M. Vauzelle a parlé d'une évolution atlantiste du Gouvernement. Ce n'est vraiment pas le cas. Ce n'est pas une bonne relation avec les États-Unis qui fait une évolution atlantiste ! Tout ce qui a été fait montre au contraire notre attachement à promouvoir l'Europe de la défense. Je suis ce dossier depuis longtemps. Le problème majeur est de savoir combien nos partenaires sont prêts à mettre sur la table. La France et la Grande-Bretagne sont les deux pays de l'Union européenne qui dépensent le plus pour leur défense. Pour autant, il est évident que nous ne pouvons financer l'Europe de la défense à nous seuls. Tous les pays doivent y participer réellement, et certains doivent également prendre conscience de leurs responsabilités. Ainsi que j'avais eu l'occasion de le dire il y a quelques années, il est bien beau de parler du respect des critères de Maastricht et d'oublier en même temps que c'est nous, parce que nous avons fait les investissements nécessaires, qui allons chercher à l'étranger les ressortissants de certains pays qui sont incapables de le faire eux-mêmes : il faudrait peut-être prendre les coûts réels en compte.
Cela dit, tant le conseil des ministres franco-allemand, que la lettre adressée à Mme Ashton sur la nécessité d'avancer en matière d'Europe de la défense ou que le sommet franco-britannique sont autant d'actes contribuant au renforcement de l'existence de la défense européenne. Il n'y a donc pas du tout de dérive atlantiste.
Pour ce qui est de notre attitude face au conflit entre Israël et la Palestine, les États-Unis ont pris une initiative que nous avons soutenue, comme il faut le faire pour toutes celles qui veulent faire avancer la paix. Mais après ce qu'ils considèrent maintenant comme un échec, les États-Unis sont prêts à faire une plus grande place au Quartet, ainsi peut-être qu'à certains pays arabes, dans la recherche d'une solution. On est loin de l'atlantisme ! C'est au contraire la pleine reconnaissance de ce que l'Europe peut faire, et au premier rang la France, qui a joué un grand rôle en cette affaire.
L'Union pour la Méditerranée est une très grande idée qui peut nous permettre de peser face aux grands pôles. Il faut réussir à la mettre en oeuvre. Or, l'aspect politique de l'Union est considérablement gêné par un conflit entre des pays de la Méditerranée, qui sont la base de notre culture. En revanche, on peut essayer de la faire avancer sur des sujets très concrets, comme je l'avais fait lorsque j'étais au ministère de l'intérieur, en faisant prendre conscience aux uns et aux autres que nous partageons un certain nombre de risques – sismiques, d'inondation ou d'incendie – face auxquels la solidarité est nécessaire. Il est possible d'amener les gens à travailler ensemble à partir de choses très concrètes. Dans d'autres fonctions que j'ai exercées, et à condition que cela se fasse en dehors des médias, j'ai pu constater qu'on arrivait à mettre autour de la même table pour parler de problèmes communs des gens qu'on ne verra jamais officiellement assis les uns à côté des autres. La diplomatie, c'est aussi du pragmatisme.
Pour ce qui est des chrétiens d'Irak, je me suis effectivement entretenue avec le métropolite, et nous avons pris des contacts depuis les événements du 31 octobre. La France, monsieur Julia, a non seulement accueilli les blessés, ce dont elle a été largement remerciée, mais également proposé que les chrétiens d'Irak qui se sentiraient directement menacés puissent venir s'installer dans notre pays. Cela dit, le problème est réel : outre le drame humain que peut représenter le fait de quitter son pays, il y a un véritable risque que toute la communauté disparaisse, laissant la place à ceux dont c'était finalement le but.
Par ailleurs, des contacts doivent être pris avec les autorités d'Irak et de certains autres pays pour mieux garantir la sécurité autour d'un certain nombre de lieux à l'approche des fêtes de Noël. Tout acte de terrorisme recherche en effet une visibilité médiatique, et les dates et les lieux symboliques sont celles et ceux pour lesquels les risques sont les plus grands. Là aussi, nous devons faire de l'anticipation pour prendre les précautions nécessaires. Cela se fait en lien avec les autorités, qui n'ont aucun intérêt à voir se développer le terrorisme et sont même parfois visées.
Quant à l'ambassadeur en Iran, il est évident qu'il aura un successeur. Je ne sais pas si ce sera mercredi prochain ou au premier conseil des ministres de la rentrée, mais j'ai déjà proposé un nom pour remplacer M. Poletti.
Vous avez été plusieurs, avec M. Remiller, à m'interroger sur la situation en Côte d'Ivoire, qui est évidemment préoccupante à tous points de vue. Des violences ont été perpétrées, mais, d'après les représentants des Français en Côte d'Ivoire que j'ai vus hier, les communautés étrangères ne se sentent pas menacées. Toutefois, il faut rester extrêmement vigilant : en cas de violences, nous savons très bien qu'elles peuvent être visées, pour des raisons diverses.
La communauté internationale a reconnu M. Ouattara comme l'élu légitime des Ivoiriens : il y a eu unanimité, d'abord de la Communauté des États de l'Afrique de l'ouest, puis de l'Union africaine et enfin de l'ONU. Mais M. Gbagbo, s'appuyant sur une argutie procédurale, prétend que la commission indépendante n'a pas valablement donné les résultats – alors que ce sont les propres troupes de M. Gbagbo qui l'ont empêchée de les donner dans les trois jours – et que le Conseil constitutionnel est donc seul habilité à les proclamer. Ce dernier s'est prononcé pour M. Gbagbo, ce qui, quand on connaît sa composition, n'a rien de surprenant.
