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Intervention de Vincent Chriqui

Réunion du 8 décembre 2010 à 10h00
Commission des affaires sociales

Vincent Chriqui, directeur général du Centre d'analyse stratégique :

Notre rapport avait pour objet de balayer les différents aspects du vieillissement, retraites mises à part : logement, impact de la dépendance en matière d'emploi, appui aux aidants, maladies liées au très grand âge… Avant d'en examiner les grandes lignes, deux observations s'imposent. D'abord, le grand âge est une question complexe et l'on a tort de considérer les plus de 65 ans comme un ensemble homogène. On peut être parfaitement actif à 65 ans. Il est important de poser d'autres seuils, à 75 et à 85 ans par exemple, qui sont des bornes d'âges aux conséquences différentes. Ensuite, il n'est pas possible de traiter des personnes âgées sans se pencher sur l'ensemble du cycle de vie. Qu'il s'agisse de santé, d'hygiène de vie ou de formation, on fait fausse route si l'on ne s'intéresse qu'à ce qui se passe après 65 ans. Ce sont des politiques d'ensemble à mettre en oeuvre.

Premier point du rapport : la question du logement. Il est à cet égard très important de disposer de logements adaptés et accessibles. En France, on compte 450 000 chutes de personnes âgées chaque année, dont 62 % ont lieu à domicile. C'est un vrai problème de santé publique, lié en partie à l'inadaptation des logements. Ces chutes engendrent 10 000 décès par an et, surtout, sont une cause de dégradation de l'autonomie.

La France est en retard dans ce domaine : seulement 18 % des personnes âgées bénéficient d'aménagements spéciaux, contre 45 % pour les Pays-Bas et 38 % pour Israël. Certes, de nombreux pays font moins bien, mais nous avons tout de même beaucoup de retard sur les meilleurs élèves. La loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, dite loi « Handicap », a représenté un grand progrès en imposant que les nouveaux logements soient accessibles aux personnes dépendantes. Mais, parallèlement à ce dispositif, on ne s'est pas donné les moyens de faire ce qui était nécessaire en matière de réhabilitation. Or, les personnes âgées ne sont pas très mobiles. Elles veulent souvent rester dans leur logement. En outre, même avec le flux actuel de logements neufs en bon état, notre système d'attribution ne garantit pas qu'ils aillent aux personnes qui en ont le plus besoin. Cette politique renchérit le coût des nouveaux logements de 5 à 6 %, sans garantir que les personnes les plus dépendantes soient dans des logements adaptés à leurs besoins.

Ce que nous proposons, c'est d'abord de solvabiliser la demande par la mise en oeuvre d'un ensemble de mesures : prise en charge partielle par la puissance publique de l'assurance décès pour les emprunts des personnes âgées, aides de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH),… De nombreux dispositifs existent, mais ils sont trop éclatés. Il faut aussi envisager plus qu'aujourd'hui des déménagements, ce qui suppose, pour mettre les bons logements à disposition des bonnes personnes, de recenser les logements accessibles et de faire en sorte que ce soient les publics qui en ont besoin qui en bénéficient en priorité. Enfin, il faut mettre en place un guichet unique, sans doute à partir des centres locaux d'information et de coordination (CLIC), afin d'accompagner les personnes âgées dans le maquis des aides.

Deuxième point : l'emploi. À l'évidence, un nombre très important d'emplois liés à la dépendance sera créé dans les années à venir. Pour l'aide aux personnes âgées, les besoins devraient être d'un million de postes à l'horizon 2025, soit un doublement en vingt ans du nombre des intervenants à domicile et une augmentation de 25 % des postes en établissements pour personnes âgées. Une telle demande en services nouveaux, et donc d'emplois, constitue un défi qui ne sera pas facile à relever. En effet, ces métiers souffrent d'un manque d'attractivité : conditions de travail difficiles, déplacements nombreux, organisation du travail peu propice à la construction d'une carrière, absence de passerelles, rémunérations relativement faibles… Sans compter un problème d'image : parmi les emplois de services à la personne, il est souvent considéré comme plus valorisant de s'occuper de jeunes enfants que de personnes dépendantes.

