteuses, pour ceux qui ne peuvent « se payer » que l'Ukraine ou l'Inde. Or, le principe d'indisponibilité du corps humain vaut aussi pour les femmes qui n'ont pas la chance d'être françaises et seront sollicitées par des couples français sans autre choix.

Une défense résolue de tout ce qu'il y a d'humain en l'homme pourrait constituer le fil directeur de l'écriture d'une nouvelle morale laïque, qui devrait trouver un équilibre, un « juste milieu » entre l'interdit absolu et le laisser-faire indécent. Il est des valeurs et des principes que nul ne remet en question dans notre société – non-exploitation des êtres humains les uns par les autres, droit de l'enfant à naître dans un milieu familial adapté comportant un père et une mère en âge de procréer, garantie d'une origine claire des gamètes en cas de recours à un don, gratuité de ce don et égalité d'accès aux soins. Ces valeurs essentielles, auxquelles nous sommes tous attachés, ne seraient pas remises en question par la légalisation de la pratique, strictement encadrée, de la gestation pour autrui.

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