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Intervention de Thierry Carcenac

Réunion du 7 décembre 2010 à 21h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2010 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Carcenac :

Monsieur le ministre, chers collègues, le débat sur la loi de finances rectificative pour 2010 nous permet d'évoquer à nouveau la situation des départements en difficulté financière, puisque le Gouvernement propose la création d'un fonds exceptionnel de soutien doté de 150 millions d'euros soit, d'une part, 75 millions prélevés sur la section IV de la CNSA et d'autre part, 75 millions provenant d'autres sources, à répartir.

Dans un contexte de crise économique où les ressources sont contraintes, les départements doivent faire face avec des moyens inadaptés au financement des transferts et extensions de compétences liés aux allocations de solidarité universelles que sont l'allocation personnalisée d'autonomie, la prestation de compensation du handicap et le revenu de solidarité active.

Votre majorité invoque les constats effectués par la commission consultative d'évaluation des charges, que je préside, pour affirmer que le Gouvernement respecte les principes de compensation des transferts de compétences selon des modalités que vous avez fait voter.

La commission consultative d'évaluation des charges ne peut donc que valider l'application de la loi votée et l'exactitude des montants payés par l'État à la date du transfert… C'est l'ambiguïté des compensations, si bien montrée par le rapport d'information sénatorial de MM. Krattinger et Duluard du 22 juin dernier au titre évocateur : « Les compensations des transferts de compétences : pistes pour des relations apaisées entre l'État et les collectivités territoriales ».

Il n'en reste pas moins que les dépenses d'action sociale ont explosé et que les ressources pour y faire face sont insuffisantes, comme M. Muet l'a rappelé. Vos choix ont déplacé la solidarité du plan national au plan local. Ainsi, le reste à charge net supporté par les conseils généraux va atteindre au titre des trois allocations que j'ai citées près de 5,4 milliards d'euros en fin d'année pour un coût total de près de 14 milliards d'euros.

Tous les observateurs objectifs reconnaissent cette situation, y compris les signataires des rapports commandés par M. le Président de la République. Il suffit de relire le rapport Carrez-Thenault pour s'en convaincre.

Les dépenses d'action sociale des départements ont plus que quadruplé de 1985 à 2008, passant de 6,3 milliards d'euros à 26,2 milliards d'euros avec une hausse moyenne de 6,3 % par an, selon la note de conjoncture la plus récente de Dexia.

Or les recettes affectées en compensation sont peu dynamiques, comme la TIPP, ou se sont brutalement effondrées en 2009 comme le produit des droits de mutation à titre onéreux, ce qui a fragilisé les départements les plus pauvres. Ceux-ci n'ont plus que le recours à la fiscalité locale pour assumer les dépenses obligatoires. Mais la réforme de cette dernière va limiter l'autonomie fiscale des départements, auxquels ne reste que la fixation des taux de la taxe sur le foncier bâti. Et les départements les plus fragiles ont déjà un taux d'effort fiscal supérieur à la moyenne nationale et, pour certains, égal ou supérieur au plafond légal de 2,5 fois le taux moyen national. Dès lors, ils n'ont plus de marge de manoeuvre.

Par ailleurs, la participation de la CNSA diminue régulièrement. En 2010, elle ne couvre plus qu'à peine 29 % des dépenses de l'APA et nous nous orientons vers un taux de couverture inférieur pour 2011. Depuis 2008, de même, les dépenses pour la PCH augmentent plus rapidement que la compensation CNSA.

L'écart n'a fait que se creuser entre des dépenses dynamiques et des recettes qui stagnent et la conformité à la Constitution et à son article 72.2 résultant de la révision constitutionnelle de 2003 devient très aléatoire.

En effet, le Conseil constitutionnel a précisé la portée de cet article. Selon lui, même si l'équivalence entre les ressources accordées par l'État et les charges transférées devrait effectivement s'apprécier à la date du transfert, c'est sous réserve que ne soit pas dénaturé le principe de la libre administration des collectivités territoriales

Le principe de la compensation intégrale des charges transférées, tel qu'il est affirmé par l'article L. 1614-1-1 du code général des collectivités territoriales, n'est pas respecté puisque les ressources accordées aux départements sont insuffisantes pour couvrir les dépenses par un ensemble de dispositifs qui ne leur assurent plus les droits que leur reconnaît la Constitution.

