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Intervention de Dominique Mehl

Réunion du 15 décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Dominique Mehl, sociologue, directrice de recherches au CNRS :

Je souhaiterais vous présenter les résultats de quelques enquêtes réalisées auprès de couples ayant recouru ou souhaitant recourir à une mère porteuse et de mères porteuses elles-mêmes. J'ai moi-même réalisé l'une de ces enquêtes dans notre pays, sur six couples ayant fait appel à une mère porteuse, l'un de manière illégale en France, les autres à l'étranger. Leurs témoignages sont publiés dans mon ouvrage Enfants du don. Les autres enquêtes portent sur le vécu de la gestation pour autrui dans les pays où cette pratique est légalisée, autorisée ou tolérée, notamment aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne et en Israël.

Ces enquêtes nous apprennent que les demandes de gestation pour autrui proviennent de femmes privées d'utérus ou dont l'utérus, déficient, empêche la conduite d'une grossesse. Il n'a pas été constaté de demandes de convenance, comme certains magazines ont pu s'en faire l'écho, de la part de femmes qui auraient par exemple souhaité qu'une grossesse ne nuise pas à leur carrière. Dans tous les cas, les demandeuses souffraient d'une pathologie grave, attestée médicalement.

Les progrès de la médecine procréative ont conduit à une situation tout à fait nouvelle en permettant de dissocier la fertilité féminine en ses deux dimensions procréatrice et gestatrice, autrement dit la production des ovocytes et la capacité de l'utérus à accueillir une grossesse. C'est grâce à toutes ces nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP) que l'ovocyte peut être extrait du corps féminin et faire l'objet d'un don, ou qu'un embryon conçu hors du corps féminin, voire avec un ovocyte tiers, peut être implanté dans un utérus pour s'y développer. Le don d'ovocytes et la gestation pour autrui organisée avec transfert d'embryon – car le recours aux mères porteuses est, sinon, vieux comme le monde –sont des pratiques plus nouvelles que le don de sperme, duquel on a dit que la pipette ne faisait qu'y remplacer un acte sexuel adultérin et qui permet depuis longtemps de contourner l'obstacle d'une stérilité masculine.

Comment les femmes qui souhaitent recourir à une mère porteuse vivent-elles leur situation ? Celles que j'ai rencontrées ne se considèrent pas stériles mais infertiles, encore en possession de leur fécondité ovarienne mais ne pouvant mener à bien une grossesse. De manière imagée, les femmes privées d'utérus disent « j'ai la graine, mais pas la terre », tandis que celles à la fonction ovocytaire défaillante disent « j'ai la terre, mais pas la graine. » Or, pour faire un bébé, il faut « et la graine et la terre ».

La demande des femmes privées d'utérus ne disparaîtra pas. Elles éprouvent en effet un très fort sentiment d'injustice devant les progrès de l'AMP qui permet aujourd'hui de traiter l'infertilité masculine et l'infertilité féminine ovocytaire. Seule l'infertilité utérine, la leur, n'a pas de réponse médicale. En outre, beaucoup de ces femmes en France ont appris leur handicap avant que la loi de bioéthique de 1994 n'interdise les mères porteuses. Je pense notamment à celles atteintes du syndrome de Mayer-Rokitansky-Kuster-Hauser – MRKH –, affection à l'origine d'aménorrhée, d'absence ou de déformation du vagin et de non-fonctionnement de l'utérus. Leur vagin a pu être reconstruit chirurgicalement à leur adolescence et elles ont pu mener par la suite une vie sexuelle normale. Mais leur utérus, lui, n'est pas réparable et cet organe ne peut, pour l'instant, faire l'objet d'une greffe. Leurs chirurgiens les avaient à l'époque rassurées, leur expliquant qu'elles pourraient quand même avoir un enfant d'elles en ayant recours à une mère porteuse. Elles ont réussi, après un travail long et difficile, à faire le deuil de la grossesse mais non celui d'un enfantement auquel elles participeraient. Quant aux plus jeunes, qui ont appris leur handicap après l'interdiction des mères porteuses en France, elles savent que la pratique est autorisée dans certains pays étrangers, d'autant qu'Internet a facilité l'accès à l'information, et que des Françaises s'y rendent pour contourner l'interdiction.

