Certains débats, dont celui qui nous occupe, sont-ils donc voués à recommencer éternellement ? Je me souviens de ceux que nous avions eu ici même à l'Assemblée nationale, en novembre 1983, alors que j'étais députée, sur la question très circonscrite, mais qui soulevait les mêmes problèmes de principe qu'aujourd'hui, des mères porteuses. En effet, des officines commençaient de se créer et de réaliser des profits substantiels avec ce que nous appelions alors la location de ventres. J'avais fait part de mon émoi au secrétaire d'État chargé de la santé à l'époque, M. Edmond Hervé, ainsi qu'au groupe socialiste auquel j'étais apparentée. J'avais posé une question d'actualité sur le sujet afin d'ouvrir le débat. L'Assemblée avait alors été unanime à considérer que cette pratique devait être bannie dans notre pays.
Pourquoi ce débat revient-il aujourd'hui, alors même que la médecine a beaucoup progressé dans le traitement des stérilités ? Faudrait-il être « moderne » ? Je me méfie beaucoup de cette exigence de modernité, comme si celle-ci était en soi une valeur positive. Il est des choses « modernes » qu'il faut proscrire et d'autres « ringardes » qu'il faut défendre –ce qui n'interdit pas de les rajeunir. Cet argument de modernité n'est pas recevable.
Une autre raison parfois avancée est que cette pratique est autorisée dans d'autres pays, notamment européens. Ce n'est pas non plus un argument. Ne devons-nous pas plutôt chercher à préserver la spécificité de notre approche et à convaincre nos voisins de son bien-fondé, au lieu de leur emboîter avec empressement le pas ?
Je ne sais donc pas très bien pourquoi cette question refait surface. Y a-t-il une nouvelle offensive des mères porteuses, comme il y en eut une en 1982-1983, avec un intense lobbying pour que ce commerce soit autorisé ? J'emploie le mot « commerce » à dessein. Et je le dis d'emblée, qu'on ne cherche pas à me convaincre, ce serait peine perdue, que des femmes accepteraient de porter l'enfant d'une autre qu'elles ne connaissent pas uniquement par amitié, compassion ou solidarité féminine. Je sais ce qu'est la solidarité féminine. Je puis vous assurer qu'elle ne va pas jusque là. Il est évident, même si on ne l'avoue pas, qu'il y a et qu'il y aura toujours un échange marchand. À soi seul, cela justifierait l'interdiction de la gestation pour autrui.
On argue aussi du désir d'enfant. Je le comprends, je le connais, je l'ai vu éprouver et occasionner des souffrances autour de moi. Mais devenir adulte, n'est-ce pas précisément accepter de renoncer à ce que tous nos désirs puissent être satisfaits ? Ce désir d'enfant dérive dangereusement vers un droit à l'enfant, lequel, pour moi, n'existe pas. S'il faut faire preuve de la plus grande compréhension pour les femmes stériles en désir d'enfant – encore faut-il que cette obsession ne se transforme pas en névrose, traduisant chez elles une difficulté à accepter la réalité, à laquelle elle préfère la projection dans un avenir inconnu –, la compassion ne peut aller jusqu'à satisfaire ce désir.
La vraie question est aussi de savoir quels enfants nous voulons mettre au monde, pour quel monde. Si nous acceptions la gestation pour autrui, nous irions vraiment vers un autre monde. La question, on le voit, va bien au-delà de l'objet en instance.
J'invite les femmes stériles et les couples qui souffrent de cet état de fait à ouvrir les yeux autour d'eux et à se demander s'ils ne pourraient pas eux aussi faire preuve de compassion plutôt que de la solliciter à leur égard. Combien y a-t-il d'enfants abandonnés, sans famille ni la moindre chance de s'épanouir et d'être heureux ? Pourquoi n'adopteraient-ils pas ? En 1983, nous avions convenu, je ne sais pas si cela a été fait, de revoir toute la législation relative à l'adoption pour la faciliter. Voilà la vraie solution au désir d'enfant.
Le législateur doit avoir conscience, je ne doute pas qu'il l'ait, que traitant de ce sujet, il n'élabore pas seulement un pan de notre droit mais touche à des principes fondamentaux qui engagent le monde futur dans lequel nous vivrons.