C'est ce qui fait dire à nos collègues présidents de Conseil général que l'État à contracté une dette à leur égard.

Vous comprenez dès lors que nous demandons la compensation intégrale, certes contrôlée, mais durable des charges transférées, mais non la renationalisation des compétences transférées, car la gestion décentralisée a fait la preuve de son efficacité.

Le fonds départemental de mobilisation pour l'insertion maintenu pour 2011 à 500 millions d'euros et le fonds exceptionnel de 150 millions d'euros que vous proposez de créer ne sont pas à la hauteur des enjeux, même s'ils constituent une amorce de solution. Même le rapporteur général dans ses commentaires sur la loi de finances rectificative reconnaît, à la page 110 de son rapport, que « les dispositions prises aujourd'hui ne sont clairement pas à l'échelle du problème ».

Dès lors, monsieur le Ministre, quelles réponses concrètes entendez-vous apporter aux départements en difficulté financière ?

La lettre de M. le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités locales du 15 septembre 2010 proposait que « si la collectivité et l'État en sont d'accord, un contrat de stabilisation sera passé qui comportera des mesures de soutien sous la forme d'avances remboursables ». Cette proposition n'est plus d'actualité et elle était de toute façon inacceptable. Dès lors j'ai trois questions à vous poser.

D'abord, quels sont les critères transparents que vous entendez retenir pour qualifier un département en difficulté, sans continuer à stigmatiser les collectivités territoriales qui seraient « dépensières » ?

Ensuite, comment seront répartis, et par qui, les 75 millions d'euros prévus dans la seconde part, provenant de différentes sources ? Seuls les 75 millions d'euros de la première part font l'objet de critères de répartition à l'article 34 de la LFR pour 2010.

Enfin, quand ces sommes seront-elles réparties ? De nombreux départements votent de plus en plus tardivement leur budget afin d'être fixés sur les dotations dans le cadre de la DGF réparties par le comité des finances locales en février, auxquelles s'ajoutent les dotations de péréquation horizontale décidées en LFI.

Il apparaîtrait donc opportun que la commission consultative d'évaluation des charges soit un lieu d'échanges et d'examen des choix gouvernementaux. En effet, cette commission, formation restreinte du comité des finances locales, est associée à la définition des modalités d'évaluation des accroissements et diminutions de charges résultant des transferts de compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Elle peut également être consultée par le ministre de l'Intérieur et le ministre du budget sur les réclamations de ces collectivités.

Vous disposez par ailleurs, grâce à l'appui de vos services et de la direction générale des finances publiques, des éléments budgétaires suffisants pour apprécier la situation des départements en temps réel sans qu'il soit nécessaire de demander que nous transmettions à nouveau à tous les services de l'État les pièces comptables dont vous disposez déjà.

Tous les élus aspirent à des relations pacifiées entre l'État et les collectivités territoriales. Encore faut-il que l'État fasse le premier pas et ne jette pas l'opprobre sur les élus et leurs dépenses sociales, alors que pour les départements, ce sont des dépenses obligatoires. Leur situation diffère de celle des communes en difficulté qui reçoivent des subventions exceptionnelles d'équilibre, et pour lesquelles il existe des dispositions pour un retour à l'équilibre obligatoire des budgets : le contrôle de la chambre régionale des comptes et du préfet permettent d'assurer un suivi de ces subventions exceptionnelles sans que de nouvelles mesures soient mises en oeuvre.

Enfin, la charte européenne de l'autonomie locale du 15 octobre 1985, approuvée par la France, prévoit notamment en son article 9.2 que « les ressources financières des collectivités locales doivent être proportionnées aux compétences prévues par la Constitution ou la loi ». Nous ne souhaitons pas en arriver à des contentieux. Nous essaierons donc de voir dans quelle mesure vous nous apporterez des réponses pour essayer de résoudre la situation ponctuelle des départements en difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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