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Intervention de Florence Chappert

Réunion du 23 novembre 2010 à 17h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Florence Chappert, responsable du projet « Genre et conditions de travail » à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, ANACT :

C'est bien notre thèse, mais ce n'est pas ce qu'on constate partout. Et cette statistique relative à la métallurgie ne porte que sur un faible effectif de femmes.

En 2008, sur 45 000 déclarations de maladies professionnelles, la moitié – 48,6 % – provenaient de femmes. En sept ans, la progression a été de 125 %, contre 62 % pour les hommes. Les secteurs concernés sont, par ordre décroissant, le BTP, le transport-énergie, la santénettoyage, le commerce non alimentaire, les servicesbanquesassurances et le commerce alimentaire. Les troubles musculo-squelettiques, en particulier, tendent à se généraliser.

Les enquêtes épidémiologiques révèlent un niveau de tension et de stress au travail bien supérieur pour les femmes – de l'ordre de 40 % à 50 % de plus. Les questions de violence au travail sont taboues et donc peu étudiées. Nous avons montré, dans une étude sur les accords relatifs à la prévention des risques psychosociaux, que ceux-ci ne prévoyaient qu'exceptionnellement des analyses sexuées, qu'ils ne prenaient pas toujours en compte la tension issue de l'articulation des temps professionnels et personnels comme facteur de risque, ou que, s'ils mentionnaient les violences racistes ou homophobes, ils omettaient systématiquement les agressions « sexistes ». D'autre part, le travail que nous avons esquissé sur une partie des 33 000 accords ou plans d'action « seniors » semble montrer qu'eux non plus ne font aucune place aux questions de genre.

On peut expliquer ce point aveugle de l'analyse par l'existence d'un risque très important de raccourci d'interprétation auquel exposerait une conception de la nature féminine, forcément fragile et soumise aux impératifs de la maternité. Reste que la recherche n'a pas assez avancé aujourd'hui pour expliquer de façon convaincante ces écarts.

Ce qui complique encore l'analyse, c'est que, d'après les études disponibles, les femmes considèrent que le travail à une influence positive sur leur santé, et qu'en cas de souffrance au travail, elles établissent moins souvent que les hommes un lien entre leurs conditions de travail et leur mauvais état de santé, qu'elles imputent plutôt à leur vie personnelle ou familiale.

J'en viens à « l'effet de genre » des conditions de travail : qu'est-ce qui, dans celles-ci, affecte différemment la santé selon qu'on est une femme ou un homme ? Nous avons pu mettre en évidence que les causes structurelles des écarts de salaire sont en fait très proches de celles qui génèrent ces écarts d'état de santé.

Il existe quatre types d'« effet de genre » des conditions de travail.

Le premier provient d'une double ségrégation, c'est-à-dire d'une ségrégation qui porte sur la distribution des emplois, mais aussi sur celle des tâches au sein d'emplois pourtant mixtes. Ainsi, dans de nombreuses entreprises du secteur agro-alimentaire, les femmes et les hommes, sous la même appellation d'emploi « ouvrier » ou « employé », ne se voient pas assigner les mêmes activités, les femmes étant moins rémunérées que les hommes pour un travail au moins aussi pénible et générant beaucoup de troubles musculo-squelettiques. Cette répartition sexuée est due à des éléments objectifs de conditions de travail, qui excluent les femmes - mais les protègent aussi de certaines contraintes - comme le port de charges lourdes. Mais elle s'explique bien sûr aussi par les stéréotypes de sexe, qui renvoient à des représentations de métier mais qui n'ont parfois rien à voir avec la difficulté réelle du travail.