Aujourd'hui, la situation est bloquée : M. Gbagbo est dans son palais, tandis que M. Ouattara, coincé dans un hôtel, a des difficultés à imposer son pouvoir. Cependant, ce dernier a commencé à nommer des ambassadeurs. Des mesures ont par ailleurs été prises au plan bancaire : lundi, à Bruxelles, l'Union européenne a prévu des sanctions individuelles contre les proches de M. Gbagbo qui ne reconnaîtraient pas l'élection légitime.
Je connais M. Gbagbo. Je pense qu'il est en train de jouer le pourrissement de la situation, en se disant que la communauté internationale finira par céder. Or elle est déterminée. Il faut seulement que les choses se passent en douceur et que M. Gbagbo s'en aille dans des conditions dignes : après tout, il a été président de la Côte d'Ivoire pendant dix ans. Il convient surtout d'éviter que le sang ne coule, et de permettre au pays de repartir le plus vite possible. Après avoir subi la crise, il était en train de se rétablir, et les Ivoiriens ont besoin que leur économie fonctionne normalement. C'est pourquoi il faut maintenir, voire augmenter la pression – la seule signature bancaire valable pour l'État ivoirien est désormais celle de M. Ouattara –, tout en prévoyant une sortie en douceur.
Je suis comme vous préoccupée par la volonté de M. Soro, Premier ministre de M. Ouattara, de s'installer à la Primature et de récupérer les capacités de communication confisquées par M. Gbagbo – j'observe qu'il s'était déjà exprimé en ce sens lundi et ne l'a pas fait. Mais il n'est pas question que les forces impartiales interviennent dans cette affaire. Nous appelons tout le monde à débloquer la situation le plus vite possible et à éviter tout ce qui pourrait créer de la violence.
M. Remiller m'a également parlé de l'Algérie. Je m'y étais rendue il y a un mois en tant que ministre de la justice et je connais bien les Algériens. Nos relations ont toujours été très passionnelles : nous sommes parfois proches, mais il y a aussi parfois des heurts, le moindre mot étant interprété de part et d'autre… Je pense qu'il faut parvenir à un apaisement. Pour cela, il faut arrêter de regarder toujours le passé. La première fois que j'ai rencontré le président Bouteflika, je lui ai dit que j'avais onze ans lors de la guerre d'Algérie et que tout cela ne me disait pas grand-chose. Certes, on peut toujours prendre une leçon d'histoire, mais nous avons des problèmes en commun, comme le terrorisme ou la grande criminalité, et en particulier les trafics de drogue, pour lesquels il faut trouver des solutions.
M. Lecoq a évoqué le Sahara occidental. J'en avais parlé avec les Algériens et avec le ministre des affaires étrangères marocain, qui est venu me voir récemment. Là aussi, il s'agit d'un conflit qui s'éternise et il faut trouver une solution. Des propositions ont été faites. Il faut essayer, au-delà des problèmes de communication qui se posent, de chercher les possibilités d'une réconciliation durable plutôt que d'opposer les uns aux autres. Ce n'est certes pas facile lorsqu'on les connaît, mais c'est tout à fait indispensable pour parvenir à une unité du Maghreb. Or, nous avons besoin de cette unité, y compris dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée. Nous avons besoin que ces pays s'entendent, à la fois pour créer une véritable perspective de développement économique et pour pouvoir régler les problèmes cruciaux – et qui sont en train de s'aggraver – du terrorisme et des trafics de tous ordres. Car la drogue est un facteur aggravant, bien plus qu'on ne le pense. Je crains que ne finisse par se former en Afrique une grande zone grise, à la jonction de l'arc de cercle terroriste qui couvre l'Afghanistan, le Pakistan et la Somalie et de celui qui est en train de se développer avec AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique) entre le Maghreb et le Niger, et que j'ai vu s'étendre considérablement en l'espace de trois ans. Il faut donc absolument aider au dialogue.
Pour ce qui est des lois discriminantes d'Israël, je vous avoue que je ne sais pas de quoi il s'agit. N'oubliez pas que je n'occupe le poste de ministre des affaires étrangères que depuis trois semaines.
Quant aux principes et aux valeurs fondamentales de la France, vous savez combien j'y suis attachée. C'est au regard de ces principes qu'il convient de faire nos choix. Cela n'empêche pas d'être pragmatiques. Nous aurons des discussions sur un certain nombre de sujets, et, sauf exception, je pense qu'on n'a jamais intérêt à ne pas parler avec les autres, tout en se montrant extrêmement clairs sur ses propres positions – les gens prennent souvent beaucoup mieux qu'on ne le pense une telle attitude. J'ai eu à gérer le premier épisode du foulard islamique : je me trouvais en Arabie Saoudite et au Qatar à ce moment-là et j'ai pu constater que quand on explique la raison des choses au regard de ses propres principes, cela passe plus facilement. En tout cas, j'ai toujours fait comme cela et je n'ai pas l'intention de changer.
J'ai déjà répondu à M. Kucheida sur l'accord franco-britannique, qui n'est pas une dérive atlantiste mais une façon de renforcer l'existence de la défense européenne. Ce qui me paraît important dans cet accord, c'est que les Britanniques se rapprochent de l'Europe.