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Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 25 novembre 2010 à 9h00
Commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies

Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :

En matière de rémunération des opérateurs de marché, les établissements français ont comparé leurs pratiques avec celles d'autres pays (Grande-Bretagne, États-Unis, Japon) ou d'autres places financières (Hongkong, Singapour), où ils possèdent parfois des salles de marché. Ils ont constaté que certains acteurs ne respectaient pas les règles du G20, remplaçant par exemple les bonus garantis par des welcome bonus, qui leur sont comparables. Lors de la réunion du G20 à Pittsburgh, nous avions opté pour l'encadrement des rémunérations, et chargé le Conseil de stabilité financière de vérifier le suivi de cette décision. Il ressort de son premier rapport que les établissements d'Europe continentale ont appliqué à la lettre les principes de l'encadrement, alors que les autres se sont contentés d'en respecter l'esprit. Cette différence s'explique peut-être par l'attachement des premiers au code civil et des seconds à la common law, laquelle se développe selon la réalité quotidienne.

Nous avons obtenu que le Conseil de stabilité financière instaure en son sein un comité chargé du suivi permanent de l'encadrement de la rémunération des opérateurs de marché. Nous attendrons son prochain rapport pour prendre des décisions. Par ailleurs, quand nous savions que certains dérogeaient aux principes, l'Etat a demandé à leurs responsables de nous apporter la preuve qu'ils s'étaient mis en règle avant de continuer à travailler avec eux. Cette démarche n'a pas été inefficace.

Cependant, une fois qu'on a instauré un encadrement, assuré la lisibilité des produits, exigé l'information et prévu des sanctions, la tendance naturelle du secteur bancaire – sans doute le plus immédiat à appréhender, du fait que son activité est subordonnée à des licences et à des exigences en capital prévues par Bâle 2 – est de pratiquer le shadow banking, ce qui revient à sortir du lit du fleuve pour naviguer au large. C'est pourquoi régulateurs, parlements et gouvernements, attachés au bon fonctionnement de l'économie, devront constamment étudier le comportement des opérateurs de marché, des banquiers et des fonds alternatifs ou non. C'est ce qui permettra à la réglementation d'évoluer pour appréhender ces activités qui, compte tenu des volumes qu'elles déplacent et de l'effet de levier, exposent nos économies à des risques dont il faut les protéger.

Je ne suis pas convaincue que les banques aient vocation à développer les plateformes alternatives, mais il existe, dans ce domaine comme dans d'autres, un comportement moutonnier. Dès lors qu'un opérateur met en place de tels outils, il est imité. D'où la nécessité de les réglementer et de les superviser.

Les mécanismes du HFT sont peu connus. Compte tenu de la rapidité avec laquelle ils génèrent des mouvements de cotation artificiels, ma tendance première serait de les réglementer, de les encadrer strictement, voire, une fois comparés leurs avantages et leurs coûts, de donner à l'Autorité des marchés la possibilité de les interdire dans certaines circonstances. L'important est de disposer d'un mécanisme de régulation. Enfin, en matière de formation de prix et de rencontre entre l'offre et la demande, il faut exiger que les génies de l'algorithme qui travaillent sur le HFT mettent en place des coupe-circuits technologiques. À défaut, on verra se reproduire des krachs comme celui du 6 mai 2010, parce qu'un mécanisme n'aura pas fonctionné ou se sera emballé, soumettant les marchés à des mouvements erratiques. J'ai demandé au président de l'AMF que soient analysés les avantages et des inconvénients de ce dispositif particulièrement risqué. Il a engagé des travaux en ce sens.

Quant à savoir si l'AMF est dépassée par les missions qui lui sont confiées, elle seule peut le dire. À la demande de son président, nous avons débloqué des moyens supplémentaires. Elle disposera de 450 agents en 2011, soit 60 personnes de plus qu'en 2010. Il faut maintenir le dialogue très étroit, que permet le système français de supervision, entre le ministère des finances, l'AMF, l'Autorité de contrôle prudentiel et la Banque centrale, de manière à nous assurer au quotidien que nous sommes en mesure de répondre à la diversité des risques et à la diversification des sources de ces risques. J'ai longtemps pensé que l'Autorité de la concurrence devait être privilégiée pour réguler de manière appropriée le comportement des acteurs économiques, mais je considère aujourd'hui que l'AMF est prioritaire, et qu'elle doit posséder les moyens de prévenir les risques financiers.

Monsieur le rapporteur, vous m'avez demandé s'il était possible d'étendre au-delà du cadre national les efforts de régulation en vue d'une plus grande lisibilité. C'est ce qui se passe sur le plan européen. À cet égard, malgré la bonne volonté qu'affichait son prédécesseur, la nomination du nouveau commissaire au marché intérieur et aux services est une excellente nouvelle. Celui-ci aura à coeur de faire avancer les travaux concernant les agences de notation, le marché des instruments financiers et la réglementation applicable aux produits dérivés. Pourtant, si la France est pour lui un allié de poids, il devra compter avec vingt-sept États, dans lequel le secteur financier représente un poids différent. C'est un combat quotidien – nous l'avons mesuré pour la directive sur les fonds alternatifs. Parfois, il faut renoncer à sa position initiale pour obtenir une réglementation applicable à tous, même s'il n'est pas question de transiger sur certains principes fondamentaux.

Quand nous avons commencé de réfléchir plus profondément à la situation des établissements bancaires impliqués dans la crise, j'étais tentée par la position peut-être simpliste qui consistait à plafonner l'effet de levier, comme l'ont fait le Canada et, d'une certaine manière, l'Espagne. Il semble que les accords de Bâle 3 permettront d'atteindre cet objectif par un procédé moins rigide. Il faudra rester attentif pour vérifier qu'ils sanctionnent effectivement, par des exigences de capitaux propres, l'utilisation d'effets de levier démesurés.

Lors de la crise, le mécanisme de coordination nationale qui existait en France, et dont j'espère qu'il sera renforcé par la mise en place de l'Autorité de contrôle prudentiel, a plutôt bien fonctionné. Il est précieux, quand la situation se détériore, que les acteurs d'un secteur partagent le même sens de l'État. Pendant les mois les plus difficiles, entre septembre et novembre 2008, quand j'ai organisé tous les jours à sept heures du matin une conférence téléphonique, il était utile qu'ils se parlent et se comprennent de manière presque intuitive.

Au niveau européen, nous sommes en situation de test. Les instances de coordination que nous avons mises en place – les autorités bancaire, assurancielle, des marchés, le contrôle pour l'identification des risques et la fonction d'arbitrage tolérée par la Grande-Bretagne – devront fonctionner.

Monsieur Launay, la réglementation Bâle 3 et la CRD 3 répondront à l'objectif de conservation des produits titrisés et à l'exigence de fonds propres.

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