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Intervention de Didier Migaud

Réunion du 27 mars 2008 à 9h30
Débat sur la situation économique sociale et financière de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Migaud, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, seulement trois mois se sont écoulés depuis l'entrée en vigueur de la loi de finances pour 2008 et les interrogations sur sa faisabilité sont de plus en plus fortes.

Rappelons que cette loi de finances a été bâtie sur l'hypothèse d'un décollage de la croissance française que devait permettre notamment la loi dite TEPA du 21 août dernier, d'une hausse des prix modérée et d'une parité euro-dollar encore supportable, enfin, d'un volume de dépenses publiques fixé conformément aux engagements qui ont prévalu jusqu'à la discussion budgétaire.

Ce budget devait être le point de départ d'une série de lois de finances vertueuses qui verraient le déficit public décroître progressivement jusqu'à sa disparition en 2012 et la dette publique se réduire jusqu'à se situer à moins de 60 % du PIB. Par ailleurs, le candidat à la présidence de la République s'était engagé à une baisse des prélèvements obligatoires de quatre points.

Ce schéma, le Gouvernement a dû le plaider devant l'Eurogroupe, le 9 juillet dernier, pour expliquer pourquoi la France revenait sur son engagement de parvenir à l'équilibre des finances publiques en 2010 pour en reporter l'échéance à 2012. En novembre dernier, il a transmis à la Commission européenne un programme de stabilité actualisé, qui s'étend donc sur la période 2008-2012. C'est à un nouvel exercice que vous devrez procéder ces jours-ci en raison d'hypothèses qui n'ont malheureusement pas résisté à la réalité.

Au passage, j'observerai que cette obligation qu'a le Gouvernement de « rendre compte » périodiquement auprès de la Commission européenne de l'évolution de nos comptes publics, au titre du programme de stabilité, semble être, à ce jour, le seul moyen pour la représentation nationale d'avoir un peu – je dis bien un peu – de visibilité à moyen terme. C'est par exemple dans ce document que l'on apprenait, dès novembre 2007, que l'engagement d'une baisse de quatre points des prélèvements obligatoires ne serait pas tenu. En effet, jusqu'à présent, il n'y a point de budget pluriannuel. Je me réjouis que cela change bientôt car, aujourd'hui, selon les nécessités de la communication gouvernementale ou présidentielle, on oscille entre la courte vue du budget annuel et la longue vue du paradis retrouvé à l'horizon 2012. Comment passe-t-on d'une situation à l'autre ? Quelles sont les étapes à respecter ? Comment réussir effectivement en 2009 si l'on n'a pas tenu ses engagements en 2008 ? Cela, par exemple, on ne le sait pas.

Tous les indicateurs retenus pour l'élaboration de la loi de finances et le pacte de stabilité ont bougé. Le conte de Noël que j'avais dénoncé à l'époque tournerait-il, monsieur le ministre, au film catastrophe ? On peut le redouter.

Je ne développerai pas la question de la hausse des prix des matières premières. Je ne m'étendrai pas non plus sur la question de la parité euro-dollar, dont on sait qu'elle a partie liée avec la crise financière mondiale, d'une ampleur qui a pour le moins été sous-estimée pendant des mois par le Gouvernement. La commission des finances, qui, elle, avait engagé un cycle d'auditions sur la nature et les effets de cette crise, a pu estimer dès le début, et avec justesse, qu'elle ne resterait pas sans conséquences sur l'économie réelle de la zone euro.

Ce n'est pas que ces composantes de la situation économique et financière ne soient pas importantes mais je souhaite, aujourd'hui, évoquer ce sur quoi le Gouvernement a directement la main, je veux parler de la politique fiscale et budgétaire. Si notre collègue Chartier – dont je regrette le départ – peut se réjouir d'un taux de croissance pour 2007 de 1,9 %, je constate que le taux de croissance moyen observé en 2007 dans l'Union européenne est de 2,6 %, c'est-à-dire que la France est plutôt mauvaise élève en ce qui concerne la croissance par rapport à ses partenaires européens.

Tout d'abord, la politique fiscale. Alors même que les caisses étaient vides – je rappelle que le déficit budgétaire en 2006 était de 39 milliards d'euros et celui inscrit dans la loi de finances initiale pour 2007 d'un peu plus de 41 milliards d'euros –, le Gouvernement a fait passer, de toute urgence, le projet de loi dit TEPA. Ce texte, dont l'objectif était l'emploi et le développement du pouvoir d'achat, constituait une pièce maîtresse du point de croissance supplémentaire. En réalité, plusieurs mesures, notamment l'extension du bouclier fiscal, n'avaient aucun lien avec l'objectif affiché, cela a été souligné par le président du groupe socialiste. Le dispositif qui en résulte devrait en année pleine porter les restitutions d'impôts à environ 800 millions d'euros par an et, pour un millier des contribuables demandeurs de restitutions, c'est-à-dire ceux qui détiennent un patrimoine supérieur à 15 millions d'euros, la restitution pourrait s'élever à 250 millions d'euros. On ne s'étonnera pas que ces mesures-là, comme celles relatives aux droits de succession, n'aient en rien contribué à une amélioration de la croissance.

Je veux revenir sur la mesure de détaxation des heures supplémentaires, présentée comme le moyen de remettre la France au travail, de créer du pouvoir d'achat et d'amorcer une nouvelle croissance.