Le deuxième « effet de genre » provient d'une « organisation des temps » de plus en plus en flux tendu, pénalisante pour les salariés qui cumulent d'autres activités, qu'elles soient familiales ou personnelles ou qu'elles tiennent à la nécessité d'avoir un deuxième emploi. D'après la DARES, en 2005, 60 % des horaires étaient « atypiques », et ce terme recouvre notamment le temps partiel. Le temps partiel choisi des cadres est encore souvent refusé et n'amène pas de révision de la charge de travail. En ce qui concerne le temps partiel imposé, la raison souvent invoquée par les entreprises est l'existence de pics d'activité, résultant de la concentration de la fréquentation ou de la demande sur certaines heures : ainsi dans le commerce, dans les services à la personne ou dans l'hôtellerie-restauration. Nos analyses nous conduisent à y adjoindre une deuxième raison, qui est que certains types de postes ne peuvent pas, ou ne peuvent plus, être tenus à temps plein sans dommage pour la santé, dans un contexte d'hyperproductivité. Les entreprises voient dans ces contrats à temps partiel le moyen de disposer d'employés plus « performants », mais c'est là une vue à court terme car la précarité de ces salariés, aggravée par un faible soutien du collectif de travail, amplifie l'absentéisme ou le turn-over.

Les tentatives faites, notamment dans la grande distribution, pour développer la polyactivité en vue d'offrir des emplois à temps plein, ne sont pas toujours concluantes au vu des évaluations que nous avons pu mener. Il y a à cela au moins trois causes : la polyactivité n'est pas toujours vécue ou conçue comme enrichissante sur le plan des compétences ; elle n'est pas forcément valorisée pécuniairement, alors que les salariés concernés, passant à temps plein, peuvent perdre de ce fait certaines allocations, ou avoir à assumer un surcoût de garde d'enfants ; enfin, les horaires complémentaires ne sont pas toujours bien placés et peuvent entraîner des coupures importantes en journée. Ainsi, dans le secteur des services à la personne (SAP), il est difficile de trouver des clients qui aient besoin de prestations à d'autres moments que le matin ou le soir. En revanche, on constate certaines initiatives – prises par des agences bancaires et des collectivités, sans parler de ce qui se fait dans d'autres pays européens – en vue de permettre le nettoyage des bureaux dans les horaires normaux.

Le troisième effet de genre provient de ce que les conditions de travail des femmes souffrent d'une certaine « invisibilité », qui conduit, d'une part, à ne pas rémunérer les emplois qu'elles occupent à leur juste valeur et, d'autre part, à occulter la pénibilité et les charges physiques, mentales et émotionnelles de ces emplois et, par conséquent, à faire l'impasse sur les risques d'usure au travail.

Ce qui distingue fortement le travail des femmes de celui des hommes, notamment pour les non-cadres, c'est la prédominance de la relation avec le public, le patient ou le client, impliquant un travail émotionnel soutenu pour faire face à des situations d'agressivité ou de détresse. C'est aussi l'importance du travail morcelé, répétitif, exigeant des postures contraignantes, avec peu de marge d'autonomie pour s'organiser différemment. Ainsi, les femmes sont aujourd'hui en première ligne pour l'exposition aux risques organisationnels et psychosociaux au travail.

Il est vrai que la prise en compte de leur physiologie les protège – ainsi que leurs enfants à venir – de certains risques, comme les ports de charges, l'exposition aux radiations et aux produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, ou encore le travail de nuit dont on sait aujourd'hui qu'il est générateur de cancers du sein. Toutefois, d'autres contraintes, comme certains rythmes de travail ou certaines exigences d'ancienneté ou de disponibilité, les privent de toute chance de voir leur emploi évoluer : c'est le quatrième effet de genre. La répétitivité du travail et le manque de perspectives de carrière font que les femmes, notamment au plus bas niveau de qualification, restent attachées au poste qu'elles ont occupé à leur entrée dans l'entreprise – et c'est cela même qui est générateur d'usure professionnelle. Les hommes, eux, sont davantage recherchés par les employeurs et ont plus de facilités à démissionner pour trouver ailleurs de meilleures perspectives. Si l'INSEE fait état en 2007 d'un écart d'espérance de vie en bonne santé entre les femmes et les hommes – 64,2 ans pour les premières contre 63,1 ans pour les seconds –, les spécificités sexuées du vieillissement au travail ne sont pas connues alors que la durée de la vie professionnelle s'allonge et que les femmes de cinquante à cinquante-neuf ans déclarent globalement un moins bon état de santé que les hommes – ce qui peut s'expliquer par la ménopause et par le déclenchement de plus en plus précoce de certains cancers, mais aussi par une usure prématurée due au travail.

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