Une réflexion sur ces métiers est donc nécessaire, à commencer, bien sûr, par la formation. Il faut créer de nouvelles filières d'un niveau pas forcément très élevé et, surtout, organiser des passerelles entre les différents métiers liés à la dépendance – interventions à domicile et fonctions en établissements – et même, dans l'idéal, entre les différents métiers d'accompagnement – jeune enfance, personnes handicapées et personnes dépendantes âgées. Ainsi, ces emplois pourront offrir une perspective de carrière. Enfin, il faut travailler sur leur image, ce qui passe par des campagnes de communication et une réflexion sur les conditions de travail.

Troisième point du rapport : l'aide familiale, qui est un élément très important dans l'accompagnement des personnes âgées. On estime que 3,5 millions de personnes soutiennent quotidiennement un proche malade, âgé ou handicapé. C'est considérable. Les trois quarts des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), par exemple, sont aidés par au moins un proche – en moyenne, par 1,7 personne. De ce point de vue, les différences entre pays sont très intéressantes, liées bien sûr à leurs modèles familiaux. Au nord, on aide ponctuellement le parent qui a des difficultés. Au sud, l'aide passe plus par la cohabitation entre enfants et parents. La France et l'Allemagne sont dans une situation intermédiaire, comme c'est souvent le cas. Différents éléments cependant laissent présager une pénurie d'aidants familiaux, d'abord parce que les femmes de 50 à 64 ans – ce sont souvent elles qui assument cette solidarité – mènent une carrière professionnelle et sont moins disponibles, ensuite parce que les comportements des hommes conjoints de personnes dépendantes restent incertains, même si de nombreuses études montrent qu'ils s'impliquent et, enfin, du fait de l'évolution de la société – éloignement géographique des enfants, recomposition familiale,... On peut donc avoir des doutes sur la manière dont s'exercera la solidarité familiale à l'avenir d'autant que la charge peut être assez lourde pour ceux de la génération dite pivot, c'est-à-dire celle des 45-64 ans, qui, tout en exerçant un métier, doivent s'occuper à la fois de plus jeunes – leurs enfants à un âge qui plus est difficile – et de plus âgés – des ascendants dépendants –, tout en supportant par leurs cotisations les régimes de sécurité sociale. Or, si la loi de 2005 a reconnu un statut juridique aux aidants familiaux de personnes handicapées, il y a un manque s'agissant des personnes dépendantes. La France établit, en effet, des distinctions très rigides entre personnes dépendantes ou handicapées alors que dans d'autres pays les dispositifs existants pour les uns existent également pour les autres, ce qui donne parfois des résultats plus satisfaisants.

Dans ce domaine, l'État pourrait accompagner les entreprises, afin de les inciter à à proposer des formules telles que le temps partiel ou le télétravail permettant de développer l'aide familiale. Surtout, il serait très important de mettre en place des dispositifs de soutien ponctuel, comme cela existe dans d'autres pays. En effet, les familles sont souvent disposées à assurer la solidarité, pour éviter de mettre la personne en établissement, mais ne peuvent le faire à plein-temps. Une prise en charge temporaire de quelques heures, voire d'un jour par semaine, ne constitue pas un investissement considérable tout en étant une solution plus satisfaisante que le placement en établissement. Enfin, les gérontechnologies représentent un grand espoir, car beaucoup sont de nature à faciliter la prise en charge par les familles.

Dernier point : l'emploi des seniors. La France a un modèle de fin de carrière ascendant sur le plan des rémunérations, contrairement à d'autres pays, ce qui satisfait les intéressés, mais ce qui explique aussi la forte tendance des entreprises à se séparer de leurs salariés les plus âgés. Certes, le recul progressif de l'âge de départ à la retraite va créer un « effet d'horizon », l'âge auquel les entreprises se sépareront de leurs salariés reculant également. Mais, encore faut-il accompagner cette évolution et il est donc intéressant de se pencher sur ce qui se passe à l'étranger.