Le Gouvernement est parti d'une estimation des heures effectuées précédemment, qui a été fixée à 900 millions. Nous disposons aujourd'hui des premiers résultats, qui portent sur le dernier trimestre 2007 et le mois de janvier 2008. Ces résultats font apparaître qu'au cours du premier trimestre d'application du dispositif d'exonération – soit d'octobre à décembre 2007 – 106 millions d'heures supplémentaires ont été effectuées, pour un coût de 275 millions d'euros au titre des seules cotisations, la perte de recettes au titre de l'impôt sur le revenu n'étant pas connue. En janvier, ce sont 43 millions d'heures supplémentaires qui ont été déclarés, le chiffre des très petites entreprises n'étant pas encore connu. S'il est difficile, j'en conviens, d'extrapoler ces résultats sur une année entière, puisque le premier trimestre était celui de la mise en place et que le mois de janvier n'est pas tout à fait complet, il n'en reste pas moins que les 900 millions d'heures supplémentaires apparaissent un objectif difficile à atteindre.

De plus, d'après une note de l'INSEE, et j'invite notre collègue Chartier à la lire, « l'impact de ces dispositions sur la durée du travail serait très modéré dans la période actuelle de ralentissement conjoncturel qui limite le besoin d'heures supplémentaires pour les entreprises ». Doit-on rappeler, en effet, que ce ne sont pas les salariés qui décident des heures qu'ils veulent effectuer, mais les entreprises qui les emploient ? En moyenne, les heures effectuées en janvier correspondent à quatre heures par mois ramenées à l'ensemble des salariés et à six heures rapportées aux salariés des entreprises qui font des heures supplémentaires. C'était, semble-t-il, le cas avant la loi TEPA. On est assez loin des quatre heures par semaine de l'exemple-type mis en avant par la ministre de l'économie. On est tout aussi loin des 2 500 euros de gains annuel du même exemple. Rapporté au nombre total de salariés et compte tenu du nombre d'heures réalisées, le gain moyen serait seulement de 0,5 % environ du salaire net. C'est positif, mais très loin de correspondre à ce qui était annoncé.

Au total, et au vu des résultats des quatre premiers mois, ce dispositif « accompagnerait » plus les heures supplémentaires effectuées qu'il n'y inciterait. En effet, rien n'indique que les heures supplémentaires réalisées depuis octobre 2007 soient plus nombreuses que celles pratiquées antérieurement. Et les quatre heures mensuelles « de plus » dont se réjouit le Premier ministre sont simplement des heures supplémentaires, comme il en a toujours existé, il ne s'agit aucunement d'heures supplémentaires « en plus ». Il y a davantage effet d'aubaine qu'effet de croissance. Le gain de pouvoir d'achat pour l'ensemble des salariés serait modeste au regard d'une dépense budgétaire importante. Et, monsieur le ministre, puisque ce gain de pouvoir d'achat est financé par l'État, pourquoi ce dernier se limite-t-il à cette seule catégorie de Français, qui en bénéficient sans travailler plus ?

Le dispositif de la loi TEPA coûte cher sans être efficace. Du coup, la « sortie des clous » du pacte de stabilité est regardée avec inquiétude par nos partenaires européens. En effet, s'il est admis, depuis 2005, que certaines charges peuvent temporairement échapper à la comptabilisation du déficit, ce sont celles qui sont liées à des réformes structurelles, à un soutien à la recherche ou à des coûts exceptionnels d'assainissement des finances publiques. Avec les mesures du TEPA, il ne s'agit pas de cela et, dans son avis du 12 février dernier, le Conseil de l'Union européenne relève que « des risques entourent les objectifs du programme français du fait d'hypothèses macroéconomiques optimistes » mais aussi « d'hypothèses concernant l'incidence des réformes structurelles sur la croissance », les dispositions du TEPA n'étant pas considérées par nos partenaires européens comme telles.

J'en viens au volet dépenses. L'annonce d'une série de dispositifs qui ne sont pas inscrits dans la loi de finances et qui ne sont donc pas financés ne va pas sans nous interroger. Chaque mois, un engagement, voire plusieurs, sont pris qui pèseront sur les finances publiques.

En décembre 2007, l'État vend, dans la précipitation, 2,5 % d'EDF pour financer l'augmentation du budget de l'enseignement supérieur qu'il s'est engagé à accroître d'un milliard par an, ce qui fait 5 milliards pour la législature. Il recueille 3,7 milliards d'euros au lieu des 5 attendus : c'est 1,3 milliard d'euros qui manque à l'appel. Parallèlement, les recettes de privatisations feront défaut pour notamment abonder le fonds de réserve des retraites. Je rappelle que ce dernier devrait être alimenté à hauteur de 6 milliards d'euros chaque année pour atteindre 150 milliards en 2020 ; il ne l'a été que de 1,7 milliard en 2007.

En janvier 2008, le Président de la République annonce la suppression de la publicité pour France Télévisions, sans que la compensation soit prévue.

Le même mois, il annonce un plan pêche, en partie, mais en partie seulement, financé par une taxe instaurée en urgence dans le collectif de fin d'année.

En février, on charge un fonds de solidarité vieillesse en déficit de financer les revalorisations de pensions, nécessaires mais non prévues. L'allocation aux adultes handicapés doit être revalorisée et les rémunérations des fonctionnaires augmentées.

La sécurité sociale est en déficit. Et, comme le prévoit la loi organique de financement de la sécurité sociale, « tout nouveau transfert de dette à la caisse d'amortissement de la dette sociale – la CADES – est accompagné d'une augmentation des recettes de la caisse permettant de ne pas accroître la durée d'amortissement de la dette sociale ».

Nous sommes donc face à une situation où nous avons des recettes en moins, des dépenses en plus et des hypothèses de croissance à revoir.

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