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Intervention de Axel Kahn

Réunion du 1er décembre 2010 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Axel Kahn, généticien, médecin, président de l'Université Paris V René-Descartes :

La découverte des cellules adultes reprogrammées, dites iPS, mériterait assurément un Prix Nobel tant elle révolutionne l'embryologie, à la fois sur le plan conceptuel et sur le plan pratique. Néanmoins, s'il est désormais relativement facile de restituer une pluripotence à des cellules différenciées, comme celles de la peau, les cellules iPS ainsi obtenues par l'intégration de trois ou quatre gènes – lesquels peuvent être aujourd'hui remplacés par des rétrovirus codant pour leurs protéines – présentent beaucoup des caractéristiques des cellules souches embryonnaires mais ne leur sont pas totalement identiques. Peut-être permettront-elles, à l'avenir, de réaliser l'essentiel de ce qu'il est possible de faire avec ces dernières et tiendront-elles les promesses de ce qu'il était à la fois téméraire et mensonger d'attendre du clonage dit thérapeutique qui était totalement irréaliste et dont de multiples obstacles, éthiques et techniques d'ailleurs, ont heureusement empêché le développement. La méthode, qui n'est pas encore maîtrisée mais que l'on envisage de développer avec les cellules iPS, consiste à prélever, par exemple, des cellules de peau sur un patient, à leur restituer une pluripotence puis à les faire se spécialiser de nouveau en cellules du tissu ou de l'organe dont on souhaite pallier la déficience. Issues d'une cellule du patient lui-même, possédant donc le même génome et présentant les mêmes caractéristiques d'histocompatibilité, elles seront parfaitement tolérées sur le plan immunologique.

J'ajoute que les recherches sur des processus pathologiques, mais aussi sur les processus physiologiques normaux, se déroulant aux tout premiers stades du développement embryonnaire exigent de travailler sur les véritables cellules concernées. Un ersatz ne remplace jamais exactement ce dont il est l'ersatz ! En d'autres termes, si les cellules iPS disposent d'un potentiel thérapeutique considérable et si ce qu'on attendait du clonage thérapeutique pourra sans doute être obtenu par leur biais, elles ne dispensent pas d'utiliser les cellules souches embryonnaires et même, pour certaines recherches spécifiques, les embryons eux-mêmes.

Je le redis, une cellule souche embryonnaire n'est pas un embryon. Sa particularité est que son prélèvement sur l'embryon entraîne nécessairement la destruction de ce dernier, lequel est défini, chez l'homme, comme un stade du développement qui, dans des conditions favorables, peut aboutir à la naissance d'un enfant. Je veux pour preuve de cette différence essentielle que l'insertion d'une cellule souche embryonnaire dans un utérus féminin y conduira au développement d'une tumeur maligne, jamais à la naissance d'un enfant.

Je parlerai néanmoins indistinctement de la recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires. La position de votre mission d'information me semble de bon sens : un chercheur ne se soucie guère de la distinction sémantique entre finalités « médicales » ou « thérapeutiques », qui recoupe d'ailleurs celle entre recherche appliquée et recherche-développement. La découverte de thérapeutiques nouvelles – au-delà de simple amélioration de celles qui existent déjà – est subordonnée à l'existence en amont d'une recherche biomédicale. Si le législateur se situe bien dans cette perspective, le terme le plus pertinent est bien « médical ». « Thérapeutique » est trop restrictif.

Votre troisième question, monsieur le président, est la plus importante et je l'aborderai d'un point de vue juridique et philosophique. Depuis 1992, alors que j'étais commissaire du Gouvernement lors de la discussion de la première loi de bioéthique, j'ai eu maintes fois l'occasion de m'exprimer devant la représentation nationale sur ces sujets. Or, dès cette époque, les arguments avancés par les personnes croyantes pour interdire toute recherche sur l'embryon ne me semblaient pas, y compris de leur propre point de vue, fondés en raison. Ainsi, les catholiques considèrent-ils que la nature de l'embryon étant difficile à définir, le doute sur son statut doit lui bénéficier et qu'il est plus prudent de le tenir d'emblée pour une personne. Les orthodoxes, à la suite des Pères cappadociens tels Grégoire de Nysse, Basile de Césarée ou Maxime le Confesseur, vont plus loin. Ils pensent que la personne existe dès ce que nous savons être aujourd'hui la fécondation de l'ovocyte par le spermatozoïde, voyant même dans l'orgasme masculin la manifestation de l'insufflation de son âme à l'embryon. Or, compte tenu de ce qu'est naturellement la fécondité humaine, deux embryons sur trois n'atteindront jamais le stade de nouveau né - il est d'ailleurs notable que la proportion ne soit pas très différente dans l'étreinte amoureuse et dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation. Dès lors, comment considérer l'embryon ? À titre personnel, j'estime qu'en tant que manifestation de l'éventuel commencement de cet admirable processus qui aboutit à la naissance d'un être humain, il ne doit jamais être considéré comme un matériau expérimental banal. Il me paraît donc justifié que le législateur transpose dans les textes la considération que nous éprouvons pour ce début d'une vie humaine – je ne dis pas d'une personne humaine. Quelles que soient les perspectives scientifiques, philosophiques ou religieuses, nous sommes incontestablement en présence d'un phénomène singulier.

Vous avez donc raison, mesdames et messieurs les députés, de souhaiter maintenir dans la loi une disposition interdisant la création d'embryons humains dans un autre dessein – notamment à des fins expérimentales – que de faire advenir, le cas échéant, une nouvelle vie. Encore qu'il y ait toujours des cas particuliers dont nous pourrons parler. Pour autant, sachant que, dans leur grande majorité, ces potentialités de vie humaine ne parviendront jamais au stade de nouveau-né et que ces embryons seront détruits, il faut faire preuve d'une imagination extraordinaire pour considérer que leur conservation indéfinie – laquelle est d'ailleurs matériellement impossible - dans de l'azote liquide serait plus respectueuse de leur singularité que leur utilisation dans le cadre d'une recherche à visée médicale, dans le cadre de protocoles strictement encadrés par une instance idoine.

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