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Intervention de Philippe Menasché

Réunion du 1er décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Philippe Menasché, professeur de médecine, directeur de recherche à l'INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire :

Vous le savez tous, notre domaine de travail est extrêmement évolutif. Les recherches, tant fondamentales que cliniques, ont évolué de manière parallèle sur les cellules souches adultes et les cellules souches embryonnaires. Il serait absurde de les opposer.

Les chercheurs en sont tous d'accord, la recherche sur les iPS ne peut en aucune façon dispenser de celle sur les cellules souches embryonnaires. Il n'est pas une seule équipe compétente sur les premières qui ne le soit aussi sur les secondes.

Permettez-moi de vous donner le point de vue du chirurgien cardiaque que je suis, c'est-à-dire d'abord un clinicien, un soignant, pour qui l'enjeu n'est pas la recherche sur les cellules mais bien le traitement des malades. Il faut développer parallèlement les recherches sur les cellules souches adultes et sur les cellules souches embryonnaires. En effet, si aujourd'hui, certaines maladies peuvent être sinon guéries, du moins contrôlées grâce à des greffes de cellules souches adultes, tel n'est pas le cas pour d'autres, comme nous en avons fait l'expérience avec l'insuffisance cardiaque. L'échec du recours aux cellules adultes nous a amenés à utiliser les cellules embryonnaires.

Deux essais cliniques avec des cellules souches embryonnaires ont été autorisés aux États-Unis. Le premier vise à réparer des traumatismes récents de la moelle épinière. La base du traitement est constituée de cellules souches embryonnaires « pré-orientées » pour devenir des cellules médullaires. Un premier patient a été traité il y a à peu près un mois.

Le deuxième essai, qui vient tout juste d'être autorisé, aura pour cible une forme particulière de dégénérescence maculaire frappant les sujets jeunes. Une extension d'indication à la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) va être sollicitée auprès de la Food and Drug Administration (FDA) dans les semaines qui viennent. Vous imaginez aisément le nombre de malades potentiellement concernés dans cette nouvelle indication.

Lors des premières auditions de votre mission d'information, l'utilisation clinique des cellules souches embryonnaires était encore une perspective lointaine. C'est dire la vitesse de l'évolution ! La FDA a donné très rapidement son accord à l'essai ophtalmologique, un peu moins vite à celui qui vise la paraplégie. Les essais cliniques sont devenus réalité.

La loi de bioéthique de 2004 ne nous a pas empêchés de travailler. Son économie s'explique facilement par le contexte de l'époque. Les lourdeurs bureaucratiques qu'elle entraîne ne sont finalement pas pires qu'ailleurs. Elle ne nous a pas pénalisés. En 2000, mon équipe procédait aux premières greffes de cellules souches adultes de muscle dans le coeur humain. Au vu des limites de cette technique, nous avons obliqué vers les cellules souches embryonnaires et la loi de 2004 n'a pas entravé nos travaux.

Je n'ai rien à redire au rôle joué par l'Agence de la biomédecine. Chargée d'appliquer une loi qui n'était pas simple à décoder, elle en a respecté les termes, sans multiplier les freins. À mon sens, elle a trouvé un compromis acceptable. Dans le respect des exigences législatives et réglementaires, elle a permis aux équipes de chercheurs et de cliniciens de travailler.

Je suis en revanche très déçu – je ne suis pas le seul – que notre pays persiste dans la voie d'un régime dérogatoire. Si cela pouvait se justifier en 2004, ce n'est plus possible aujourd'hui. Non que cela entrave nos recherches, nous les avons conduites sous ce régime et pourrions donc continuer de le faire. En revanche, ce dispositif, que nul ne comprend hors de l'Hexagone, nuit gravement à l'image de notre pays et le rend moins attractif auprès des industriels, qui commencent maintenant à réfléchir en termes d'indications élargies.

Dans les réunions internationales, il nous est impossible de faire comprendre à nos collègues étrangers que la loi française autorise la recherche sur les cellules souches embryonnaires alors que littéralement, elle les interdit ! L'approche de la France est désormais singulière en Europe. La Belgique, la Grande-Bretagne, la Suisse se sont dotées d'une législation claire.

Ambiguë, apparaissant comme brouillée, la loi de 2004 dissuade nos chercheurs expatriés de revenir et les industriels de développer leurs activités en France. Si, à titre personnel, cette situation ne m'empêchera pas de continuer à travailler – nous sommes mêmes en train de préparer un essai clinique –, cette ambiguïté va faire prendre à notre pays un retard considérable qu'on ne rattrapera pas. On s'exclut de facto de la compétition internationale. Le choix qui sera fait sur ce point est bien entendu de nature éminemment politique.

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