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Intervention de Christian Noyer

Réunion du 24 novembre 2010 à 17h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France :

Je m'efforcerai de répondre aussi précisément que possible à vos questions, tout en rappelant qu'un banquier central est tenu à toujours mesurer son expression.

Sur la spéculation, ma vision ne s'écarte pas de celle qui vous a été exposée jusqu'à présent. La prise de positions ouvertes est nécessaire à la liquidité des marchés. En revanche, nous luttons contre les prises de positions directionnelles importantes, accompagnées en général de rumeurs propagées pour faire bouger les marchés dans le sens de l'intérêt de ceux qui détiennent lesdites positions. Ce type de comportement déstabilise les marchés, d'autant que la sophistication des techniques financières, le caractère mondial de ces marchés et la place prépondérante des activités non régulées ont rendu la prévention, la détection et la sanction plus difficiles. Cela ne signifie pas pour autant que la spéculation ait joué un rôle décisif dans les crises récentes.

Dans la crise des dettes souveraines grecque et irlandaise par exemple, des mécanismes de marché tout à fait normaux expliquent des accélérations brutales, au moment de l'annonce de tel ou tel événement. Les marchés se sont inquiétés à propos de la Grèce après la révélation que les chiffres communiqués n'étaient pas les bons. Immédiatement, les investisseurs, qui n'étaient pas nécessairement des spéculateurs, ont allégé leurs positions. De la même façon, le dernier épisode irlandais a débuté quand il s'est avéré que les difficultés du secteur bancaire de ce pays étaient plus grandes que prévu. Mais il n'est pas exclu que les mouvements aient été amplifiés par des opérations spéculatives utilisant des instruments sophistiqués comme les CDS, ou des ventes à découvert.

L'interdiction est-elle une solution ? Éventuellement, lorsque des opérations sont extraordinairement déstabilisantes et dangereuses, telles les ventes à découvert à nu pour lesquelles il n'existe pas de mécanisme de rappel. En période normale – je ne parle pas des périodes exceptionnelles où des restrictions temporaires sont envisageables –, les ventes à découvert sont utiles à la formation des prix et à la fluidité du marché. En revanche, lorsqu'elles se pratiquent à nu, du fait qu'elles ne connaissent aucune limite puisqu'il n'y a pas besoin d'emprunter le support de l'opération, elles autorisent des prises de position directionnelles très déstabilisantes pour les marchés sans améliorer la liquidité.

Les CDS sont des instruments de couverture. S'ils n'existaient pas, les mouvements se reporteraient sur le marché au comptant, dont les fluctuations s'amplifieraient encore. D'où leur utilité. Le plus gênant aujourd'hui, c'est de n'avoir aucune idée précise de la taille du marché, ni des prises de position nettes. L'un des problèmes rencontrés au moment de la chute de Lehman Brothers a été précisément l'accumulation de positions qu'on ne savait pas comment déboucler. C'est pourquoi l'une des leçons fondamentales de la crise, et partant l'une des réformes essentielles que nous avons entreprises au niveau mondial, c'est de pousser les opérateurs des marchés OTC, premièrement, à inscrire leurs opérations sur des registres pour permettre aux régulateurs, dans le cadre d'une bonne coopération mondiale, de suivre les positions ; deuxièmement, à passer par des chambres de compensation, là aussi pour mieux appréhender les positions, et, le cas échéant, procéder à des appels de marge si les positions accumulées devenaient dangereuses ou les décalages de prix trop importants.

En ce qui concerne la liquidité, nous avons conservé depuis l'origine de l'Eurosystème, c'est-à-dire depuis 1998, la panoplie de nos instruments concourant à la stratégie de politique monétaire. L'une des conclusions auxquelles nous étions arrivés était que la politique monétaire devait reposer sur deux piliers.

Le premier est l'analyse économique, qui dépasse le cadre des prévisions d'inflation calculées d'après les modèles car il faut considérer l'ensemble de la marche de l'économie pour assurer la stabilité des prix. Une économie qui tourne vite a besoin de taux d'intérêt plus élevés pour que la croissance reste équilibrée.

Le deuxième est le pilier monétaire. On a beaucoup critiqué le conservatisme de la France et de l'Allemagne, leur reprochant d'avoir continué à suivre la masse monétaire M3. Le suivi est en fait beaucoup plus sophistiqué que cela. Nous nous appuyons sur des enquêtes, auprès des entreprises pour mesurer leur trésorerie et leurs besoins de financement ; auprès des banques pour connaître leurs conditions sur les différents segments de l'offre de crédit et l'évolution des taux. Nous donnons une grande importance au crédit, ce qui a valu à la France de faire un peu office de pionnière dans le développement des instruments de suivi. Nous avons notamment distingué les crédits aux grandes entreprises susceptibles d'être remplacés par des financements de marché, les crédits aux PME, elles-mêmes subdivisées entre les filiales de groupes et les entreprises indépendantes, de façon à surveiller l'évolution des différents compartiments de crédit. Cette analyse fine nous a conduits parfois à prendre des mesures de politique monétaire que n'aurait pas justifiées la seule analyse économique. Nous avons ainsi amorcé un cycle de remontée des taux parce que nous estimions que la masse monétaire augmentait beaucoup trop vite et qu'à défaut d'intervenir, l'inflation ressurgirait dans les deux ans même si les prévisions économiques ne l'anticipaient pas.

La crise a conduit à un réexamen des instruments de politique monétaire dans le monde. Le gouverneur de la Banque d'Angleterre a notamment reconnu qu'il fallait mener une analyse monétaire au sens large, portant notamment sur le crédit. En effet, si une liquidité trop abondante ne se retrouve pas dans l'évolution des prix des biens et services à court terme, la demande se reporte sur les actifs, donnant naissance à des bulles qui se répercutent ensuite sur le prix des biens et services, ou bien éclatent au risque de provoquer un retournement du cycle économique qui peut mener à la déflation. Or la déflation n'est pas la stabilité des prix, et les banques centrales la combattent autant que l'inflation. Ce que nous avons fait n'était sans doute pas parfait, mais nous avons été confortés dans l'idée qu'il fallait persévérer dans l'analyse monétaire des excès de liquidité, en cherchant encore à la perfectionner.

Je suis très confiant dans notre capacité à surveiller le système bancaire. Il n'est pas possible de mettre un gendarme derrière chaque citoyen ni un contrôleur bancaire derrière chaque trader, et un accident peut toujours arriver. Cela étant, nous disposons d'un système de contrôle opérationnel et il est bon. Nous procédons actuellement à son renforcement parce que le Parlement et le Gouvernement nous ont confié des tâches supplémentaires et que la crise nous a montré qu'il nous fallait être encore plus efficaces. Le contrôle des assurances doit s'étoffer pour devenir un outil aussi puissant que celui opérant dans le domaine bancaire. Nous commençons à avoir de bons instruments de surveillance directe et indirecte, notamment des systèmes de contrôle interne des banques. Les moyens matériels et humains augmentent. Je pense d'ailleurs répondre au Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques chargé de suivre le coût des autorités administratives indépendantes que le temps n'est pas à sous-dimensionner nos moyens : la crise dont nous sortons a montré qu'il s'agissait d'un investissement utile, et même nécessaire.

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