…et non par des experts, si compétents soient-ils, fourbissant des textes pervers dans des soupentes de Bercy, ou par quelques hauts fonctionnaires idéologiquement inspirés et formatés, qui se retrouvent avec les représentants des lobbies puissants ou du MEDEF ?
En résumé, après avoir attendu pendant près de quatre ans, le Gouvernement demande au Parlement de légiférer dans l'urgence. Cette manière de fonctionner a au moins le mérite d'expliquer pourquoi les annonces tonitruantes du Président de la République n'ont jamais été suivies d'effet : cela fait moins de quatre ans qu'il occupe le trône républicain.
La moralisation du capitalisme sera donc encore au programme de la prochaine élection présidentielle.
Plus sérieusement, ce gouvernement n'a jamais eu l'intention de moraliser le capitalisme, ni à Toulon au mois de septembre 2008 lors de ce meeting de l'UMP où s'exprima le Président de la République, ni aujourd'hui dans les instances du G20, comme il n'a jamais souhaité faire preuve de davantage de respect envers le Parlement.
Car l'urgence, c'est la méthode de ce Gouvernement : légiférer dans l'urgence, mes chers collègues de la majorité, c'est légiférer sans résistance. Vous le savez bien, d'ailleurs : quand vous ne pouvez pas aller aussi vite que vous le voudriez, cela donne un mouvement social comme celui que l'on a connu pour les retraites. Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi vous voulez vous mettre à l'abri des émotions du peuple français ! Je le conçois bien, mais vous avouerez avec moi que ce n'est ni très républicain, et ni très démocratique.
L'ennui, c'est que quand il y a vraiment une urgence, vous ne la voyez pas. Je parle évidemment de la troisième vague de la crise financière qui s'abat actuellement sur l'Europe. Cette urgence-là, vous ne l'avez pas vue ; vous ne pouvez pas la voir. Pourtant, dans leur manifeste, ceux qui s'intitulent les « économistes atterrés » décrivent très bien cette situation : « La crise a mis à nu le caractère dogmatique et infondé de la plupart des prétendues évidences répétées à satiété par les décideurs et leurs conseillers. Qu'il s'agisse de l'efficience et de la rationalité des marchés financiers, de la nécessité de couper dans les dépenses pour réduire la dette publique ou de renforcer le “pacte de stabilité”, il faut interroger ces fausses évidences et montrer la pluralité des choix possibles en matière de politique économique. D'autres choix sont possibles et souhaitables, à condition d'abord de desserrer l'étau imposé par l'industrie financière aux politiques publiques. »
Quand cesserez-vous enfin de faire confiance aux marchés financiers ? L'investisseur, qui vous est si cher, monsieur le ministre, ne réfléchit qu'à court terme, vous le savez bien. Or, à court terme, il est évident qu'il profite des divers plans d'aide puisque ceux-ci lui permettent de prêter de l'argent à des taux d'intérêt exorbitants. Mieux, ces prêts, il peut les accorder sans prendre le moindre risque puisqu'ils sont in fine garantis par les États. À moyen terme en revanche, plus personne ne pourra rembourser ces dettes artificielles et tout le monde sombrera – des écrits de Warren Buffet par exemple, qui ont été cités à cette tribune, le confirment. Et nous pouvons légitimement nous demander : après la Grèce, après l'Irlande, à qui le tour ? Encore qu'il ne soit pas besoin d'avoir beaucoup d'imagination pour savoir que les prochains pays s'appellent Portugal, Espagne, Italie, et, pourquoi pas, la France, comme l'a fait remarquer tout à l'heure M. Cahuzac.
Les dirigeants actuels de l'Union sont dépassés par la gravité de la situation. Qui peut encore croire leurs propos rassurants ? Devant l'ampleur des dégâts provoqués, ces dirigeants sentent que les risques vont déferler sur les privilèges de la classe dominante européenne.
Certes, monsieur le ministre, vous faites tout pour trouver grâce aux yeux de vos dieux, en sacrifiant sur leur autel les droits sociaux les plus chèrement acquis : les retraites, l'accès aux soins, l'assurance chômage, l'éducation ou encore la progression des salaires.
En revanche, lorsqu'il s'agit de demander une contrepartie de bon sens à l'Irlande, comme l'harmonisation progressive de son impôt sur les sociétés afin de mettre fin au dumping fiscal, les gouvernements européens et la banque mondiale manquent d'arguments. D'ailleurs, lors de son audition devant la commission d'enquête sur la spéculation la semaine dernière, Mme Lagarde, tirant certainement les enseignements de l'expérience qu'elle vit dans ses responsabilités ministérielles, a reconnu que la politique de dumping fiscal pour les sociétés telle qu'elle est pratiquée en Irlande posait problème. Elle ajoutait même que Allemands et Français considéraient qu'on ne pouvait pas aider les Irlandais à sortir de la situation dans laquelle ils se trouvent sans formuler des conditions quant à une nouvelle politique fiscale. Ainsi donc, nous aurions pu croire que le Gouvernement avait évolué dans ses positions. Mais, patatras, le Premier ministre se félicite de la position du Président de la République française, lequel ne veut pas remettre en cause la politique irlandaise de dumping fiscal qui, pourtant, nuit à tous les États : à l'Irlande elle-même, mais également à des États comme le nôtre qui ont été victimes de délocalisations à cause du miroir aux alouettes fiscal de la République irlandaise.
Afin de libérer le pouvoir politique de la tutelle des marchés financiers, il faut enfin envoyer un signal fort aux spéculateurs. Nous avons fait des propositions dès septembre 2008 qui n'ont pas été entendues. Pourtant, depuis, la réalité nous a donné raison, hélas.
Si l'on veut vraiment protéger la monnaie européenne contre les attaques spéculatives, il faut garantir un taux d'intérêt similaire, voire identique, à tous les États de la zone. Ce taux devrait évidemment être comparable à celui dont bénéficie l'Allemagne.
À l'échelle mondiale, des réponses volontaristes doivent être apportées à la domination désastreuse de la finance mondiale. Cela passe par une nouvelle répartition des richesses produites en réduisant la rémunération du capital et en augmentant la rémunération du travail, condition absolue pour sortir de la crise. Mais de cela, il n'est nullement question pour l'instant.
Pourtant, monsieur le ministre, il existe des tableaux très parlants. J'ai ici un tableau représentant les profits réalisés par le groupe Sanofi.