Ainsi les pays nordiques ont-ils pris des mesures pour s'assurer qu'on se forme tout au long de la vie – ce qui illustre bien le fait que les politiques en faveur des seniors sont à envisager pendant toute la carrière, afin de pouvoir rester dans l'emploi assez tard : alors qu'en Finlande le taux d'emploi des 55-64 ans était le même qu'en France en 1994, il y est aujourd'hui plus élevé de quinze points ! De même, tandis que le taux de formation professionnelle pour la même tranche d'âge chute de façon drastique en France – les entreprises considèrent qu'après 55 ans la formation des seniors ne vaut pas la peine –, il est respectivement de 62 et 66 % pour la Suède et la Finlande contre 32 % chez nous. On voit l'effet d'une politique tout au long de la vie, étant entendu que les modèles anglo-saxons, que nous avons également étudiés, sont beaucoup plus individuels. Reste la possibilité d'individualiser les fins de carrière – ce qui nous renvoie aux discussions sur la retraite : le modèle suédois, par exemple, donne une très grande liberté dans la fixation de l'âge de départ en fonction de paramètres propres à chaque personne, ce qui permet d'adapter les fins de carrière.

J'en viens aux comparaisons internationales, car le défi du vieillissement et de la dépendance se pose bien entendu à l'ensemble des pays développés.

La population de plus de 75 ans devrait augmenter en Europe de 40 % d'ici à 2030, et si les variations devraient être importantes entre pays – avec une augmentation de 30 % au Royaume-Uni, de 50 % en France voire de 75 % aux Pays-Bas –, tous seront confrontés à une hausse très importante de la population dépendante. Pour y répondre, on distingue des modèles très différents, en particulier pour ce qui est de l'aide formelle, celle qui repose sur des financements publics. Dans les pays à tradition familiale, cette aide est souvent faible – 0,6 % en Espagne, par exemple. Elle peut être très importante dans les pays à tradition d'intervention publique – 2,9 % en Suède –, la France étant dans une situation intermédiaire avec 1,6 %. Mais, ce taux est appelé à progresser. Tous les pays cherchent le juste dosage entre le maintien à domicile et l'offre de places en établissement – entre le health care et le social care – et partout, la tendance est à favoriser le maintien à domicile et à avoir des établissements de plus en plus médicalisés.

Pour distinguer ces différents modèles, deux critères principaux existent : la répartition de la prise en charge entre les trois acteurs que sont la famille, l'État et le marché – en Allemagne par exemple, toutes les discussions tournent autour de cet équilibre –, et l'alternative entre maintien à domicile et résidence en institution. Les exemples dans les deux sens sont très intéressants. Ainsi, Israël a une politique de maintien à domicile forte, du fait de valeurs liées à une certaine conception de la famille. Cela va très loin, puisque les assurances santé bénéficient de primes selon le taux plus ou moins élevé de maintien à domicile de leurs assurés. À l'inverse, des pays comme la Suède ont des modèles de prise en charge en institutions médicalisées.

Sur la base de ces deux critères – l'équilibre entre les différentes prises en charge et le dosage entre domicile et institution –, on peut distinguer trois grands modèles.

D'abord, le modèle beveridgien, ou social-démocrate, qui accorde une aide importante, non contributive, et qui libère en quelque sorte la famille de ses obligations. C'est celui de la Suède, du Danemark et dans une certaine mesure du Royaume-Uni, encore qu'il y ait dans ce dernier cas une forte intervention du secteur privé.

Ensuite, un modèle de prise en charge forte par la famille, l'action publique intervenant davantage dans le domaine de l'aide sociale. C'est le cas de l'Espagne, qui a un faible nombre d'établissements. Mais, ces pays aussi évoluent vers une plus grande prise en charge publique, en particulier pour les familles les plus défavorisées.

