L'ensemble des sites Internet des chaînes de France Télévisions reçoit environ 40 millions de visites par mois et génère 6,2 millions de visiteurs uniques par mois en moyenne, pour 317 millions de pages vues. Ces chiffres nous placent derrière nos concurrents du secteur privé. Surtout, ils révèlent une répartition inégale de l'usage de nos sites web : nous sommes relativement peu présents dans le domaine de l'information et du sport sur Internet, mais en revanche très présents dans le secteur du divertissement. C'est cette inégalité de la répartition qu'il conviendrait de corriger.
Nous disposons depuis cet été de trois formes de télévision de rattrapage : les vidéos des programmes sur le site de chaque chaîne ; un site consacré à la télévision de rattrapage, Pluzz, lancé à l'été ; enfin les plateformes d'IPTV, où Pluzz est présent, notamment celles d'Orange et de Free, et nous sommes en discussion avec SFR et Numéricable pour élargir notre offre.
Même si nous ne disposons pas encore de moyens totalement fiables pour mesurer exactement l'audience de nos programmes de télévision de rattrapage, notre régie publicitaire estime à une vingtaine de millions le nombre de visions par mois, Pluzz comptant quatre millions de visites et six millions de pages vues avec vidéo par mois ; ces chiffres sont en progression constante puisque le site vient d'être créé.
Le budget publicitaire de nos sites web sera d'environ 7,5 millions d'euros cette année, chiffre très modeste si on le rapporte au montant des recettes publicitaires de France Télévisions et surtout si on le compare à celui d'autres acteurs du numérique tels qu'Allociné ou Le Monde.fr.
Le bilan est donc mitigé : notre présence sur l'Internet est incontestable, mais elle est trop fortement concentrée sur une offre ludique. Nos recettes publicitaires dans ce secteur sont en progression, mais elles restent largement en deçà de ce qu'elles pourraient être.
Comme vous l'avez souligné, nous faisons beaucoup avec peu de moyens. En effet, France Télévisions est devenue une machine à produire des sites Internet, avec quelque mille adresses URL et plusieurs centaines de sites, sans que l'offre soit nécessairement hiérarchisée. Cette offre numérique bénéficie d'une trentaine de millions d'euros de crédits budgétaires ; nos concurrents du secteur privé disposent de deux fois plus et même davantage, et la BBC de 317 millions d'euros, et de 31,3 millions d'euros pour le seul chantier de la télévision connectée.
En dépit de la faiblesse de nos moyens, nous avons fixé cinq priorités à notre stratégie numérique. Celle-ci vise à couvrir, pour citer le président Pfimlin, tous les usages de tous les publics. Il s'agit pour nous à la fois d'approfondir les usages des publics existants et de toucher de nouveaux publics à travers les modes de consommation qui sont les leurs. Si la première voie a été privilégiée ces dernières années, nous pensons devoir également essayer d'atteindre des populations que nous ne touchons plus ou que nous ne touchons pas encore, par le biais, notamment, de la multiplication des nouveaux supports et des nouveaux usages d'Internet qu'ils induisent : tablettes, consoles de jeux, et bientôt la télévision connectée.
Notre premier objectif est de tenir notre rang dans ce qui constitue le coeur de notre métier : l'offre d'informations et de sport, le service public devant être dans ces domaines aussi présents sur l'Internet qu'il l'est dans le broadcasting.
Notre deuxième objectif est de continuer à faire vivre nos programmes dans l'univers numérique, non seulement par la création de sites Internet mais également par la pénétration des réseaux sociaux et la diffusion de nos programmes sur de nouveaux supports. Il s'agit de s'adapter aux nouvelles pratiques sociales, notamment des plus jeunes.
Notre troisième objectif est de développer la « télévision hors de la boîte », c'est-à-dire la télévision sur tous les supports. Aujourd'hui, le service public n'est présent dans ce secteur que via une application iPhone. C'est pourquoi nous avons lancé un plan de développement de notre offre dans le mobile via iPhone, iPad et autres Androïd. Être fidèles à notre vocation d'ouverture suppose en effet que nous ne nous cantonnions pas à des technologies qui nous priveraient de toute une audience potentielle de téléspectateurs ou d'internautes.
Le quatrième pilier de notre stratégie est prospectif, puisqu'il s'agit de la prochaine révolution : celle de la télévision connectée. Pour l'heure, notre seule certitude est que les nouveaux téléviseurs seront connectés à l'Internet. Mais on ignore encore quelles seront les utilisations de la télévision connectée, quels seront les acteurs de ce nouvel univers, et quelles en seront les règles. Les usages de la télévision connectée pourraient couvrir une large palette, du schéma le plus rassurant pour les opérateurs traditionnels, celui d'une information complémentaire des programmes télévisés – et dans cette perspective nous sommes en train de développer la norme HbbTV – jusqu'à un schéma totalement ouvert, incluant des acteurs tels que Google. Quelles que soient nos préférences, nous devons nous préparer à tous ces scénarios si nous voulons défendre les valeurs et les programmes du service public. Ce chantier, avec toutes les conséquences qu'il emporte sur le plan technologique, humain et programmatique, est à mes yeux la plus grande aventure qui nous attende, aventure passionnante mais difficile.
Notre cinquième et dernier objectif est de développer une stratégie d'innovation et de prospective, non seulement dans le domaine des usages et des technologies mais également dans celui des contenus, les usages finissant toujours par rétroagir sur les programmes. Nous devons produire des programmes de webfiction et développer notre production de webdocumentaires, ceux de France Télévisions n'ayant pas, à ce jour, la visibilité de ceux d'autres chaînes. Nous devons également développer nos actions éducatives sur le web, domaine dans lequel, grâce notamment à France 5, nous sommes plutôt en avance.
Vous nous avez interrogés sur les limites techniques ou humaines qui risqueraient d'entraver notre développement numérique. Sur le plan technique, nous souffrons de la variété, de l'obsolescence ou du caractère rudimentaire des systèmes d'information - les content management systems, ou CMS - utilisés par nos services. Pour mettre fin à ce désordre, le groupe France Télévisions s'est lancé dans la construction d'un système d'information unique. Quand on sait qu'il nous a fallu 123 minutes pour mettre en ligne une vidéo des dernières intempéries produite par France 3, on voit qu'il s'agit d'un investissement nécessaire si nous voulons progresser dans ce domaine.
Sur le plan des ressources humaines, notre ambition est de former nos personnels à cette nouvelle langue qu'est le numérique. Sans attendre de disposer de personnels dont ce sera la langue maternelle, notre défi est de permettre à ceux dont la langue maternelle est le broadcasting d'acquérir la maîtrise du numérique. Si personne ne peut tout faire, tous doivent pouvoir comprendre l'une et l'autre langues.