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Intervention de Axel Kahn

Réunion du 1er décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Axel Kahn, généticien, médecin, président de l'Université Paris V René-Descartes :

Vous ne m'avez pas compris, monsieur Mariton : j'ai dit l'inverse. Je refuse absolument qu'un texte fixe pour norme que les parents recourant à un sperme de donneur soient obligés d'indiquer à l'enfant les conditions de sa conception. J'ai autant de compréhension pour des parents qui ne disent rien que pour des parents qui le disent. Du reste, personnellement, je n'aurais rien dit et je me sens plus proche de parents qui se taisent. Je le répète : toute injonction à dire la vérité des origines me semble absurde. Quant aux parents qui disent cette vérité, ils sont prêts à en assumer les conséquences.

Pour résumer mon point de vue, je n'ai aucune appétence à la levée de l'anonymat, mais des enfants de plus en plus nombreux savent qu'ils sont nés d'un sperme de donneur, car une injonction de la société, consacrée notamment par la Charte des droits de l'enfant, pousse en ce sens et beaucoup de parents considèrent qu'il est de leur devoir d'indiquer à l'enfant la vérité de ses origines. Si regrettable que soit cette injonction, il est légitime de se préparer à répondre aux interrogations de ces enfants.

J'en viens au sang de cordon. Son principal intérêt aujourd'hui, c'est la possibilité de l'utiliser à des fins de greffes. En effet, les cellules souches hématopoïétiques de cordon présentent un intérêt très supérieur aux cellules adultes de même type pour le traitement des leucémies et de nombreuses autres maladies hématologiques. J'appelle donc de tous mes voeux une organisation publique qui permettrait, grâce à une collecte généralisée du sang placentaire, la constitution de banques publiques de sang de cordon.

Faut-il en revanche autoriser la création de banques privées faisant miroiter aux parents de nouveau-nés que conserver, moyennant rémunération, le sang de cordon de leur enfant permettrait à coup sûr de le guérir en cas de maladie ultérieure, notamment neuro-dégénérative ? On manque d'arguments pour s'y opposer sur le plan légal. Il reste qu'on pourrait appliquer la législation réprimant la publicité mensongère. En effet, aucune expérimentation n'a démontré ni même fait apparaître comme très probable que le sang de cordon puisse servir dans l'avenir à guérir ces maladies. Il faudrait, à tout le moins, empêcher tout commerce sur la base de telles allégations mensongères.

La question de savoir si dans le cas où la médecine régénératrice tiendrait toutes ses promesses, le besoin de recourir à du matériel embryonnaire pour traiter les très nombreuses maladies neuro-dégénératives ne conduirait pas fatalement à accorder une moindre valeur à l'embryon ne se pose pas parce que l'existence de centaines de milliers d'embryons congelés qui, à l'évidence, ne deviendront pas des enfants rendrait inutile la création spécifique d'embryons dans un objectif de soins. Sans compter que la méthode la plus prometteuse pour les besoins de la médecine régénératrice, à horizon plus lointain, est celle des cellules pluripotentes induites, les fameuses iPS. Aucune recherche sur l'embryon n'est donc nécessaire dans cette perspective.

M. Mariton, tout en reconnaissant qu'un embryon destiné à ne jamais devenir un bébé pourrait en définitive faire l'objet d'une plus grande considération en étant utilisé dans un protocole expérimental à visée humaniste qu'en étant abandonné au triste sort de ne jamais se développer, demande à quel moment on peut être absolument certain que la décision à son sujet est irrévocable et si ne demeure pas toujours une incertitude. En 1994, il avait été suggéré que si, après cinq ans de conservation, les couples ne se manifestaient pas, les embryons soient détruits. Les difficultés, notamment philosophiques, se sont révélées telles que cette piste a été abandonnée – en tout cas, cela n'a pas été inscrit dans la loi.

C'est au législateur qu'il revient de décider si les recherches sur l'embryon peuvent ou non être autorisées. Si les débats arrivaient jusque là, la loi devrait fixer plusieurs conditions préalables pour qu'un protocole de recherche sur l'embryon puisse être soumis à l'Agence de la biomédecine. Il faudrait que les embryons aient été créés dans le cadre d'une AMP, ne fassent plus l'objet d'un projet parental, que leurs géniteurs n'aient pas souhaité les donner à un autre couple infertile et les aient abandonnés, enfin que ces embryons aient été conservés depuis plus de cinq ans – il faut savoir que de toute façon, après une certaine durée de conservation, le développement embryonnaire ne peut plus reprendre. Si l'ensemble de ces critères était respecté, presque toutes vos objections, monsieur Mariton, seraient levées.

Je voudrais maintenant dire un mot de l'homoparentalité – sans imaginer que la future loi aille jusqu'à en traiter – et de la gestation pour autrui.

Monsieur Mariton, vous avez tout à fait raison de rappeler le caractère anthropologique du couple hétérosexuel et la complémentarité du masculin et du féminin. La psychanalyse est très attachée à cette dernière notion sur laquelle elle s'est même fondée.

