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Intervention de Martine Billard

Réunion du 27 mars 2008 à 9h30
Débat sur la situation économique sociale et financière de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Billard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, la fameuse crise des subprimes, qui a débuté au mois d'août aux États-Unis, s'est, malgré tous ceux qui nous garantissaient le contraire, étendue largement. Ne concernant au début que le secteur immobilier, elle a peu à peu gagné le secteur bancaire et financier. Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale, reconnaît lui-même que la crise actuelle aux États-Unis pourrait se révéler comme « la plus douloureuse » depuis 1945. Il n'est pas le seul à faire cette analyse. Ainsi Martin Feldstein, professeur à Harvard et ancien directeur du Bureau national de recherches économiques, parle, lui aussi, d'une récession profonde et durable. Au vu des turbulences persistantes sur le marché du crédit et de l'effondrement de la banque d'affaires Bear Stearns, cinquième banque d'affaires américaine, ils craignent désormais que les États-Unis aient basculé dans la récession. Les assureurs américains ont maintenant perdu plus d'argent à cause des subprimes qu'à cause du cyclone Katrina, pourtant le pire désastre naturel de l'histoire des États-Unis.

Il y a un an, les États-Unis nous étaient donnés comme l'exemple de la réussite économique, de ce que nous devrions faire pour sortir notre pays de ses difficultés économiques et sociales, avec ces litanies sur les nécessaires déréglementations du travail, de la baisse des prestations sociales, et j'en passe. Ce discours qui donne en exemple les États-Unis est aujourd'hui moins à la mode.

Entre 1971 et 2008, l'économie mondiale a enregistré pas moins de vingt-quatre crises financières, soit en moyenne une toutes les années et demie. La crise des subprimes n'est que le dernier avatar de ces multiples crises, qui nous ont appris une chose : les plus dangereuses sont celles qui impliquent les banques.

Dans leur quête de profits toujours plus élevés, les banques ont joué sur les marchés en fermant les yeux sur les risques pris, et, à cet égard, l'histoire du trader de la Société Générale est un bon exemple de ce système bancaire gagné par la folie. Ainsi, pour faire face à la crise de liquidités, conséquence de la crise commencée cet été, les principales banques centrales ont, depuis lors, prêté des centaines de milliards de dollars et d'euros aux banques ordinaires. La Banque centrale des États-Unis a baissé à plusieurs reprises son taux d'intérêt directeur, alors que la Banque centrale européenne s'y refusait. Cela n'a pas suffi à calmer l'angoisse grandissante des acteurs financiers, et notamment des banques, qui, à l'approche de la fin de l'année 2007, voyaient avec terreur l'heure de vérité approcher : à combien s'élèveraient les pertes dues aux placements gangrenés par les subprimes ? On a parlé de plusieurs centaines de milliards de dollars, mais personne n'a pour l'instant confirmé le véritable montant.

Puis est survenue la chute des bourses en janvier 2008. Peut-être sera-t-elle prochainement suivie par la crise des fonds de pension, au moment même où ils vont devoir faire face à l'arrivée à la retraite de la première vague de papy boomers aux États-Unis, en Europe et au Japon. Or une crise de ces fonds mettrait en péril tout le système de retraites par capitalisation existant dans de nombreux pays. De ce point de vue, la France est, il est vrai, relativement à l'abri avec son système de retraites par répartition, puisque heureusement les salariés ont su se mobiliser et que la gauche a toujours refusé la capitalisation.

La déréglementation des marchés financiers et la liberté de circulation des capitaux ont conduit à une prolifération foisonnante de nouveaux produits financiers et de fonds spéculatifs de toutes sortes, à un découplage entre l'économie réelle et l'économie financière, avec un seul objectif : produire de la plus-value boursière. La vérité sur le capitalisme financier est là, finalement pas bien compliquée : un système qui entend assurer 15 ou 20 % par an de rentabilité aux actionnaires et qui prétend se passer de toute régulation publique, en confiant la planète à la loi du marché. Ce système est mortifère !

Il faut maintenant réintroduire de la régulation financière en taxant, par exemple, les transactions financières, objet de la fameuse taxe Tobin, ou en menant une action européenne concertée contre les paradis fiscaux et contre les délocalisations fiscales des sièges d'entreprises ; il faut interdire les produits dérivés, imposer les revenus financiers, séparer les banques d'affaires et les banques de dépôt – séparation qui avait d'ailleurs été introduite après la crise de 1929 et dont la suppression conduit à faire ressembler la crise que nous vivons aujourd'hui à cette dernière ; il faut encadrer le crédit afin qu'il serve à l'activité – notamment au développement de nos PME, qui doivent atteindre une taille leur permettant d'être concurrentielles à l'exportation – et non à la spéculation.