Enfin, le modèle bismarckien, que représentent l'Allemagne et le Japon, avec des assurances fondées sur des cotisations et des prestations plus contributives, même si les aides peuvent être plafonnées et centrées sur les personnes les plus dépendantes. C'est de ce modèle que la France se rapproche le plus aujourd'hui, bien que ses critères aient tendance à évoluer, ce qui la rend difficile à classer. En fonction des choix qui seront faits sur différents points – recours sur succession, solution ô combien délicate, mais qui n'a pas été retenue pour l'APA, prise en charge par l'assurance, ciblage des aides sur les personnes les plus dépendantes –, nous nous rapprocherons peut-être de tel ou tel modèle, mais pour l'instant la réflexion reste entière s'agissant de notre modèle de dépendance. Aussi, les comparaisons internationales sont-elles importantes.

Pour prendre l'exemple de l'Allemagne, les plus de 60 ans devraient y représenter 39 % de la population à l'horizon 2050 – ce qui pour ce pays représente, encore plus que pour nous, un défi majeur du fait de son taux de fécondité extrêmement faible, soit 1,34 –, tandis que la répartition des personnes dépendantes entre domicile et institutions est d'environ deux tiers un tiers. Un système d'assurance obligatoire par répartition existe depuis 1995, avec une cotisation sociale alimentant le pilier d'assurance sociale relatif au risque dépendance. Le dispositif garantit un accès universel à l'assurance dépendance, même si l'ensemble des frais n'est pas couvert, en particulier pour l'hébergement – un marché assez dynamique se développe à cet égard dans le privé. Les prestations de prise en charge s'établissent en fonction de trois degrés de dépendance, selon un système comparable au nôtre, et peuvent être en nature ou en espèces, les personnes dépendantes préférant souvent les prestations en espèces, qui leur laissent plus de liberté, même si celles en nature sont plus élevées. Enfin, on compte deux millions de bénéficiaires de l'assurance obligatoire, dont les trois quarts reçoivent des soins à domicile.

La réforme la plus récente date de 2008. Elle comportait un relèvement des cotisations, indispensable compte tenu de l'évolution de la situation, l'accent étant surtout mis, comme dans de nombreux autres pays, sur les soins à domicile, avec des centres locaux de support – un pour 10 000 personnes, sous la responsabilité des Länder – pour accompagner les familles. Ces centres ont un fonctionnement de type case manager, ou gestionnaire de cas, c'est-à-dire qu'il y a une interface unique entre la famille et les structures qui peuvent participer à la prise en charge de la dépendance. En outre, un soutien plus important est accordé aux aidants avec l'octroi d'un congé de soutien familial de six mois. Enfin, les personnes atteintes de troubles mentaux font l'objet d'un ciblage – la maladie d'Alzheimer est une composante importante des programmes de dépendance dans tous les pays.

Hier, le ministre fédéral de la santé, M. Philipp Rösler, a annoncé un nouveau plan, qui comprend l'introduction d'un mécanisme par capitalisation pour compléter le dispositif, ainsi qu'un grand plan de formation aux métiers d'accompagnement de la dépendance, avec un rapprochement entre les formations en soins infirmiers et en soins aux personnes âgées afin de donner aux salariés des possibilités de transition professionnelle – ce qui renvoie à la nécessité que j'évoquais de prévoir des passerelles.

L'Allemagne emploie 800 000 personnes dans le secteur de l'aide aux personnes âgées. Elle prévoit, pour les mêmes raisons que nous, une pénurie de main-d'oeuvre, ce qui explique qu'une concertation ait été ouverte sur un ensemble de mesures destinées à favoriser la reconversion et l'attractivité de ces métiers, comme la création d'un salaire minimal ou une enveloppe de 90 millions d'euros pour des reconversions professionnelles.

Nous avons également examiné la situation dans d'autres pays – Japon, Canada, Suède, Espagne, États-Unis, Israël, qui est un cas assez particulier –, en pratiquant une approche transversale, en particulier sur la question des aidants familiaux, et je me tiens à votre disposition pour aborder plus en détail le sujet des comparaisons internationales.

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