La création de la famille et du mariage a eu pour origine moins la volonté de marquer la complémentarité psychologique du masculin et du féminin que celle de créer un cadre légal stable pour asseoir une descendance. Pour autant, il ne vous a pas échappé que voilà un certain temps qu'on accepte que des couples se marient dont les membres ne sont plus en âge de procréer, sans que cela amène à considérer que ces mariages remettent en question les fondements de la famille. On semble s'être fait une raison. Autrement dit, voilà des décennies que le mariage et la fondation d'une famille ont été déconnectés, sans que personne n'y trouve à redire.

Si je trouve personnellement étrange que des couples homosexuels souhaitent se marier, je suis à court d'arguments moraux et rationnels pour disqualifier leur demande.

L'homoparentalité pose des problèmes beaucoup plus difficiles. J'ai longtemps hésité sur cette question, ce qui m'a valu de vives attaques de la part des communautés homosexuelles qui me jugeaient conservateur, à tout le moins frileux. Il ne s'agit pas de mettre en question la légitimité de l'amour des deux membres d'un couple homosexuel ni la profondeur de leur désir éventuel d'avoir un enfant. Il n'empêche que la réalisation de ce désir suppose l'intervention d'un tiers, biologiste ou législateur, ce qui pose la question de l'intérêt de l'enfant.

J'ai longtemps hésité sur le sujet compte tenu de la façon dont était considérée l'homosexualité. L'enfant de deux papas ou de deux mamans ne risquait-il pas d'être stigmatisé, à l'école notamment ? Son équilibre ne risquait-il pas d'être perturbé ? Aujourd'hui, j'observe – et je m'en réjouis – que la reconnaissance de l'autonomie du désir des adultes consentants sur leur type de relation conduit à ce que les couples homosexuels, devenus en quelque sorte banals, soient de mieux en mieux acceptés, y compris dans les campagnes.

D'autre part, j'ai, comme vous tous sans doute, rencontré beaucoup d'enfants de couples hétérosexuels ou de familles monoparentales vivant dans des conditions épouvantables. Il m'est, dès lors, devenu impossible de soutenir qu'il serait plus difficile pour un enfant d'être heureux et de s'épanouir dans un couple homosexuel.

Toute la question est celle du moyen pour ces couples d'avoir un enfant. L'adoption ou, pour les femmes, l'assistance médicale à la procréation ne me semblent pas poser de difficulté.

Il n'en va pas de même de la gestation pour autrui. Monsieur Mamère, je ne suis pas d'accord avec vous. Il ne s'impose pas d'évidence qu'il faille légiférer pour permettre à quelques femmes, particulièrement généreuses, de porter un enfant pour une autre qui, elle, ne le peut pas. La réalité n'est pas celle-là.

Tout d'abord, 95 % des recours à une mère porteuse de par le monde reposent sur un contrat et font l'objet d'une transaction commerciale. En Ukraine notamment, il existe des cliniques spécialisées dans la fourniture de mères porteuses pour les Français. Il en existe aussi en Inde, pour des demandeurs d'autres pays.

Ensuite, il me semble impossible qu'un contrat prévoie que s'éprendre de l'enfant qu'elle porte place une mère porteuse en tort et fasse d'elle une délinquante si elle refuse de le donner aux parents d'intention après l'avoir mis au monde. Plusieurs femmes, notamment l'une de mes filles, m'ont expliqué qu'il arrive qu'une femme enceinte tombe littéralement amoureuse de l'enfant qui croît en elle. C'est d'ailleurs sans doute cette expérience singulière de la grossesse qui motive des femmes ménopausées à demander une AMP car ces femmes sont, de fait, des mères porteuses. Comment notre législation pourrait-elle à la fois ne voir aucune difficulté à ce qu'une femme ménopausée soit la mère de l'enfant qu'elle porte et autoriser des contrats privant la mère porteuse « commerciale » de la possibilité de reconnaître et garder son enfant ? Comment la qualité des sentiments d'une femme pour l'enfant qu'elle porte pourrait-elle être disqualifiée par un contrat ? Tout cela est inconcevable. Pour moi, il faut en rester au principe, hérité du droit romain, selon laquelle la mère d'un enfant est la femme qui en accouche. On peut néanmoins concevoir que, comme cela arrive parfois, un enfant soit abandonné à la naissance et puisse être aussitôt adopté par le couple géniteur.

Autant il ne me paraît pas illégitime de rechercher un cadre juridique satisfaisant pour les 5 % de mères porteuses par authentique altruisme, autant, qu'il puisse être enjoint par contrat à des femmes de n'être que des matrices le temps d'une grossesse et de renoncer, après leur accouchement, à tout contact avec l'enfant qu'elles ont porté, est absolument incompatible avec l'idée que vous et moi avons, je l'espère, de la femme.

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