Oui, il faut en finir avec le tout-libéralisme et se redonner des outils d'intervention publics. D'ailleurs, les États-Unis ne sont pas le glorieux pays de l'ultra-libéralisme absolu que nous vantent régulièrement les ultra-libéraux français : quand il s'agit de protéger leurs intérêts, ils savent utiliser des politiques publiques.

Il faut enfin, parce qu'il y a urgence, développer une industrie au service de l'environnement. Les prix de nombreuses matières premières flambent. Pour l'une, le pétrole, ce n'est que la conséquence de sa surexploitation pendant des décennies, et donc l'entrée dans la phase de décroissance de ses réserves – phénomène prévisible, contrairement aux dires du Gouvernement. De nombreux experts et les Verts vous le répètent depuis des années, mais vous avez toujours refusé de les écouter.

La flambée des prix s'explique aussi par les choix de développement qui ont été faits. Ainsi pour les céréales, dont les consommateurs subissent la hausse des prix au quotidien dans l'achat de leurs produits alimentaires de base. Cette hausse des prix est due entre autres au développement des agrocarburants, développement sans intérêt pour l'environnement, mais qui est, au contraire, un désastre pour certains pays qui subissent une déforestation accélérée pour faire place à la culture d'agrocarburants à destination des pays les plus riches. Il est donc temps d'en finir avec les agrocarburants, ce qui permettra d'alléger la pression sur le prix des céréales.

Quel est l'impact de cette crise en France ? Hier encore, lors des questions au Gouvernement, on nous a expliqué que la France serait peu touchée – c'était aussi le discours tenu au moment de la crise de 1929, et on sait ce qu'il en est advenu. Nous avons droit à la version économique du nuage de Tchernobyl : la récession américaine va provoquer un ralentissement de la croissance mondiale, mais aucun mur ne protège la France de cette récession ! Moins de crédits, moins d'immobilier ont forcément des conséquences pour les investissements et les ventes de produits utilisés dans la construction, par exemple. Croyez-vous que Lafarge ou Schneider Electric seront épargnées par les conséquences de la crise américaine ?

Conséquence de cette crise, plusieurs banques françaises ont annoncé des profits en baisse et provisionné plusieurs milliards d'euros d'actifs « pourris » liés à l'immobilier. Les consommateurs subissent tous les jours les conséquences de l'inflation. Et, pendant ce temps, le budget 2008 a été conçu avec un prix du baril de pétrole à 73 dollars, alors que celui-ci tourne aujourd'hui autour de 100 dollars, avec des pointes à 109 dollars. Monsieur le ministre du budget, vous ne pourrez en tout cas pas dire que les députés verts ne vous avaient pas averti, au moment de la discussion budgétaire, que vos estimations concernant le prix du baril seraient contredites par les faits. Vous avez également fondé votre budget sur un taux d'inflation en France à 1,6 % : il est à 2,8 % aujourd'hui, certains estimant qu'il pourrait atteindre un pic de 3,3 % au cours de l'année 2008. Quant à vos prévisions de croissance pour le PIB, elles se situaient à 2,4 % ; vous nous expliquez aujourd'hui que nous serons légèrement en dessous de 2 %, tandis que le consensus des économistes se fait plutôt autour de 1,6 %.

Malgré cela, vous nous dites qu'il n'y a pas de problème, que tout va bien, que, comme le dit la ministre de l'économie, les fameux fondamentaux sont solides, qu'il n'y a pas lieu de revoir les prévisions. Tout juste concédez-vous que les 7 milliards gelés dans le budget 2008 risquent de disparaître définitivement des dépenses prévues.

Quels vont donc être les programmes supprimés, monsieur le ministre ? Le RSA semble avoir un coup dans l'aile, et le Haut commissaire n'avait plus l'air, hier, de trop croire aux promesses du Gouvernement. Quoi d'autre ? Qui va devoir se serrer la ceinture ? Que va-t-il advenir des promesses sur la hausse des retraites ? Nous en sommes aujourd'hui à 5 %, mais vous aviez promis 25 % et, l'inflation continuant, les 5 % seront très vite annulés. Que préparez-vous encore comme mauvais coup contre l'assurance maladie pour le budget 2009 ?

Il faut décidément tourner le dos à votre politique, qui ne sert qu'à aggraver les inégalités. Notre système économique, qui repose à la fois sur une croissance infinie et sur une consommation infinie, est le vrai responsable de cette crise. Or il n'est pas de croissance infinie possible sur une planète aux dimensions finies.