D'après les enquêtes réalisées notamment aux États-Unis, au Canada et en Israël, les considérations financières ne sont pas la première des motivations des mères porteuses. Lorsqu'elles en parlent, elles l'évoquent toujours en second, comme une « compensation », « la rémunération d'un travail », « un contre-don » pour le don qu'elles font un temps de leur corps. Leur profil, pour ce qui a pu en être étudié aux États-Unis, n'est pas, comme certains pourraient le croire, celui de femmes de couleur issues de milieux particulièrement défavorisés. Au contraire, elles sont en majorité blanches, ont environ trente ans, sont mariées ou concubines, ont déjà au moins un enfant et surtout sont, pour la plupart d'entre elles, profondément chrétiennes. Les motivations des mères porteuses sont assez semblables à celles des donneurs de sperme ou des donneuses d'ovocytes. Elles ont souvent dans leur entourage, plus ou moins proche, des personnes ayant connu la blessure que représente la stérilité et souhaitent, dans un élan compassionnel, rendre service. Surtout, cela se retrouve dans tous les témoignages, ce sont des femmes qui ne veulent pas plus d'enfants qu'elles n'en ont déjà, le plus souvent un ou deux seulement, – certaines se sont même fait ligaturer les trompes – mais qui, aimant être enceintes, souhaitent pouvoir en faire profiter d'autres. Comme chez tous les donneurs d'éléments du corps, leur don renforce leur estime d'elle-même et participe d'une valorisation narcissique.

J'en viens au vécu de la gestation pour autrui elle-même. Chez tous ceux qui y ont recours, on retrouve le désir d'avoir un enfant « un peu de soi », comme chez ceux qui ont recours à une assistance médicale à la procréation, qu'il s'agisse d'une fécondation in vitro (FIV), par laquelle un couple conçoit un enfant qu'il n'arrive pas à concevoir par rapport sexuel, d'un don de sperme où le couple se dit « l'enfant sera au moins de ma femme » ou d'un don d'ovocytes où le couple se dit « l'enfant sera au moins de mon mari ». Dans la GPA où la mère d'intention donne ses ovocytes, le couple se dit que l'enfant sera biologiquement de ses deux parents et n'aura finalement été « hébergé » chez une autre que le temps de la gestation. Lorsque ces femmes disent « je veux un enfant de moi », elles expriment davantage le souhait de s'investir corporellement dans l'enfantement, auquel elles veulent participer au moins par un élément venant d'elles, qu'elles ne donnent le primat à la transmission génétique. Ces couples pensent aussi que l'enfant à venir étant génétiquement issu de l'un d'eux ou des deux, ils pourront mieux l'investir dans leur chair qu'ils ne le feraient d'un enfant adopté.

Toutes les enquêtes attestent d'une réelle capacité de dédoublement chez les mères porteuses. Cet enfant qu'elles portent pour une autre, elles ne le portent jamais comme le leur : elles ne lui cherchent pas de prénom, ne lui préparent pas de chambre, même mentalement, ne préparent pas leurs enfants à la naissance d'un frère ou d'une soeur. Et elles réalisent un travail sur elles-mêmes pour se tenir affectivement à distance de lui. Le rapport de complicité de femme à femme qui s'établit entre la mère porteuse et la mère d'intention compte davantage que l'échange avec le foetus. Si la séparation d'avec l'enfant à la naissance n'est pas facile, celle d'avec la mère d'intention est encore plus redoutée, des liens étroits s'étant la plupart du temps noués durant la grossesse, au moment de l'accouchement et juste après la naissance.

Je dois ici préciser que toutes les études dont je fais état, qui ne portent que sur de très petits échantillons, ne sont pas représentatives au sens statistique. Elles sont quasiment impossibles à réaliser en France puisque les personnes concernées, se trouvant dans l'illégalité, n'acceptent de témoigner que de façon anonyme. Beaucoup m'ont parlé en refusant que leur témoignage soit publié. Nous, sociologues, qualifions ce type de témoignages « d'emblématiques ». Nous en tirons des conclusions parce qu'ils font apparaître des similitudes et un discours partagé par tous ceux pour qui l'expérience a été positive. Nous avons bien conscience que ceux pour qui l'expérience a été différente, qu'elle ait été source de déceptions ou de difficultés, notamment en cas de rupture avec la mère d'intention, ne témoignent pas auprès des sociologues. On a plus de chances de les retrouver dans les tribunaux… De ces témoignages, j'ai retiré la conviction qu'il y avait là un scénario possible de gestation pour autrui, envisageable seulement si cette pratique est légalisée et encadrée.

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