Trois ingrédients sont nécessaires pour que la société de consommation puisse poursuivre sa ronde diabolique : la publicité, qui crée le désir de consommer ; le crédit, qui en donne les moyens, et l'obsolescence accélérée et programmée des produits, qui en renouvelle la nécessité – toute ménagère sait qu'aujourd'hui beaucoup de produits n'ont plus la durée de vie qu'ils avaient il y a encore quinze ou vingt ans. Ces trois ressorts de la société de croissance sont de véritables « pousse-au-crime ».

Mais cette critique de notre modèle économique est encore aujourd'hui trop dérangeante. Vous refusez obstinément de l'écouter, vous vous bouchez les oreilles : vous êtes victimes d'une addiction à la croissance. Pourtant, nous n'avons pas d'autre choix que de changer en profondeur nos modes de production comme nos modes de vie et de consommation, particulièrement dans nos pays riches qui, à eux seuls, s'approprient 80 % de la consommation des ressources naturelles. Les sociétés occidentales puisent en effet dans les ressources naturelles de la planète, patrimoine commun, sans tenir compte du temps nécessaire à leur renouvellement. Ce modèle est insoutenable !

Or que nous propose-t-on ? Les uns prônent la relance de la croissance, les autres la libération de la croissance. Mais quelle croissance ? Les promesses du Grenelle vont-elles disparaître avec la disparition des sept milliards gelés ? On entend encore des déclarations d'hommes politiques qui se félicitent des fortes possibilités de croissance ouvertes par l'augmentation de la population et le décollage économique de la Chine et de l'Inde. Certains rêvent même d'un taux de croissance à deux chiffres, comme si nous partions des mêmes situations que ces deux pays, alors que les ménages français sont à près de 100 % déjà largement pourvus en gros électroménager, en télévisions, en téléphones et autres biens du même type. À moins qu'on ne songe à pousser à la consommation de produits peu utiles ou à fabriquer des produits à durée de vie encore plus faible qu'actuellement, tout cela aux dépens de la planète, qui n'en peut plus des déchets de notre société de consommation, déchets que nous répandons allégrement dans les pays du sud pour ne pas avoir à en gérer les conséquences.

Non, la solution n'est pas la libération de la croissance avec son cortège d'explosion des inégalités, de précarité et de pauvreté. Ce n'est pas non plus la relance irraisonnée de la croissance.

Il faut en finir avec l'orthodoxie du parfait libéral mais aussi avec les théories de relance par la consommation, qui ne se soucient ni du type de consommation à choisir ni de ses perspectives. Il faut avoir du courage, arrêter les bricolages. Avec la croissance, vous pensez éviter de vous confronter aux problèmes sociaux. Mais cette solution trouvera ses limites avec l'épuisement des ressources planétaires, si les dérèglements climatiques que nous constatons ne conduisent pas, avant cela, à des explosions sociales.

Les milliards envolés dans cette crise financière, les milliards perdus de la Société Générale, les millions de la caisse noire de l'UIMM, les milliards de baisses d'impôts pour des contribuables qui n'ont aucune difficulté financières, les quatre milliards de bénéfices de France Télécom réalisés par les suppressions de postes, les milliards de bénéfices des groupes de la grande distribution pendant que leurs salariés n'arrivent pas à s'en sortir avec leurs salaires de misère, tout cet argent aurait pu et pourrait permettre à toutes les familles de France de vivre dignement, sobrement, en respectant notre planète au lieu de remplir toujours les poches des quelques mêmes grippe-sous. Le problème de la France et de nombre de pays n'est pas le manque de richesses : c'est celui de la répartition de ses richesses au bénéfice de tous et de la prise en compte des limites de notre planète.

Si nous voulons que nos prélèvements sur les ressources soient soutenables, il faut utiliser de manière plus raisonnée ces ressources, stopper le gaspillage, recycler. Cela ne signifie en aucun cas tourner le dos au développement, mais orienter différemment l'activité humaine pour la rendre compatible avec ce que notre planète est en mesure de supporter. Plus tôt et plus rapidement nous nous engagerons dans cette voie, moins le virage sera difficile à prendre, plus il sera équitable et moins il sera douloureux socialement.

Je vois bien que mes propos vous laissent pantois et qu'il y a encore beaucoup à faire avant que vous acceptiez de mettre en oeuvre vos discours écologiques électoraux au lieu de revenir, une fois les élections passées à vos bonnes vieilles habitudes, en attendant la prochaine crise pour reprendre vos discours sur les gaz à effet de serre et les économies d'énergie. Nous continuons d'aller joyeusement dans le mur, mais vous ne vous en préoccupez pas, car la crise va toucher davantage les plus modestes que ceux qui ont les moyens de s'en protéger. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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